Son adresse pendant la guerre ? C'est un mystère ! Hélène était partout à la fois. J'ai retrouvé, (un peu par hasard) à Aix en Provence Madame Weil épouse Conte Myriam chez qui Hélène semble avoir vécu plusieurs mois après l'armistice de 1940. J'ai personnellement croisé à plusieurs reprises Hélène Schweitzer à Lezay dans les Deux-Sèvres où nous étions réfugiés sous une fausse identité entre 1943 et 1945. Elle dormait une ou deux nuits chez nous puis disparaissait. Madame Veuve Pasteur Fouchier m'a expliqué en 1998 qu'Hélène disposait au presbytère protestant de Lezay, au premier étage, d'un bureau à double fond où elle cachait ses tampons et qu'elle y venait régulièrement confectionner les faux papiers réclamés par le Pasteur. Ma soeur Madame Labé m'assure qu'Hélène avait un pied à terre à Baignes-le-Tartre, mais je n'en ai aucune preuve. Ma cousine Jeannine Lévy a aussi rencontré Hélène Schweitzer à Paris en 1943. Sur ses papiers militaires Hélène aurait été domiciliée dans la région parisienne. Bref Hélène Schweitzer était partout mais nulle part ce qui traduit bien ses activités multiples et ses aptitudes à la fonction d'agent de liaison. Il est très regrettable qu'elle n'ai jamais livré à personne le récit de ces cinq années trépidantes qu'elle consacra, au méprit du danger, au sauvetage des plus menacés.
Conformément aux prévisions du grand-père Salomon, notre famille avait pu rejoindre le Haut-bary à Coirac au printemps 1940, sans mon père évidemment, mobilisé dès la déclaration de guerre. Nous avions nous mêmes été bloqués à Courchevel où nous passions les vacances d'été 1939. les moyens de transport étaient réquisitionnés par l'armée; nous avons donc passé l'hiver 1939/40 à Courchevel, chez l'habitant. Au printemps 1940 les trois familles se retrouvaient au Haut-bary, mais sans les hommes. Mon père a participé à toute la "drôle de guerre".
Le Pasteur Fouchier avait quitté Strasbourg, il avait en charge la paroisse de Lezay dans les deux-Sèvres. Jacques Ellul avait tenu devant ses étudiants strasbourgeois, au début de l'année 1940, des propos tendancieux les incitant à quitter l'Alsace ; il fut révoqué de l'Université et après divers périples se replia sur la région bordelaise à Martres où des amis lui prêtèrent une propriété agricole de un hectare. Il s'y installa avec sa femme, son fils Jean et je crois sa mère ou sa belle mère ? Martres et Coirac (où nous étions nous-mêmes repliés) étaient deux bourgades voisines, distantes seulement de 3 kilomètres, (coïncidence ou destin ?). Les deux communes se retrouvaient en zone occupée à 7 km seulement de la ligne de démarcation.
Dès le mois d'octobre 1940 Vichy proclama les lois anti-juives, les Juifs étrangers furent assignés à résidence surveillée dans des camps en France. En zone occupée allemande l'ordonnance allemande du 18 octobre 1940 faisait obligation à tous les Juifs de se faire recenser. Notre famille s'est déclarée à la sous-préfecture de Langon, j'ai conservé certaines de ces attestations, la première datant du 5 novembre 1940 portait encore le cachet "République Française" ! Plus tard ce cachet devait être remplacé par "Etat Français".
Immédiatement et spontanément les anciens membres des mouvements de jeunesse protestante de Bordeaux se mobilisèrent pour porter secours et assistance aux persécutés. c'est par des personnalité éminentes de l'église luthérienne allemande que l'information de la persécution des Juifs allemands était parvenue bien avant la guerre au sein de l'église réformée de france. Ces informations transitaient par l'intermédiaire de pasteurs suisses en charge de paroisses françaises. Je cite textuellement ici une extrait du témoignage de M. Jean Bernyer, également reproduit en annexe de ce dossier, (Jean Bernyer a dirigé le réseau de résistance F2 dont la mission était de renseigner Londres sur les activités de l'occupant dans la région sud-ouest) :
"dans votre témoignage (que j'avais adressé en 1998 au mémorial des justes de france) les personnes dont vous faites mention furent pour moi des amis extrêmement proches : d'abord l'adolescence, les années de l'occupation et le reste de la vie. Tous nous avions milité dans les oeuvres protestantes : Eclaireurs Unionistes, Louveteaux ou Fédération des Ftudiants protestants (J'avais assisté avec ma soeur au congrès de la Fédé à Strasbourg au début des années 30). Nous avions tous les mêmes valeurs morales, les mêmes exigences de justice et de respect de la dignité de la personne humaine. Il s'est donc trouvé que nous avons poursuivi les même buts individuellement. Nous nous adressions à l'un ou à l'autre ami lorsque nous avions une difficulté ou un problème à résoudre. En fait il y eut la création spontanée du groupe sans qu'il y eut jamais ni réunion ni organisation. La communauté juive étant la plus persécutée, il est évident que nous nous sommes retrouvés à mener cette lutte... En ce qui me concerne j'avais été informé de ce qui se passait en allemagne par un ami de notre groupe M. Jean Bichon qui à la fin de ses études était parti pour l'année scolaire 1938/39 à l'Université de Munich en qualité de lecteur de Français. Revenu à Bordeaux en juillet 1939 nous avions passé une longue après-midi ensemble et il m'avait informé du sort des familles juives allemandes, dont certaines habitaient dans le même immeuble que lui, qui souvent étaient déportées en camps de concentration par les Nazis."Entre 1940 et 1943 Jacques Ellul et ma mère Suzanne Hertz qui s'étaient bien connus à Strasbourg collaborèrent pour fournir des faux papiers d'identité aux Juifs et résistants menacés. Je suppose sans en avoir de preuve formelle que c'est ma mère qui avait mis en contact ce groupe de résistants bordelais avec Hélène Schweitzer. En tous les cas ce qui est certain c'est qu'Hélène fabriquait les faux papiers. Je l'ai vu faire sous mes propres yeux d'enfant, elle ne se cachait guère lorsqu'elle était chez nous. Elle semblait totalement inconsciente du danger qu'elle courait et malgré toutes ses actions héroïques, elle était toujours d'un calme désarmant. Jean Bernyer dans son témoignage parle d'au moins deux cents cartes d'identité qu'il aurait fabriquées avec des faux tampons réalisés par Hélène Schweitzer. Mais Hélène fabriquait beaucoup d'autres contrefaçons, notamment à Aix en Provence ainsi que l'atteste Madame myriam Comte (témoin n°3). Elle en fournissait également à Paris ainsi que l'atteste le témoin n°2 Jeannine Lévy. Mon propre père qui vivait et travaillait à Lyon depuis sa démobilisation sous la fausse identité de Paul Monnier devait aussi avoir des papiers réalisés par Hélène Schweitzer, car je l'ai vu deux fois à Martres avant mai 1943 date de notre fuite dans les Deux-Sèvres.
Le dessin du tampon à reproduire était obtenu à l'envers par imprégnation d'un coup de tampon authentique sur une pomme de terre coupée en deux. Puis reproduit sur un linoléum en version inversée : commençait alors le travail de gravure du linoléum au stylet. Je n'ai pas vu de mes yeux le procédé à la pomme de terre ; on me l'a raconté. Etant donné la diversité des tampons réalisés par Hélène, elle a effectivement dû se déplacer énormément dans toute la France. Les lieux de naissance étaient souvent choisis dans les communes où, par faits de guerre, les archives avaient brûlé : Toul, Etain, Roubaix etc.
Avant notre fuite dans les deux-Sèvres notre famille a été munie de faux papiers d'identité que j'ai en partie conservés :
C'est à Lezay dans les Deux-Sèvres où le Pasteur Fouchier nous avait recueillis qu'étaient imprimés les faux formulaires vierges réalisés dans les papiers adéquats par l'imprimeur Monsieur Chopin : peut-être pas tous ceux qu'utilisait Hélène mais en tout cas ceux utilisés par le groupe de résistants bordelais. Mon père qui avait été "brûlé" dans toutes ses caches d'abord à Lyon puis à Toulouse nous avait rejoint à bicyclette à Lezay peu de temps après notre arrivée. Il a travaillé quelque temps à la composition chez l'imprimeur M. Chopin. Je me souviens d'avoir saisi des bribes de conversation entre mes parents qui m'avaient convaincu, (je n'avais que 9 ans), que M. Chopin faisait les formulaires de faux papiers. je m'en suis entretenu de vive voix en août 1996 avec son ancien chef d'atelier, M. Georges Hébert, membre des FFI. Il se souvenait très bien de mon père. Il m'a affirmé sans sourciller que M. Chopin, son patron, était bien trop "trouillard" pour travailler pour la résistance. Mais à l'époque chacun devait de méfier de tout le monde et la discrétion était la condition absolue de survie. Le rôle de M. Chopin m'a été confirmé, (sans que je lui en parle), dans le témoignage de Jean Bernyer, qu'il a bien voulu rédiger en mai 1998, lorsque je préparais le dossier yad Vashem du Pasteur Fouchier.. J'ai d'ailleurs retrouvé des liasses d'actes de naissance vierges qui datent de cette période et j'en donne un en annexe. Mais des lettres anonymes de dénonciation partaient vers la Kommandantur. La postière de Lezay les interceptait. Madame Fouchier possède encore une de ces lettres dénonçant les activités de son mari. Mon père dut quitter son travail et rester à la maison. Je donne également en annexe la copie de ce témoignage primordial de Jean Bernyer qui écrivit à 86 ans :
"dès les années 41-42 il se trouva qu'il fallait faire des fausses cartes d'identités Edith (Cérézuelle) me dit avoir une amie pouvant faire des tampons gravés dans du linoléum épais, il s'agissait d'Hélène Schweitzer mais alors edith ne m'avait pas dit son nom. Elle lui demanda de faire pour moi une douzaine de tampons de différentes mairies de localités situées en zone libre. Ces tampons me permirent d'établir environ 200 cartes d'identités parfaitement conformes."Et dans un post scriptum il ajoute :
"Ma famille et moi avons fait aussi quelques courts séjours chez Pierre Fouchier (à Lezay). Moi-même y suis venu en plus pour des motifs préci s; en particulier pour Mr. Chopin, l'imprimeur, qui se donnait la peine de rechercher la qualité exacte du papier et prenait les plus grands soins pour me faire, en quantités, des documents parfaitement conformes."
Hélène est morte relativement jeune à 73 ans. Son histoire héroïque restera à jamais inédite, ainsi en avait-elle décidé. Elle a contribué à sauver des centaines de Juifs persécutés par le nazisme et par Vichy. Je m'étonne un peu que personne ne l'ait jamais proposée pour être inscrite à Yad Vashem. Peut-être est-ce parce qu'elle se réclamait juive et que yad Vashem n'est pas fait pour les personnes de notre propre communauté, mais pour ceux qui leur ont tendu la main pour les sauvegarder. En réalité Hélène était protestante à l'époque des faits, ce qui lui a permis de jouir d'une grande mobilité dans la France de Vichy. Son engagement pour la communauté juive a été jusqu'à l'adoption de sa religion, (je pense que philosophiquement elle était agnostique). J'ai assisté à son enterrement au cimetière Juif de Cronenbourg en banlieue de Strasbourg. C'est le grand rabbin Warschawski qui a prononcé au bord de sa tombe de magnifiques paroles simples et poignantes. Il a dit en substance : "cette femme mérite plus que chacun d'entre nous de reposer ici dans le cimetière de notre communauté... Eliane bath Abraham..."
Nancy le 2 mars 2001 Jean Hertz |