86. au Père Michel RIQUET, Lessoc (Suisse)

En janvier 1970 a lieu à Paris, sous la présidence d’Alain Poher (alors Président du Sénat), une Conférence Internationale pour la Délivrance des Juifs au Moyen-Orient, réunissant des personnalités politiques, religieuses et universitaires de plus de trente pays venues plaider pour la libération des Juifs emprisonnés en pays d’Islam à la suite de la guerre des Six Jours (1). Parmi les représentants français : André Neher et le Père Michel Riquet ; pour la Belgique, deux éminentes personnalités politiques : Théo Lefèvre et Étienne de La Vallée Poussin.
En participant à cette conférence, André Neher a aussi un objectif particulier. En effet, en 1953-1954, des étudiants en pharmacie égyptiens (parmi eux, cinq Juifs) étaient venus terminer leurs études à Strasbourg dans le cadre d’accords culturels qui existaient à l’époque entre la Faculté de Pharmacie du Caire et celle de Strasbourg. Les Neher ont beaucoup reçu chez eux les étudiants juifs égyptiens un peu perdus à Strasbourg, notamment Elie Tawil qui, après avoir terminé ses études et soutenu sa thèse en 1955, est rentré en Égypte la même année. Il s’y est marié et a ouvert un laboratoire d’analyses médicales à Héliopolis, une banlieue du Caire.
En juin 1967, au moment de la guerre des Six Jours, Elie Tawil est arrêté et incarcéré dans des conditions épouvantables à la prison de Toura, près du Caire, comme les quelques centaines de Juifs entre 18 et 40 ans restés en Égypte. Profondément bouleversé par cette tragédie, André Neher a milité et fait intervenir les personnalités politiques belges qu’il connaissait pour obtenir la libération d’Elie Tawil (la France étant à ce moment-là très mal vue en Égypte).
C’est donc avec une immense joie qu’André Neher apprend, en juin 1970, qu’Elie Tawil a été « expulsé » d’Égypte (ainsi que les autres internés juifs de la prison de Toura) et est arrivé à Paris (2). Il écrit au Père Riquet, qui a participé à cette action, pour lui exprimer sa reconnaissance.


Strasbourg, le 15 juillet 1970


Mon Révérend Père,


Je suis particulièrement heureux d’apprendre que les Juifs internés dans la prison de Toura, en Égypte, viennent d’être libérés.

Mon ancien étudiant, M. Elie Tawil, dont j’avais parlé lors de la Conférence Internationale au mois de février, m’a écrit dès son arrivée à Paris qu’il faisait partie de tout un groupe et que les camarades laissés là-bas avaient eu l’assurance d’une libération rapide qui doit être réalisée à l’heure actuelle.
Je ne sais si vous étiez au courant d’une grave crise d’infarctus du myocarde qui m’a retenu en clinique depuis la fin février jusqu’au mois de mai. J’avais néanmoins, durant cette période, essayé de faire quelques démarches en faveur de M. Tawil. Ai-je besoin de vous dire que la nouvelle de sa libération contribue maintenant grandement à ma convalescence ?


Mais je vous écris surtout pour vous exprimer ma très profonde reconnaissance pour la part éminente que vous avez prise à cette action humanitaire qui n’aurait pas abouti sans le dévouement inlassable d’hommes de cœur et de conscience tels que vous l’êtes vous-même et que le sont les animateurs du mouvement qui, nous l’espérons maintenant, après avoir été couronné de succès en Égypte, le sera également bientôt en Syrie et en Irak.


Puis-je vous demander d’être l’interprète de ma gratitude auprès du Président Alain Poher ?

Ce sera pour moi un devoir et un honneur, dès que mon état de santé sera redevenu normal, de continuer à agir sous votre égide.

Je vous prie d’accepter, mon très Révérend Père, l’assurance de mes sentiments de très fidèle et fervent attachement.


Professeur André Neher

Notes :
  1. André Neher a écrit à ce sujet un article : "Avant qu’il ne soit trop tard. Pour la délivrance des Juifs au Moyen-Orient", paru en éditorial d’Information Juive (janvier-février 1970).
  2. Extrait d’une lettre d’Elie Tawil à André Neher du 29.6.1970, à son arrivée à Paris : « Je ne saurais vous remercier ni par paroles ni par la plume pour ce que vous avez fait pour moi. […] J’ai su que vous avez assisté au Congrès qui a été fait à Paris pour sauver les Juifs du Moyen Orient. J’ai su que vous avez pris la parole, en ayant les larmes aux yeux. Tout cela, je ne vais jamais l’oublier. » (© Archives André Neher)


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