130. au Pasteur Rudolf PFISTERER, Schwabisch Hall (Allemagne)

Grand ami d’Israël, Rudolf Pfisterer (1), pasteur dans les environs de Stuttgart, anime en Allemagne des cercles chrétiens pour mieux leur faire comprendre ce qui se passe en Israël et lutter contre la désinformation et les calomnies. Il mène également sa défense dans de nombreux articles qu’il publie partout où il le peut. Il a depuis longtemps beaucoup d’admiration et d’estime pour André Neher, qui le lui rend bien, et ils sont liés d’une amitié qui s’est cristallisée autour de leur commun attachement à Israël.
À partir de 1980, Rudolf Pfisterer emmène et guide en Israël, à un rythme régulier, des groupes de Chrétiens allemands de sa région. C’est l’occasion, pour les deux hommes qui ne se connaissaient que de loin, de se rencontrer face à face lors des séjours de Rudolf Pfisterer en Israël. Leur correspondance suivie autour de leurs travaux respectifs fait état à la fois de préoccupations littéraires et politiques.


Jérusalem, le 16 août 1981

Cher ami,


Je confie cette lettre à des amis qui vous la posteront de France, afin que vous ayez plus rapidement de nos nouvelles – qui sont bonnes. Si je ne vous ai pas écrit plus souvent, c’est que je me sens assez bien de nouveau (2) pour reprendre le travail à un rythme normal, et le travail ne manque pas. Il y a un grand retard à rattraper. Ma femme travaille également beaucoup – en particulier, elle a été la conseillère scientifique (et active) d’une exposition sur les Juifs de France sous la Révolution et l’Empire au Musée de la Diaspora ("Beit ha-tefutsot") à l’Université de Tel-Aviv. Si vous avez le temps de la faire visiter à votre groupe, cela en vaut la peine.


Beaucoup de visiteurs d’été, naturellement. Et aujourd’hui s’ouvre le huitième […] En ce qui concerne l’antisémitisme-antisionisme, nous sommes, en effet, bien servis actuellement !

Lorsque nous nous laissons massacrer à Auschwitz, on nous accuse d’avoir été des lâches, allant à la mort comme des troupeaux à l’abattoir. Lorsque, pour éviter un deuxième Auschwitz, nous détruisons le centre atomique de Bagdad (3), on nous accuse de violer le droit international !


Les Palestiniens installent à Beyrouth leur Quartier Général militaire dans des bâtiments où ils installent en même temps des civils en masse. Cela n’est-il pas contraire au droit international ? En septembre 1939, dès le premier jour de la guerre, l’armée française a fait évacuer toute la population civile proche de la frontière allemande, y compris les 200 000 habitants de la ville de Strasbourg, dont faisait partie ma famille. Pendant toute la durée de la guerre de 1939-40, toute cette population a dû rester repliée dans le Midi de la France, à l’abri des dangers de bombardements à partir de la Ligne Siegfried. Ce sont les Palestiniens qui n’ont aucun égard pour la population civile libanaise. Au contraire, ils l’exposent au danger. Et, de plus, ils ne se gênent pas de lancer des Katyuchas (4) sur les villages et les kibboutzim de la frontière israélienne – mais les Juifs, on a le droit de les tuer, ce sont des "occupants" ! Et pourquoi ce tollé universel pour le raid israélien de Beyrouth (4), alors que, depuis trois ans, Beyrouth et Sahlé sont impitoyablement bombardés par les Syriens, sans que cela émeuve nos défenseurs gauchistes de la justice et du droit !


D’ailleurs, en 1969, à la suite d’un horrible attentat terroriste palestinien contre un avion civil israélien à l’aéroport de Zurich, l’aviation israélienne avait attaqué l’aéroport de Beyrouth (d’où était parti le commando palestinien) et détruit des avions libanais sans faire une seule victime humaine, ni civile, ni militaire : seuls les avions ont été détruits. Cela n’a pas empêché de Gaulle de hurler comme un fou contre "l’agresseur israélien" et d’insulter grossièrement, en public, l’ambassadeur d’Israël à Paris, Walter Eytan.


Alors, qu’on ne nous dise pas que c’est à cause des malheureuses victimes civiles libanaises qu’on se dresse maintenant contre Israël. C’est tout simplement parce que tous les prétextes sont bons pour, comme vous l’écrivez si bien, donner libre cours à l’antisémitisme latent qui n’attend qu’une occasion pour se manifester.


Nous serons très heureux, ma femme et moi-même, de vous revoir de nouveau à Jérusalem entre le 20 et le 25 septembre. Roch ha-chana commence seulement le 28 septembre au soir.

Mais je ne me sens pas encore assez fort pour prendre la parole pour une causerie au groupe.

Nous vous recevrons de nouveau avec joie, chez nous "entre six yeux" !

Très amicalement à vous-même et à Madame Pfisterer de la part de nous deux.

André Neher

Notes :
  1. Pasteur, historien et théologien allemand (1914-2005), Rudolf Pfisterer a été un bâtisseur de ponts entre Allemands et Français, ainsi qu’entre Juifs et Chrétiens. À la fin de la deuxième guerre mondiale, il s’engage volontairement pour accompagner les prisonniers de guerre allemands détenus en France, jusqu’à la libération du dernier. C’est à cette période qu’il noue de très forts liens avec les protestants français.
    Rudolf Pfisterer a ainsi contribué à de nombreux ouvrages théologiques collectifs français et la Faculté libre de Théologie protestante de Paris lui a décerné le Doctorat honoris causa. Revenu en Allemagne, dans le Wurtemberg, il est aumônier d’établissements pénitentiaires pour jeunes. Cette activité pastorale ne freine pas sa production d’ouvrages théologiques mais accompagne le développement de ses efforts pour interpeller les Chrétiens et les sensibiliser au sens de la présence, incontournable théologiquement, de leurs vis-à-vis juifs, après des millénaires d’incompréhension aux conséquences tragiques. Ainsi publie-t-il Im Schatten des Kreuzes ("À l’ombre de la croix"), sur l’antijudaïsme théologique, Wir und die Juden ("Nous – Chrétiens – et les Juifs"), Juden-Christen/getrennt-versöhnt ("Juifs-Chrétiens/séparés-réconciliés"), vision d’espoir autant que marche à suivre, Israel oder Palästina ? ("Israël ou Palestine ?"), question toujours d’actualité, ainsi qu’un ouvrage de documentation : Von A bis Z. Quellen zu Fragen um Juden und Christen ("De A à Z. Documentation pour les questions relatives aux Juifs et aux Chrétiens"), dictionnaire de la connaissance du judaïsme à travers les textes, de l’Antiquité à nos jours. André et Renée Neher y sont souvent cités.
  2. Un nouvel infarctus survenu en 1980 avait beaucoup affaibli André Neher.
  3. Le 7 juin 1981, des avions israéliens, en un raid hardi, détruisent le réacteur nucléaire Osirak, près de Bagdad.
  4. Katyuchas : lance-roquettes d'origine soviétique.
  5. Le 25 août 1981, une attaque aérienne israélienne détruit un site de lancement de fusées au Liban.


© : A . S . I . J . A. judaisme