André Neher a fait la connaissance de Jacob Tsur lorsque celui-ci était ambassadeur d’Israël en France, de 1953 à 1959. Une dizaine d’années plus tard, il lit, dans l’original hébreu, les Mémoires de Jacob Tsur : Cha’harit chel etmol – La prière du matin. Il lui exprime son admiration.
Je viens de terminer la lecture de Cha'harit chel etmol. Rarement, j’ai éprouvé une telle joie à la lecture d’un livre. Je piaffais d’impatience quand le temps me manquait pour poursuivre la lecture et j’ai pris sans remords sur mon temps de travail pour plus rapidement passer d’un chapitre à l’autre.
C’est un chef d’œuvre d’évocation qui vous envoûte du début à la fin. Le ton général est donné par l’émouvant et souvent bouleversant hommage que vous rendez à vos parents – mais cet hommage se transmute en hommage à la vie en général, à l’ensemble d’une époque qu’il vous a été donné de vivre, avec ses ombres et ses lumières, et à laquelle vous avez dit : oui ! avec une reconnaissance qui perce constamment sous vos souvenirs.
J’ai vibré avec votre prime enfance en Russie, en Pologne. J’ai franchi avec vous, en haletant, les frontières de l’Oural, de l’Ukraine. J’ai vécu la Galilée, et surtout Jérusalem, dans la joie de l’arrivée à bon port. Je vous ai suivi dans les pittoresques aventures de Florence et de Paris. Des personnages et des scènes surgissent, inoubliables : Trotski, Kabak, les silhouettes d’Eliezer Ben-Yehouda, de Menahem Ussishkin – les adorables figures de vos parents –, vous-même, saisi dans un clair-obscur qui est une réussite artistique extraordinaire – réussite que l’on retrouve dans l’ensemble formel et dans le style de votre livre qui, à ce point de vue esthétique et linguistique également, est un chef d’œuvre.
Je suis heureux de pouvoir vous le dire, et Renée, qui déguste les pages plus lentement, partage mon enthousiasme, déjà. Je ferai tout ce qu’il m’est possible pour assurer à votre livre la large diffusion qu’il mérite et que nous lui souhaitons. Ce sera naturellement plus facile en France pour la traduction, mais dès maintenant, j’ai décidé d’inscrire votre livre, dans son texte hébreu original, au programme de la Licence d’enseignement d’hébreu à la Faculté de Strasbourg (1). Toutes les disciplines en tireront profit : pour l’histoire, c’est un excellent livre de références-souvenirs sur l’époque de la troisième alya ; pour la littérature, c’est un modèle du genre "mémoires" ; pour la linguistique, le livre contient des pages d’anthologie sur lesquelles on peut travailler vocabulaire et style. Et, une fois la traduction parue, on pourra l’utiliser pour la méthodologie de la version.
J’espère que la traduction française sera digne de l’original. Qui est votre traducteur ? Vous savez sans doute que le haut niveau des traductions est une de mes marottes, et je serais navré de vous savoir desservi. Je cite toujours à mes étudiants le mécanisme intellectuel par lequel Nahum Sokolov est arrivé à traduire "Altneuland" par "Tel-Aviv" (2), et je leur demande de s’en inspirer. À ce propos, le sous-titre français "Prière du matin", qui figure déjà en-dessous de Cha'harit chel etmol, me paraît être un faux-sens, et en tout cas ne pas rendre toute votre pensée (3). Je proposerais plutôt : L’aube d’hier, en sacrifiant l’idée de prière, mais en créant l’assonance avec Le monde d’hier de Stefan Zweig, auquel votre si beau livre m’a fait souvent penser, malgré les divergences profondes, car le livre de Stefan Zweig est embué de mélancolie, alors que le vôtre est radieux de joie.
Soyez remercié, cher Jacob Tsur, de cette nouvelle contribution à la vie d’Israël, et soyez assuré, avec Vera Tsur, de notre amitié, plus vive encore depuis que nous vous connaissons mieux maintenant à travers vos souvenirs…
© : A . S . I . J . A. |