111. à Elie WIESEL, New-York (U.S.A.)

Comme les années précédentes, André Neher, en 1975, a proposé au Comité Nobel de l’Académie suédoise l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Elie Wiesel (1), en soulignant la signification particulière que revêtirait cette attribution cette année-là, 1975 marquant le trentième anniversaire de la libération des camps. André Neher et Elie Wiesel sont l’un et l’autre très déçus lorsque, au mois d’octobre, est publié le nom du lauréat du Prix Nobel de Littérature : l’écrivain italien Eugenio Montale. Lettre traduite de l’hébreu.


Jérusalem, le 24 octobre 1975

Cher Elie,


J’ai suivi pendant toute la semaine les nouvelles qui parvenaient de Stockholm – mais, hélas, une nouvelle déception ! Au moment où l’on marque les trente ans de la libération des camps, l’honorable Académie a jugé bon d’attribuer le prix à un quelconque poète italien totalement inconnu, qui n’a aucun lien avec l’histoire.

Il faut y voir un signe de la situation intellectuelle et morale du monde où nous vivons. Vous n’avez aucun besoin du Prix Nobel (bien que je sois convaincu qu’il vous sera décerné un jour) (2) mais toutes les valeurs que nous voyons symbolisées par le Prix Nobel ont besoin de vous, de votre personnalité, de votre créativité.

C’est une obligation en ce moment de déception : il faut continuer à écrire, à parler, à faire des discours. Se taire ? Au contraire, vous n’avez pas le droit, nous n’avons pas le droit de donner au monde la possibilité de rester les bras croisés. Continuons à lutter et nous aurons le dessus.


Je ne participerai pas au congrès de Paris. Je tiens à profiter pleinement du fait que c’est la première année où je suis totalement libéré de mes charges à l’Université de Strasbourg (j’ai pris une retraite anticipée) et où je peux rester à Jérusalem, dans une atmosphère calme de travail.


J’attends donc avec patience votre prochaine lettre, ou l’annonce de votre venue à Jérusalem, pour déterminer les détails de l’attribution du Prix du Souvenir (3).

Entre temps, toute mon amitié fidèle.

André Neher

Notes :
  1. Lettre du 13.1.1975 au Comité Nobel de l’Académie suédoise (© Archives André Neher).
  2. Elie Wiesel obtiendra finalement le Prix Nobel en 1986, mais le Nobel de la Paix et non celui de Littérature.
  3. Le Prix du Souvenir de la Shoa a été fondé par la Fédération mondiale des associations de Bergen Belsen (New York). Le premier récipiendaire en a été Elie Wiesel qui, par la suite, en est devenu le Président du jury chargé de désigner chaque année un lauréat. Début mai 1975, il a annoncé à André Neher que le jury avait décidé de lui attribuer le Prix du Souvenir 1975 (ce n’est finalement qu’en été 1977 qu’aura lieu la remise officielle de ce prix, lors d’une cérémonie à Jérusalem). Dans une lettre du 6.5.1977, Elie Wiesel écrit à André Neher :
    "Détail intéressant : j’ai été le premier récipiendaire [du Prix du Souvenir], vous en serez le dernier. Après vous, le prix ne sera plus attribué. C’est symbolique." (© Archives André Neher)


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