Le Joueur de Cartes
Robert WEYL
Illustrations Robert Weyl - Martine Weyl
Cet article est inédit dans sa version intégrale. Seul un résumé a été publié par l’auteur dans :

Robert Weyl. Le Joueur de cartes. Les peintures sous verre en Alsace. Coprur. 1997.



Le Joueur de cartes - peinture sous verre. Coll. privée


Le Joueur de cartes - lithographie de J.J.Jundt.
Début 19e siècle. Coll/r privée

Le Joueur de cartes est une des plus belles peintures sous verre juives d'Alsace. Elle sera encore plus intéressante lorsque l'on connaîtra son auteur. Il existe dans des collections privées une lithographie reproduisant le même sujet, à quelques détails près. Les cartes tenues en main par le joueur ne sont pas les mêmes. Une pipe dépasse de la poche du joueur de la lithographie, absente sur la peinture. Le personnage de la lithographie est assis sur une chaise dont on voit le dossier,  détail dont le peintre ne s'est pas embarrassé. De plus, les textes, écrits dans un judéo-alsacien assez curieux ne sont pas identiques même s’ils dépeignent tous deux la satisfaction d'un joueur de cartes venant de gagner la partie et qui compte ses points.

Quant à l'inscription " rabbi Moïse de Wolfisheim près de Strasbourg ", dernière ligne de la peinture sous verre, elle manque totalement sur la lithographie.

Autre différence, sur la lithographie, le texte hébraïque a été imprimé avec des caractères d'imprimerie ; la peinture, elle, montre la difficulté de l'auteur à se débattre avec un alphabet qu'il ne connaît pas. Les chiffres arabes sont parfaitement lisibles. De toute évidence, l'écriture est celle d'un non-juif.

La lithographie porterait la signature de Jean-Jacques Jundt. Nous connaissons bien un Jean-Jacques Jundt, né en 1795, établi comme marchand de papier au 8 de la rue des Hallebardes à Strasbourg. Il avait épousé Henriette Amélie Kirstenstein de la célèbre famille des orfèvres strasbourgeois. De leur union naquit le 21 juin 1830, Gustave Adolphe Jundt. Après de brillantes études, celui-ci apprit le dessin chez Gabriel Guérin, s’installa à Paris où il devint un peintre de renom. On trouvera sa biographie dans Thieme et Becker, Kunstlexikon, ou bien dans l'Encyclopédie de l'Alsace, vol.7, page 4387, ou encore dans le Bénézit.

Le père, Jean-Jacques Jundt est ignoré par les dictionnaires des artistes. Sans doute fut-il un dessinateur et un peintre amateur. Est-ce lui qui peignit aussi la peinture sous verre qui se trouve dans une collection strasbourgeoise ?
On peut aussi supposer que le fils, Gustave Adolphe Jundt, jeune homme talentueux, copia par jeu la lithographie de son père, et nous aurions là, une œuvre de jeunesse de l'illustre peintre.

La peinture sous-verre du Joueur de Cartes est une œuvre humoristique et charmante, une des rares peintures sous-verre juives existantes.

Voici les deux textes ainsi que leurs traductions :

Le Joueur de cartes peinture sous verre :
Baschomayim u-beoretz gewonne  7 und 16 sind 23 ' 3 Ass
und 3 Bauern sind 29 un ausgespielt sind 60
R(abbi) Mosche Wolfisheim bei Strassb(urg)
Par le ciel et la terre, 7 et 16 font 23, 3 As
et 3 Valets font 29 et la partie finie fait 60.
Rabbi Moïse de Wolfisheim près de Strasbourg.

Le Joueur de cartes gravure sur papier :
Be’hay Roschi, Ich hab sie gekaft  7 und 17 sind 24 ' die Schelt
mir kaner ' 3 Ass und 3 Malkhim sind 90 ' und ach kavo is
gewonne '   baschomay im u-beoretz ein plaisir zu spielen.
Par ma vie je me les suis payés, 7 et 17 font 24.
Personne ne me les prendra, 3 As et 3 Rois font 90, et ramassé c'est gagné.
Ainsi, par le ciel et la terre, c’est un plaisir de jouer.
Observation sur la fin de la première ligne, début de la seconde.- On lit : Die schelt mir kaner.
L'oubli d'une lettre, un t, retire tout sens à la phrase. Je propose : Die schtelt mir kaner (personne ne me les prendra).

Les joueurs de cartes et la Loi juive

Le mot qubya' dérivé du grec kybeïa (jeux de dés) désigne d'une manière générale tous les jeux de hasard. Dès l'époque talmudique les rabbins les combattirent. Le jeu de cartes n'est connu que depuis le moyen-âge et fut toujours interdit avec menace de sanctions diverses allant jusqu'au Hérem, l'exclusion de la communauté. Les gens pieux et instruits ne s'y livraient pas, sauf à 'Hanukah, la fête des lumières, et durant la nuit de Noël, uniquement pour s'occuper, car l'étude était interdite la nuit et le jour de Noël.

Léon de Modène (1571-1648) écrivit durant sa jeunesse un texte contre les jeux de hasard très pratiqués en Italie, mais revint plus tard sur cette opinion, car, écrivit-il, les jeux de cartes facilitaient les relations avec les non-juifs.

On a conservé le nom de certains jeux de cartes, comme Einundzwanzig ( 21 ) Sechsundsechzig ( 66 ) Dardal ou Därdele, Klabrias, Färbel.....

Le Synode de Brest Litowsk de 1623 interdit les jeux de cartes ou de dés pour la Lituanie. Tous les jeux furent interdits en 1595 pour la Communauté de Cracovie. Les interdits de 1416 et 1418 concernèrent Bologne et Forli. Ces interdits reposent sur des textes du Talmud (Sabb.23,26  Sanh.24 b)

Le terme de joueur de dés était déshonorant. Le joueur était considéré comme un voleur. Son témoignage en justice était irrecevable. (Sanh.3,3 Rosh Hashana 1,8, Yoma 57 c).

Maïmonide considère que le gain n'ayant pas de contrepartie comme un vol (Hilkhot gesela -,7 ff ), les personnes détenues dans les prisons étaient autorisées à jouer aux cartes.


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