97. au Professeur Toufic FAHD, Strasbourg

Toufic Fahd, (1), professeur d’Arabe à l’Université de Strasbourg, est un collègue et ami d’André Neher. Entre la lettre de vœux qu’il a adressée à André Neher pour Roch hachana, en septembre 1973, et cette réponse d’André Neher de fin octobre 1973, a éclaté la guerre de Kippour. A. Neher exprime à Toufic Fahd le très profond bouleversement qu’a déclenché en lui cette profanation du jour le plus saint de l’année juive.



Jérusalem, le 28 octobre 1973


Mon cher Fahd,


On me retransmet de Strasbourg votre affectueuse lettre pour Roch hachana, à laquelle ma femme et moi-même sommes bien sensibles. Elle est sous nos yeux maintenant à Jérusalem, où nous sommes allés pour passer les Fêtes d’automne "selon nos cœurs", comme vous le dites avec tant de délicate attention.


Hélas, la Fête la plus sacrée, le Yom Kippour – le Chabbat des Chabbat –, les vingt-quatre heures de jeûne, de prières, de méditation intérieure que notre communauté voue chaque année à Dieu – et à l’humanité entière – ont été profanées et souillées par l’attaque des armées égyptiennes et syriennes, au moment le plus solennel, lorsque, dans le silence le plus complet (pas de radio, pas de télévision, pas de circulation – rien que la prière), nous évoquons l’entrée, autrefois, du Grand-Prêtre dans le Saint des Saints (Lévitique 16). La sirène d’alerte s’est mise à hurler – à la place du schofar de la Paix qui, normalement, devait retentir quelques heures plus tard pour marquer la fin de la Journée.


C’est le plus grand échec religieux et humain de mon existence – qui pourtant en a connu d’autres entre 1939 et 1945. Vous, dont je connais la conscience religieuse, vous me comprendrez.

J’en suis ébranlé moralement – et aussi physiquement.

Ma femme est à mes côtés pour me soutenir avec courage et – envers tout – une espérance, mais trop fragile encore pour que je puisse lui donner un sens concret.


Nous vous embrassons avec Madame Fahd, Pascal et Olivier.

Votre

André Neher (2)

Notes :
  1. Né au Liban, Chrétien maronite, le professeur Toufic Fahd (1923-2009) a fait ses études supérieures à la Faculté des Sciences Humaines de l’Université de Strasbourg (1947-1953) puis à l’Institut Biblique Pontifical à Rome (1953-1955). D’abord Chargé de recherche au CNRS à Paris (1955-1960) puis Chargé d’enseignement à la Faculté des Lettres de Strasbourg (1960-1966), il y est nommé Professeur titulaire en 1966. Depuis 1992, il est Professeur émérite. Directeur du Département d’Études Arabes et Islamiques de 1960 à 1992 et Directeur du Centre de Recherche sur le Proche-Orient et la Grèce Antiques de 1973 à 1991, il a dirigé la Collection de ce centre, diffusée par la Firma Brill, à Leyde, sous le titre : Travaux du CRPOGA (volumes 1 à 11). Après sa retraite à Strasbourg, il a publié plusieurs ouvrages et de très nombreux articles sur l’histoire et la civilisation arabes et islamiques. Ses relations avec André Neher ont été très amicales.
  2. À cette lettre, Toufic Fahd a donné une réponse immédiate où, derrière quelques mots d’amitié très personnels, s’exprime une violente hostilité contre Israël qu’il dépeint comme un peuple au caractère de plus en plus guerrier :
    " […] La voix haineuse de Madame Golda Meïr et de certains généraux m’a complètement déçu. […] De Jérusalem, ville où est né l’amour, se fait entendre la haine. […] Excusez-moi ! Je ne veux pas vous faire de la peine […] mais ma chair souffre ce que souffrent les brûlés, les mutilés, les veuves, les orphelins que la brutalité des raids israéliens en Syrie et en Égypte a laissés loin du champ de bataille ! […]" (lettre de Toufic Fahd à André Neher du 2.11.1973, © Archives André Neher). André Neher n’a pas tenu, à ce moment-là, à poursuivre un dialogue devenu impossible. Il reprendra plus tard.
Lexique :


© : A . S . I . J . A. judaisme