Anton J. Wtenweerde (1) est un ancien étudiant protestant hollandais, venu vers 1966 passer un an d’études à Strasbourg où il a suivi les cours d’André Neher et eu des échanges cordiaux avec lui. Rentré en Hollande en 1971 et devenu pasteur, Anton J. Wtenweerde reprend contact avec André Neher pour l’interroger sur la célébration de la Pâque juive - le Seder - au sein du foyer familial : celle-ci peut-elle inclure des non-Juifs ? André Neher répond catégoriquement qu’un non-Juif peut parfaitement être admis à la cérémonie familiale – l’exclusion ne s’appliquait qu’à l’époque du Temple, où se célébraient les sacrifices.
Jérusalem, le 19 avril 1972
Mon cher Wtenweerde,
Quelle joie en recevant votre lettre – témoignage de votre fidélité (croyez en la mienne, bien sincère) – qui m’a été transmise (par mer, ce qui explique le retard de ma réponse ! Vous voudrez bien m’en excuser) à Jérusalem où je suis en mission de recherche pour toute l’année.
Je dis bien de recherche et non d’enseignement car j’ai subi, il y a quelques mois, une grave crise cardiaque (infarctus du myocarde) et je dois encore beaucoup me ménager, à tous les points de vue.
Cela expliquera aussi la brièveté de ma réponse à votre si intéressante et si actuelle question. Mais je sais que vous me pardonnez d’avance : veiller à la santé du corps est aussi une mitsva de la Torah.
Voici : les versets de l’Exode 12, 43-49, qui semblent, à juste titre, contredire le caractère "inclusif" de la Pâque juive, ne s’appliquaient qu’à l’époque où le Temple était debout à Jérusalem et où l’agneau pascal était effectivement offert en sacrifice. Depuis la chute du Temple, la cérémonie juive de la Pâque (la soirée du Seder, telle que je la décris dans mon livre sur Moïse) (2) est vraiment "inclusive" et ne tolère aucune exclusion : circoncis ou incirconcis, Juif ou non Juif, tout homme est invité à participer à la Pâque – qui n’est pas purement symbolique, puisque si le repas du Seder ne comporte pas d’agneau pascal, du moins a-t-il conservé la Matsa (le pain azyme) et le Maror (l’herbe amère) qui l’accompagnaient au Temple. C’est là l’œuvre des rabbins pharisiens qui, dès le lendemain de la chute du Temple en 70 ap., ont opéré immédiatement un véritable aggiornamento et ont "universalisé" la lecture, l’exégèse et l’accomplissement de la Torah. Le judaïsme depuis 70 et jusqu’à nos jours est disciple des rabbins pharisiens – lesquels se considéraient eux-mêmes comme les disciples directs et autorisés de Moïse (Michna, Traité Pirkei Avoth I, 1).
Ainsi, depuis dix neuf siècles, la Pâque juive est bien "universelle" telle que je l’évoque dans mon livre. Et si vous aviez été, il y a trois semaines, à Jérusalem, ma femme et moi-même nous aurions été heureux de vous avoir à notre table pascale du Seder. Peut-être l’an prochain à Jérusalem ?
Que se passera-t-il si le Temple était reconstruit ? Reviendra-t-on au statut rigoureux de la Torah écrite ? Non, répondent les rabbins dans le Talmud et à travers les siècles, car le troisième Temple sera, comme les prophètes l’ont annoncé, "une maison de prières pour tous les peuples".
Et parfois, quand je vis avec ferveur la belle coexistence des religions qui règne actuellement dans la Jérusalem réunifiée (récemment, lors d’une "Marche de la Paix", des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans ont prié ensemble, d’abord au Mur Occidental juif, puis à l’Église du Saint-Sépulcre, ensuite à la Mosquée d’El Aksa), je me dis que le troisième Temple est déjà en train de se reconstruire sous nos yeux, dans la perspective du pharisianisme rabbinique, fidèle à notre maître Moïse et à Sa Torah.
Bien fraternellement à vous et Chalom de Jérusalem.
© : A . S . I . J . A. |