81. à Shlomo TIVONI, Kibboutz Alonim

Parmi les étudiants qui suivent les cours d’André Neher à l’Université de Tel-Aviv, un étudiant discret d’origine yéménite, Shlomo Tivoni (1), impressionné par sa largeur de vues, vient lui parler à la fin d’un cours. Il lui remet son premier livre, récemment publié, et l’invite à venir le voir au kibboutz Alonim, où il habite. De retour en France et après avoir lu le livre, André Neher lui fait part, dans la lettre ci-dessous traduite de l’hébreu, de l’émotion que cette lecture lui a procurée. Lorsque, plus tard, un film consacré à André Neher sera réalisé par la télévision israélienne ("Portrait d’André Neher", 1978), Shlomo Tivoni figurera au nombre des personnes interviewées dans ce film et exprimera son étonnement admiratif pour la manière fraternelle dont André Neher parle, en connaisseur, des diverses traditions religieuses juives, et en particulier de la tradition yéménite.


Strasbourg, le 20 janvier 1969


À Shlomo Tivoni, Chalom !


Je viens de terminer la lecture de votre livre Un gamin du "Kerem ha-Teimanim" (2) et je n’ai pas honte d’avouer qu’elle m’a pris du temps car il m’a fallu m’interrompre plusieurs fois tant j’étais ému aux larmes.

J’ai vu grâce à vous se dérouler devant moi les images d’une vie dont les détails ne m’étaient pas suffisamment connus, bien que les thèmes religieux et moraux qui s’y rattachent me préoccupent depuis longtemps.


Cela fait des années que je lutte contre toute discrimination, et contre la terrible volonté d’assimilation qui dépouille l’homme de son individualité et de ses traditions. Cela fait aussi des années que je consacre l’essentiel de mes forces spirituelles à enseigner, à démontrer oralement et par écrit qu’il n’existe pas d’amour de Dieu sans amour du prochain et que le chemin vers Dieu passe par le cœur de l’homme.


L’exode vers la France de nos frères juifs d’Afrique du Nord a constitué pour moi un grand défi dans tous ces domaines. Et voici que votre livre de souvenirs me fait comprendre clairement en quoi et pourquoi j’ai eu raison, et aussi pourquoi j’ai, à mon grand regret, connu parfois des échecs.


Votre livre peut servir pour tout Juif de guide moral et social et je lui souhaite une grande diffusion en Israël et aussi dans la Diaspora.

Outre le message spirituel que j’ai puisé dans votre livre, il m’a procuré l’occasion précieuse d’être avec vous, de connaître votre monde intérieur, et je suis mal à mon aise en pensant à vous comme un simple étudiant de l’université de Tel-Aviv assis devant son professeur alors que vous auriez droit, en vertu de votre lutte courageuse pour la vie, d’avoir la place d’un maître.


Je vous souhaite force et courage dans la poursuite de votre œuvre. Puissions-nous nous rencontrer de nouveau en Israël, à l’université et aussi au kibboutz, votre "maison".

En attendant, nous resterons en contact par lettres et en pensée.

En amitié et avec admiration,

André Neher

Notes :
  1. Shlomo Tivoni (1919-2000), né au Yémen et arrivé en Palestine avec sa famille à l’âge de trois ans, installé plus tard au kibboutz Alonim, est l’auteur de neuf romans (en hébreu) portant sur le monde et les traditions yéménites.
  2. Shlomo Tivoni, Nahar me-Kerem ha-Teimanim, Israël, Éditions Ha-kibboutz ha-mehuhad, 1970.
Lexique :


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