60. à Maître René WEIL, Strasbourg

Cette lettre a-t-elle influencé la décision de René Weil de renouveler sa candidature à la présidence de la communauté Israélite de Strasbourg ? (1) C’est en tout cas un bel hommage à une personnalité remarquable et il témoigne de l’investissement d’André Neher dans l’action communautaire à Strasbourg.


Strasbourg, le 24 avril 1966

Très cher ami,


Entre la Journée Nationale de la Déportation et la Journée de l’Indépendance de l’État d’Israël, l’heure me paraît propice pour m’adresser à vous dans une sollicitation que vous devinez : celle de vous voir poursuivre, pour une nouvelle période de quatre ans, vos hautes et lourdes charges de Président de la Communauté Israélite de Strasbourg.


Depuis le moment où vous avez annoncé votre résolution de ne plus briguer le renouvellement de votre mandat, j’ai essayé de jouer le jeu de cette fiction d’une Communauté qui, dans quelques semaines, serait privée de votre Présidence.

En vain.


Je me suis heurté à une opinion publique communautaire, jamais diffuse, toujours nette, qui compte sur vous et attend de continuer avec vous une œuvre parfois imparfaite, comme l’est toute œuvre humaine, parfois contrariée, comme l’est tout effort dynamique, mais menée avec une sincérité, une lucidité, un courage, qui forcent l’adhésion et créent autour de vous, et de vous seul, le climat d’une confiance inaltérée.


Je me suis heurté aux exigences primordiales de l’action juive, nationale et universelle, aujourd’hui : souvenir d’Auschwitz, solidarité avec Israël, compréhension du monde séfarade. Dans ces trois domaines, votre expérience, votre connaissance, votre intuition vous confèrent un pouvoir d’efficacité et de sympathie qui d’ores et déjà font de votre nom un programme de ralliement, oui, de votre seul nom un symbole d’action dans l’unité.


Je me suis heurté à l’éclat de votre prestige personnel, au rayonnement de votre vitalité, de votre optimisme, de votre dignité, qui ont si fortement soudé ensemble, à l’intérieur et très loin au dehors, votre Présidence et Strasbourg que, contre vents et marées, on ne peut plus les séparer.


Je me suis enfin heurté à moi-même. Pas seulement à mon amitié pour vous, à mon admiration pour votre œuvre, à ma joie de vous savoir, en chaque instant, près de moi et de Renée, près de nous tous. Mais à l’exigeant pacte qui a été le nôtre, depuis le début de votre Présidence. Pardonnez-moi si je n’ai pas toujours su être à vos côtés, comme vous l’avez été à côté de moi, dans tant d’actions communes. Permettez-moi de prolonger ce pacte, de le reprendre à la base, de repartir avec vous en un nouvel élan. Je le dis sans fausse modestie, ni pour vous, ni pour moi : ce n’est pas tous les jours ni n’importe où qu’en notre monde juif un René Weil et un André Neher peuvent se rencontrer pour servir. Nous n’avons pas le droit d’écarter une nouvelle chance d’une telle rencontre et d’un tel service, au niveau élevé et efficace que seule peut leur assurer votre Présidence.


Voyez-vous : c’est pour me situer à ce très haut niveau de conscience qui est le vôtre en ces journées ultimes de votre décision, que j’ai choisi ce dimanche qui porte en lui, réunies, la mémoire des souffrances d’Auschwitz et les espérances de Jérusalem, pour faire le point de mon propre débat de conscience. Ce point est net et lisse : sur la route qui vous a fait sortir d’Auschwitz pour vous mener, un jour, à Jérusalem, il marque le nouveau départ de votre Présidence à Strasbourg.


C’est un repère que vous ne pouvez pas effacer. Comme par le passé, Janine et vos enfants vous aideront merveilleusement à le tracer et à le porter vers l’avenir. Et Renée et moi, avec vous, en indéfectible amitié.


André Neher

Note :
  1. René Weil a finalement assuré un second mandat de Président de la Communauté Israélite de Strasbourg de 1966 à 1970, après son premier mandat de 1962 à 1966.


© : A . S . I . J . A.  judaisme alsacien