82. à Judith KAUFFMANN, Strasbourg


Judith Kauffmann (1), brillante étudiante d’André Neher à l’Institut d’Hébreu de l’Université de Strasbourg, y est devenue assistante et s’occupe activement de l’enseignement par correspondance de l’Institut, dont elle rend compte à André Neher, qui réside en Israël. Mais l’essentiel de cette lettre porte sur les tentatives de dialogue entre Juifs et Arabes, notamment au cours d’une rencontre suscitée à l’improviste en octobre 1969 par Judith Kaufmann chez elle à Strasbourg, entre des Juifs et des Arabes, soirée dont Judith Kaufmann a rendu compte à André Neher. Les sujets de friction dans cet effort de dialogue se retrouvent toujours les mêmes, d’où l’intérêt de les voir exprimés déjà en 1969.


Jérusalem, le 12 novembre 1969


Chère Judith,


Je viens de recevoir votre lettre et je vous en remercie très vivement. Je n’ai pas encore eu, évidemment, le temps de faire une lecture approfondie de vos cours par télé-enseignement, mais après les avoir parcourus rapidement, je voudrais vous dire tout de suite qu’ils me paraissent tout à fait remarquables et je tiens sans tarder à vous en féliciter.

Je ne doute pas que vos cours également soient couronnés de succès et je vous le souhaite de tout cœur.


Renée et moi-même, nous avons été très intéressés par ce que vous nous dites de cette soirée judéo-arabe chez vous. Le seul fait que ces trois étudiants arabes (même s’ils ne sont pas palestiniens) aient accepté de venir discuter avec vous et chez vous est tout à fait remarquable et c’est le moyen par lequel on peut espérer avancer dans ce qui devient, malheureusement, chaque jour davantage une terrible impasse. Nous avons ici, également, la douloureuse impression que les choses s’ankylosent. La multiplication (ou simplement la menace) des attentats, l’effrénée propagande arabe par radio ou télévision que chacun peut capter ici librement, une nette surenchère dans la politique de Nasser qui rappelle le début des semaines de mai 1967, tout cela contrecarre les efforts continus et tenaces en vue d’une compréhension réciproque. Même le Parti Mapam et le Parti communiste israélien (tendance du Dr Sneh) sont obligés de reconnaître qu’il y a un recul et qu’ils ne voient eux-mêmes pas d’autre politique possible que celle du gouvernement, qui ne peut, naturellement, pas transiger sur le droit d’Israël à rester Israël.


Je vous signale le livre d’André Chouraqui : Lettre à un ami arabe (2), que l’on peut mettre entre les mains des étudiants arabes ; ils y verront une ouverture presque trop utopique de la part d’un Israélien dont on ne peut pas soupçonner le sionisme intégral. Chouraqui me dit avoir recueilli beaucoup d’échos. Mais le problème reste grave. Et vous avez d’autant plus de mérite d’avoir dialogué car à l’heure actuelle, c’est sans doute le seul point positif que l’on peut accueillir.


Toutes nos pensées amicales vont vers vous […].

André Neher

Notes :
  1. Judith Kaufmann (1946-2007), parallèlement à des études de Lettres modernes, a fait une Licence d’Hébreu à l’Institut d’Hébreu de l’Université de Strasbourg sous la direction d’André Neher et elle y est devenue Assistante en 1969 et 1970. Après son émigration 1970 et son installation à Jérusalem avec sa famille, elle enseigne la Littérature contemporaine au département de Français de l’Université Bar-Ilan. Docteur ès Lettres modernes, elle a le titre de Professeur associé à l’Université Bar-Ilan. Elle est notamment l’auteur de nombreux articles et d’un essai : Grotesque et marginalité. Variations sur Albert Cohen et l’effet-Mangeclous (Peter Lang, 2000). Elle est la traductrice du premier roman d’Amos Oz paru en français : Ailleurs peut-être (Calmann-Lévy, 1971).
  2. André Chouraqui, Lettre à un ami arabe, Tours, Mame, 1969.


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