Le professeur Hans Küng, de la direction de Concilium, revue internationale œcuménique de théologie (1), habite Tübingen. Un numéro spécial de la revue consacré aux relations entre Juifs et Chrétiens est en cours de préparation. André Neher a accepté d’y contribuer par un article : "Peuple, État, politique. Une vue juive" . Mais il est blessé par un détail d’une lettre qu’il a reçue de Hans Küng, dans laquelle celui-ci lui demande de traiter le sujet "avec délicatesse".
Cher Professeur Küng,
J’ai éprouvé un douloureux choc en lisant, à Jérusalem où je me trouve actuellement, votre lettre du 29 octobre 1973.
Le fait que la Revue Internationale de Théologie possède de nombreux lecteurs dans les pays arabes me paraît être une occasion bienvenue pour leur présenter le sujet que je dois traiter, en tant que Juif, avec l’exclusif critère de ma conscience juive.
Vous me suggérez – et vous ajoutez que cela vous paraît "aller de soi" – de traiter le sujet "mit grösster delicatesse".
Je crains que vous ne vous mépreniez sur ma personne et que vous ignoriez tout de mon œuvre et de mon action.
Dans la balance de ce que je suis, de ce que j’écris, de ce que je fais, ne compte que la vérité, la vérité profonde et authentique de mon être juif. Elle a toujours suscité la compréhension d’autrui – y compris l’autrui arabe – et aidé à surmonter les impasses et à promouvoir le dialogue.
Du moins jusqu’ici.
Mais, venant le 29 octobre 1973 d’un théologien chrétien de la République Fédérale Allemande (2), votre lettre m’oblige à admettre qu’un grave tournant vient de s’opérer dans l’histoire morale de la communauté humaine. Si j’ai quelque motif de trouver impardonnable le fait que, trente ans après Auschwitz, la politique de la R.F.A. confère au pétrole plus de poids qu’à l’existence de l’État d’Israël (3), je suis consterné et blessé de constater que cette appréciation des choses se répercute sur le plan des relations éthiques entre les hommes.
Mon texte sera tel que me le dictera le seul critère de ma vocation juive, indéchirablement liée à ma vocation sioniste, terme qui est pour moi plein d’une résonance sans commune mesure avec l’emploi qu’en fait aujourd’hui l’ "homo politicus". Je ne puis pas donner d’autre réponse à l’appel de Dieu quand il a fait de moi un Juif, prêt à affronter les épreuves que l’Histoire m’impose, sans égards aux délicatesses.
Je termine ce message par un seul mot, le mot hébreu dont vous connaissez certainement le sens, et auquel j’aurais aimé trouver une allusion dans votre lettre envoyée à un collègue théologien juif à Jérusalem, quelques jours à peine après l’attaque d’Israël par les armées d’Ismaël le jour de Kippour : Chalom.
© : A . S . I . J . A. |