123. à Olivier TOUATI, Paris

Olivier Touati (1), est le neveu d’André Neher. Il vient de passer deux ans en Israël, dans le cadre du mouvement de jeunesse Bnei Akiba, comme volontaire dans l’armée israélienne. Lorsque les Neher ont quitté la France pour s’installer en Israël, Olivier était encore un tout jeune garçon leurs liens se sont beaucoup resserrés lors de son séjour en Israël. De retour à Paris, Olivier écrit une longue lettre à André Neher, dont voici la réponse.


Jérusalem, le 28 décembre 1979

Mon cher Olivier,


Ta lettre nous a fait un énorme plaisir, […] tant elle est spontanée, reflétant ta personne et tes préoccupations actuelles. Je suis, évidemment, particulièrement heureux de ton écho si chaleureux à mon nouveau livre (2), et ton jugement m’est précieux, venant de la génération montante (déjà pas mal montée, n’est-ce pas ?), heureux aussi de ta "folie" musicale, si "normale" dans notre famille. Tes remarques sur Kafka, sur les participants au Colloque [des intellectuels juifs de langue française], sur B.H.L. (3), sont très intéressantes et concordent avec les miennes (ce qui, évidemment, me permet de dire qu’elles sont justes !), sauf que sur B.H.L., mon jugement ne peut porter que sur ses écrits, alors que toi, tu l’as probablement entendu dans ses conférences. Au fond, je ne connais de lui que Le testament de Dieu – qui nous paraît, à Rina et à moi, être un grand livre, au souffle prophétique et hassidique – et le texte qu’il a prononcé (et qui a paru dans la presse lors de la cérémonie à la mémoire des déportés – texte lumineux, courageux et impressionnant par le Hineni qu’il prononce au nom des jeunes de 30 ans. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que son souffle ne s’épuise pas trop rapidement et aussi qu’il s’impose l’ascèse de l’étude.


J’ai une opinion bien moins positive sur Shmuel Trigano dont La nouvelle question juive ne renouvelle pas grand chose par rapport à A'had Haam, sinon que le ton est d’une agressivité agaçante et que presqu’aucun des auteurs qui l’ont visiblement inspiré (et surtout Manitou, dont il a été l’élève, pour toute la partie Cabala de l’infrastructure de sa pensée) n’est cité, ce qui ne hâtera pas la gueoula.


Le Kaddish de Léonard Bernstein est, en effet, une œuvre d’inspiration "wieselienne" (4). Peut-être Heschel a-t-il eu également une influence sur Bernstein, dont la culture juive est visiblement (tonalement !) pétrie de hassidisme. Le deuxième mouvement – le procès de Dieu – est issu, en droite ligne, des grands thèmes de la révolte hassidique. Mais Bernstein a-t-il eu un Maître ? A-t-il lu Buber, Heschel, Wiesel ? Je pense que l’étude du judaïsme de Bernstein peut être faite maintenant déjà. Beau sujet de Maîtrise ou de Thèse ! Je corrige "peut" en "doit", sinon nous risquons la répétition de ce qui vient de m’arriver pour le grand Arnold, en Israël, vingt-huit ans après sa mort : j’ai envoyé à la Encyclopaedia ha-ivrit , qui en est à son 34e volume (lettre Rech – le 35e, sous presse, contiendra l’article Arnold Schönberg) une ligne signalant mon nouveau livre pour la bibliographie et j’ai ajouté à la suite du titre de mon livre : Schönberg ké-yéhoudi. Là-dessus, le Rédacteur en chef me téléphone : "J’ai été frappé par vos deux mots. J’ai relu l’article sur Schönberg que m’a donné un musicologue réputé et j’ai constaté qu’il n’y avait pas un mot sur le judaïsme de Schönberg. Je vous demande de rédiger rapidement une dizaine de lignes sur Schönberg ké-yéhoudi, que nous mettrons à la suite des lignes du musicologue." Voilà – si j’étais arrivé un mois en retard, il n’y aurait même pas une mention du judaïsme du grand Arnold dans l’Encyclopaedia de 1980 !


Beaucoup de baisers de Rina et moi depuis Jérusalem.

Ha-dod Bou

Notes :
  1. Olivier Touati (né en 1957 à Paris) est le fils d’Émile et Fany Touati, et le neveu d’André Neher. Après deux ans passés en Israël en 1974-75, dans le cadre du mouvement de jeunesse sioniste-religieux Bnei Akiba, comme volontaire dans l’armée israélienne, il retourne en France où il fait ses études d’Économie. Peu après, il revient en Israël et s’installe à Jérusalem. Il y occupe depuis lors un poste important dans les services de gestion de la police.
  2. Ils ont refait leur âme, éd. Stock, 1979.
  3. Bernard-Henri Lévy.
  4. Inspirée par Elie Wiesel.
Lexique :


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