Comme les années précédentes, André Neher, en 1975, a proposé au Comité Nobel de l’Académie suédoise l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Elie Wiesel (1), en soulignant la signification particulière que revêtirait cette attribution cette année-là, 1975 marquant le trentième anniversaire de la libération des camps. André Neher et Elie Wiesel sont l’un et l’autre très déçus lorsque, au mois d’octobre, est publié le nom du lauréat du Prix Nobel de Littérature : l’écrivain italien Eugenio Montale. Lettre traduite de l’hébreu.
Cher Elie,
J’ai suivi pendant toute la semaine les nouvelles qui parvenaient de Stockholm – mais, hélas, une nouvelle déception ! Au moment où l’on marque les trente ans de la libération des camps, l’honorable Académie a jugé bon d’attribuer le prix à un quelconque poète italien totalement inconnu, qui n’a aucun lien avec l’histoire.
Il faut y voir un signe de la situation intellectuelle et morale du monde où nous vivons. Vous n’avez aucun besoin du Prix Nobel (bien que je sois convaincu qu’il vous sera décerné un jour) (2) mais toutes les valeurs que nous voyons symbolisées par le Prix Nobel ont besoin de vous, de votre personnalité, de votre créativité.
C’est une obligation en ce moment de déception : il faut continuer à écrire, à parler, à faire des discours. Se taire ? Au contraire, vous n’avez pas le droit, nous n’avons pas le droit de donner au monde la possibilité de rester les bras croisés. Continuons à lutter et nous aurons le dessus.
Je ne participerai pas au congrès de Paris. Je tiens à profiter pleinement du fait que c’est la première année où je suis totalement libéré de mes charges à l’Université de Strasbourg (j’ai pris une retraite anticipée) et où je peux rester à Jérusalem, dans une atmosphère calme de travail.
J’attends donc avec patience votre prochaine lettre, ou l’annonce de votre venue à Jérusalem, pour déterminer les détails de l’attribution du Prix du Souvenir (3).
Entre temps, toute mon amitié fidèle.
© : A . S . I . J . A. |