Toufic Fahd, (1), professeur d’Arabe à l’Université de Strasbourg, est un collègue et ami d’André Neher. Entre la lettre de vœux qu’il a adressée à André Neher pour Roch hachana, en septembre 1973, et cette réponse d’André Neher de fin octobre 1973, a éclaté la guerre de Kippour. A. Neher exprime à Toufic Fahd le très profond bouleversement qu’a déclenché en lui cette profanation du jour le plus saint de l’année juive.
Jérusalem, le 28 octobre 1973
Mon cher Fahd,
On me retransmet de Strasbourg votre affectueuse lettre pour Roch hachana, à laquelle ma femme et moi-même sommes bien sensibles. Elle est sous nos yeux maintenant à Jérusalem, où nous sommes allés pour passer les Fêtes d’automne "selon nos cœurs", comme vous le dites avec tant de délicate attention.
Hélas, la Fête la plus sacrée, le Yom Kippour – le Chabbat des Chabbat –, les vingt-quatre heures de jeûne, de prières, de méditation intérieure que notre communauté voue chaque année à Dieu – et à l’humanité entière – ont été profanées et souillées par l’attaque des armées égyptiennes et syriennes, au moment le plus solennel, lorsque, dans le silence le plus complet (pas de radio, pas de télévision, pas de circulation – rien que la prière), nous évoquons l’entrée, autrefois, du Grand-Prêtre dans le Saint des Saints (Lévitique 16). La sirène d’alerte s’est mise à hurler – à la place du schofar de la Paix qui, normalement, devait retentir quelques heures plus tard pour marquer la fin de la Journée.
C’est le plus grand échec religieux et humain de mon existence – qui pourtant en a connu d’autres entre 1939 et 1945. Vous, dont je connais la conscience religieuse, vous me comprendrez.
J’en suis ébranlé moralement – et aussi physiquement.
Ma femme est à mes côtés pour me soutenir avec courage et – envers tout – une espérance, mais trop fragile encore pour que je puisse lui donner un sens concret.
Nous vous embrassons avec Madame Fahd, Pascal et Olivier.
Votre
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