Dès qu’André Neher a appris qu’Agnon se rendrait à Stockholm pour y recevoir le Prix Nobel (le 10 décembre 1966), il l’a invité officiellement à venir à Strasbourg (1). La réception d’Agnon à Strasbourg, le 19 décembre, a été tout à fait extraordinaire. Le lendemain, 20 décembre, Agnon s’est rendu à Paris pour une réception officielle à la Sorbonne où, comme à l’Université de Strasbourg, le public remplissait le plus grand amphithéâtre (2). Agnon ne parlant pas du tout français, c’est André Neher qui, à Strasbourg comme à Paris, l’a introduit et a fait en sa présence une conférence très remarquée sur son œuvre littéraire.
Après avoir évoqué l’importance de la visite d’Agnon à Strasbourg, André Neher veut partager avec son ami Moché Catane (Paul Klein), installé en Israël depuis les débuts de l’État, son indignation de voir un représentant du judaïsme religieux s’exprimer avec une rare intolérance.
Très chers amis (3),
Le séjour d’Agnon à Strasbourg a été absolument sensationnel, plus chaleureux et enthousiaste encore que la soirée à la Sorbonne. Vous aurez des échos par la presse française que vous lisez. Je crois, hélas, que la presse israélienne n’a pas compris l’importance de ce voyage, et surtout l’énorme différence entre la réception purement juive et privée à Londres, et l’hommage officiel rendu par l’Université de Strasbourg. La lecture de Ha-aretz m’a même donné la nausée : je ne pensais pas que le "provincialisme" de la presse israélienne fût tellement étroit.
En tout cas, nous avons été heureux de ces quelques journées d’intimité avec Agnon et sa famille.
Je t’écris surtout pour te dire mon indignation à la lecture de l’article de Rav Kalman Kahana, paru dans le numéro de décembre 1966 de P.A.I.-VIEWS, édité par Po'alei Agoudat Israël (4).
Je ne sais si tu as lu cet article infâme dans lequel un homme, qui me paraissait respectueux, prend position contre le "Mouvement Urbach" (5) sur un ton inqualifiable. Tu es d’ailleurs nommément cité, avec Urbach.
Non seulement cet article manque de la courtoisie élémentaire dont devrait faire preuve un Rabbin, mais de plus, les raisonnements de fond sont ahurissants d’obscurantisme et de fanatisme. Rav Kahana ne se rend-il pas compte que ses démonstrations, si on y remplaçait les citations juives par des citations chrétiennes, seraient absolument conformes à la doctrine de l’Inquisition (voire même par moments du nazisme) ? Ce mépris de la référence éthique en matière religieuse, je ne l’ai jamais rencontré exprimé d’une manière aussi stupide et dangereuse, et je suis bouleversé que ce soit le leader spirituel des P.A.I. qui en soit l’auteur.
Je tenais à t’écrire tout de suite, sous le premier coup de l’indignation, et je promets de revenir prochainement sur l’ensemble et, en tout cas, d’exprimer publiquement mon opinion, de préférence dans le Bulletin des P.A.I., qui avait ouvert largement ses colonnes à mon intervention de Bruxelles au C.J.M. cet été (6).
Bien cordialement,
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