98. à Elazar TOUITOU

Elazar Touitou (1) préparait un Doctorat sur l’exégèse biblique lorsqu’il a suivi les cours d’André Neher à l’Université de Tel-Aviv en 1968 et 1969. Très admiratif de son œuvre et de sa personnalité, il l’a rencontré et lui a écrit de temps en temps. C’est ainsi que, mobilisé au moment de la guerre de Kippour, il lui envoie une carte du front. André Neher, très touché, lui répond.


Jérusalem, le 9 novembre 1973

Cher ami,


Votre carte, envoyée du front, m’a beaucoup ému, et je suis heureux, d’abord, de savoir que vous êtes en bonne forme, ensuite, d’être en rapport avec vous en ces moments difficiles, en attendant que nous puissions nous voir à Jérusalem, où je vous attends dans l’espoir d’un retour prochain dans votre foyer. Nous pourrons alors nous entretenir de ce problème de "l’élection d’Israël", posé dans la Bible, il y a trois millénaires, d’une manière telle que chaque mot de notre vieux livre résonne comme s’il avait été prononcé aujourd’hui et nous concerne dans notre actualité la plus intime.


Vous ne serez pas étonné si je vous dis que le choc que j’avais ressenti entre 1940 et 1945 et dont je rends compte dans l’avant-propos de ma thèse sur Amos (2) que vous mentionnez dans votre lettre, je l’ai ressenti à nouveau durant cette Mil'hemeth yom ha-dîn. Déjà la guerre des Six Jours m’avait fait prendre une décision changeant mon existence : celle de mon alya. Maintenant, je ressens comme une intensification de mon alya, une sorte d’alya rou'hanith – un sentiment plus fort de notre solitude juive en face de la démission morale de l’Afrique, de l’Europe (sans parler de nos adversaires), qui est, du même coup, le signe tangible de notre élection. En 1945, je me sentais élu pour être juif. En 1967, élu pour être juif en Israël. Maintenant, Juif-israélien, je me sens élu pour être le seul peuple conservant et respectant la dignité humaine au milieu de la décadence et de la faillite morales du reste de l’humanité (une poignée d’individus mis à part ; collectivement, nous sommes le seul peuple-homme – 'Am-Adam). Comme Abraham, nous sommes d’un côté de l’Histoire, et le monde entier de l’autre côté. Certes, c’est une existence tragique et qui nous impose de lourds sacrifices. Mais c’est une existence sacrée. Dieu nous a élus parce que nous sommes indispensables à la survie de l’humanité.


J’espère que Dieu nous permettra de nous rencontrer prochainement. Entre temps, restons en contact épistolaire. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le moi savoir ; je serai très heureux de vous aider, dans la mesure de mes forces.

En amitié fidèle. Votre

André Neher

Notes :
  1. Elazar Touitou, né en Algérie en 1929, émigre en Palestine en 1948 après une incarcération de quelques mois à Chypre. Il participe à la guerre d’Indépendance d’Israël dans le cadre de la branche religieuse du Palma'h. Au cours de ses études à l’Université Bar-Ilan (domaine biblique), il découvre l’œuvre d’André Neher et suit ses cours à l’Université de Tel-Aviv en 1968-69. Il lui voue une grande admiration pour son approche originale du domaine biblique. En 1974, il termine son doctorat sur l’exégèse biblique de Haïm ben Attar à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Son travail est jugé suffisamment important pour être publié par le Ministère de l’Éducation : Rabbi Haïm ben Attar et son commentaire "Or ha-'hayim" sur la Torah (deuxième édition 1985). Il a également publié un livre sur l’exégèse de Rashbam : Études sur le commentaire de Rashbam sur la Torah, publié par les Presses de l’Université Bar-Ilan (deuxième édition 2005). Professeur d’Exégèse biblique à l’Université Bar-Ilan et Recteur du Collège académique Oroth d’Elkana, ses recherches portent principalement sur l’exégèse biblique juive médiévale.
  2. Amos. Contribution à l’étude du prophétisme, p. 13 et 14.
Lexique :


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