Elazar Touitou (1) préparait un Doctorat sur l’exégèse biblique lorsqu’il a suivi les cours d’André Neher à l’Université de Tel-Aviv en 1968 et 1969. Très admiratif de son œuvre et de sa personnalité, il l’a rencontré et lui a écrit de temps en temps. C’est ainsi que, mobilisé au moment de la guerre de Kippour, il lui envoie une carte du front. André Neher, très touché, lui répond.
Cher ami,
Votre carte, envoyée du front, m’a beaucoup ému, et je suis heureux, d’abord, de savoir que vous êtes en bonne forme, ensuite, d’être en rapport avec vous en ces moments difficiles, en attendant que nous puissions nous voir à Jérusalem, où je vous attends dans l’espoir d’un retour prochain dans votre foyer. Nous pourrons alors nous entretenir de ce problème de "l’élection d’Israël", posé dans la Bible, il y a trois millénaires, d’une manière telle que chaque mot de notre vieux livre résonne comme s’il avait été prononcé aujourd’hui et nous concerne dans notre actualité la plus intime.
Vous ne serez pas étonné si je vous dis que le choc que j’avais ressenti entre 1940 et 1945 et dont je rends compte dans l’avant-propos de ma thèse sur Amos (2) que vous mentionnez dans votre lettre, je l’ai ressenti à nouveau durant cette Mil'hemeth yom ha-dîn. Déjà la guerre des Six Jours m’avait fait prendre une décision changeant mon existence : celle de mon alya. Maintenant, je ressens comme une intensification de mon alya, une sorte d’alya rou'hanith – un sentiment plus fort de notre solitude juive en face de la démission morale de l’Afrique, de l’Europe (sans parler de nos adversaires), qui est, du même coup, le signe tangible de notre élection. En 1945, je me sentais élu pour être juif. En 1967, élu pour être juif en Israël. Maintenant, Juif-israélien, je me sens élu pour être le seul peuple conservant et respectant la dignité humaine au milieu de la décadence et de la faillite morales du reste de l’humanité (une poignée d’individus mis à part ; collectivement, nous sommes le seul peuple-homme – 'Am-Adam). Comme Abraham, nous sommes d’un côté de l’Histoire, et le monde entier de l’autre côté. Certes, c’est une existence tragique et qui nous impose de lourds sacrifices. Mais c’est une existence sacrée. Dieu nous a élus parce que nous sommes indispensables à la survie de l’humanité.
J’espère que Dieu nous permettra de nous rencontrer prochainement. Entre temps, restons en contact épistolaire. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le moi savoir ; je serai très heureux de vous aider, dans la mesure de mes forces.
En amitié fidèle. Votre
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