Le dernier combat
Extrait de Souviens-toi d'Amalec, par Shimon Hammel (Chameau)

LA GESTAPO

Samy Klein et Henry Wahl
Le danger menace de plus en plus. Les fameuses "Citroën noires à traction avant" de la Gestapo arrêtent les Juifs dans la rue, des organisations de collaborateurs aident les nazis, les dénonciateurs prolifèrent. A ces "patriotes" (c’est ainsi qu’ils s’intitulent) se joignent des criminels de droit commun mettant,à profit la peur des Juifs pour leurs extorquer de l’argent. Le grand rabbin de France sera victime d’un tel hold-up. Il décide de quitter Lyon, siège du Consistoire Central. Le grand rabbin Kaplan, nommé grand rabbin de France par intérim, choisira Samy comme adjoint.

La multiplication des rafles ne cantonneront pas Samy dans le spirituel et l’éducatif. Comme tous les responsables des communautés et des mouvements de jeunesse, il tient aussi à parer au plus pressé. Du sauvetage des esprits, ils passeront au sauvetage des corps.

Le délégué U.G.I.F. à Lyon réussit à mettre à profit ses contacts obligatoires avec la Gestapo pour se procurer des renseignements sur les actions imminentes contre les Juifs. Ainsi, Samy saura à la dernière minute qu’une rafle est prévue à Roanne. Il connaît bien cette communauté, où habitent des cousins Klein de Strasbourg et d’autres familles réfugiées, sans parler d’une communauté "autochtone" active et nombreuse. La résidence de Marguerite n’est éloignée que de quelques kilomètres. Dans l’impossibilité de trouver, sans perdre un temps précieux, un messager pouvant donner l’alerte à Roanne, Samy prendra le premier train et préviendra personnellement les familles juives du danger. Il se trouve dans l’appartement d’un tailleur appelé Guthmann lorsque deux agents de la Gestapo sonnent à la porte. Samy les reçoit pour laisser le temps aux Guthmann de fuir. Aux questions posées sur ce qu’il est et ce qu’il fait là, il répond qu’il est rabbin et qu’en cette qualité il visite les membres de la communauté. Pendant que l’un des agents furète dans la chambre (et fait remarquer à son collègue que le récepteur radio est réglé sur la longueur d’ondes des émissions anglaises), le premier fouille la serviette de Samy contenant, entre autres, le compte-rendu d’une réunion où nous avons fixé les règles de conduite au cas d’un... débarquement allié, préconisant, à cette réunion, une décentralisation totale : "Prévoir pour chaque agglomération un responsable" qui, dans notre code, s’appelle "chef d’équipe" : Samy, dans ses notes, avait écrit "C. d’E.". L’agent de la Gestapo, qui sait le français, tombe en arrêt devant cette abréviation. Samy répondra, se rendant compte du danger, qu’il s’agit de Cercles d’Etudes religieuses.

Il y a dans sa serviette, une Bible en hébreu. L’agent de la Gestapo la prend et demande si c’est le Talmud. A la suite des explications données par Samy, une discussion s’engage sur les rapports... entre la Bible et le Talmud. La famille Guthmann est oubliée et lorsque le second agent fait remarquer une nouvelle fois que le poste de radio est réglé sur la B.B.C., le premier n’y attache aucune importance.

A la suite de cette alerte, Samy décide de prendre une fausse identité. Il devient le pasteur Kerguénec. Grâce à ces papiers, il sera relâché après avoir été pris dans une rafle à la gare des Brotteaux de Lyon.

Samy a eu chaud. Tard dans la soirée, il sonnera à la porte de Joseph Fischer, habitant tout près de la gare. Fischer m’a raconté que Samy, très impressionné par le danger auquel il vient d’échapper, a besoin de souffler. En peu de temps, il s’est trouvé à deux reprises en contact direct avec la Gestapo, sachant à cette époque ce que veut dire l’arrestation d’un Juif. (Dès fin 1942, il était question de trois millions de morts dans les camps de concentration).

SE JOINDRE AU MAQUIS

Samy ne peut se permettre de tomber une troisième fois entre les mains de la Gestapo de la région lyonnaise. De toutes façons, son travail s’éloigne de plus en plus du domaine spirituel et éducatif, et il se souvient d’avoir été, il n’y a pas si longtemps, lieutenant d’infanterie. Il décide de prendre le maquis. Il nous annoncera cette intention à la réunion de l’équipe Nationale, décrétant la dissolution de toutes les entreprises E.I.F.

A notre étonnement, Samy nous informe qu’il a pris des contacts avec un maquis A.S. (Armée Secrète) de Haute Loire, et qu’il n’a pas l’intention de se joindre au maquis E.I.F. Je me suis longtemps demandé pourquoi. Je pense comprendre ses motifs aujourd’hui : Samy est aumônier du Mouvement. Tout son comportement, toutes ses actions, toute sa pensée sont imprégnés d’un Judaïsme vivant et dynamique, mais exigeant, qu’il préconise et qu’il propose à chacun d’entre nous. Samy sait que, dans le maquis, la lutte exigera la non-observance de certaines mitsvoth. S’il se trouve avec des Juifs, et en particulier avec des jeunes, son attitude risquera d’être mal interprétée, de servir de prétexte à l’inobservance de la loi en des temps et en des occasions où aucun motif ne justifie sa violation. Dans un maquis quelconque, déchargé de responsabilités éducatives, Samy pourra, sans scrupules autres que ceux de sa conscience, se soumettre aux impératifs que les circonstances lui imposeront. Au début de juillet 1944, Samy, son cousin Henri Klein et le fiancé de sa cousine Mady Klein (1), André Elbogen, prendront dans une petite gare de la banlieue de Saint-Etienne, le train pour la Haute-Loire. Le représentant du maquis avait recommandé d’éviter la gare centrale, considérée comme trop dangereuse. Samy laisse ses deux compagnons sur le quai, et prend contact avec l’antenne du maquis. Pendant sa brève absence, un Juif (nous avons su plus tard qu’il s’appelait Gensburger), lie conversation avec Henri et André Edith, membre du mouvement Yechouroun comme eux et qui les a accompagnés de loin, voit que sur un signe de Gensburger, des hommes en civil emmènent les deux amis. Elle essaie de prévenir Samy, mais le rate. Il tombe dans la souricière.

EN PRISON

Ils se retrouvent, avec d’autres prisonniers, à la Caserne des Noëttes, à Saint-Etienne, où il y a d’autres Juifs, notamment un marchand de bestiaux d’Alsace, chef d’une petite communauté. Selon un témoignage, assez vague, Samy lui aurait révélé son appartenance au Judaïsme, en le priant de n’en parler qu’une fois libéré. Il s’y trouve aussi un jeune homme, Guy Dreyfus, aujourd’hui médecin à Colmar. Vis-à-vis de lui, il continue à jouer son rôle de pasteur. Guy Dreyfus se rappelle que Samy lui dira que protestants et Juifs ont la même Bible et lui proposera d’en étudier des passages. Pour finir, il lui donnera sa Bible (la traduction de Segond reliée de rouge qu’il porte toujours sur lui), en lui disant : "Prends ce livre. Je n’en aurai plus besoin. Je crois que je ne sortirai pas vivant d’ici. Crois en Dieu. Ne désespère jamais !".

Pour ses amis qui, malgré la guerre, pensent déjà à l’après-guerre, il aurait été appelé à jouer un rôle important et peut- être le rôle le plus important. Sa foi, ses connaissances lui auraient conféré une autorité qui auraient fait de lui le Grand-Rabbin de France de la reconstruction du Judaïsme français, telle que nous l’entrevoyons : Jeune, dynamique, riche de valeurs humaines et spirituelles.

Samy avait les qualités requises pour éliminer les vieux – du moins ceux qui n’auraient pas fait leurs preuves – pour animer les jeunes – ceux, en particulier, que la guerre a rapprochés de la communauté – et pour balayer les incapables.

Si la perte est immense sur le plan collectif, elle n’est pas moindre sur le plan individuel. Il manque à ceux qui ont eu le privilège de l’approcher, à ceux qu’il a guidés, à ceux qu’il a instruits. Je suis de ceux- là. Notre amitié était riche et forte. Samy nous manque. Samy me manque. Il nous manquera toujours.

Guy Dreyfus et le vieil Alsacien ainsi que sa famille, arrêtée elle aussi, survivront à la tourmente. Les bombardements alliés sur les voies de communication ne permettent plus aux nazis de transporter leurs victimes à Drancy, voire de les déporter vers l’Est.

La fin... Le vendredi 7 juillet 1944, veille du 17 Tamouz, Samy Klein, Henri Klein et André Elbogen subiront le sort de tous ceux que les Allemands soupçonnent d’appartenir à un mouvement de résistance. Aux premières lueurs du jour, ils viendront les chercher à la prison pour les fusiller, au bord de ce champ dont Marguerite parle dans le préambule au dernier message de Samy. C’est là que, tous les matins, la police française enlève les corps après les avoir photographiés...

Peu de semaines après la libération de Lyon, les cercueils de Samy et de ses deux compagnons, provisoirement enterrés, seront réinhumés, en même temps que ceux des fusillés de la ferme de Saint-Germain. Nous les veillerons toute une nuit, avec les chefs E.I.F de Lyon, au cimetière israélite de cette ville.

Ces huit victimes se trouvent l’une près de l’autre, fraternellement unies, comme elles l’ont été dans le travail, la lutte et l’espoir... et inévitablement la question se pose : Pourquoi eux, pourquoi justement eux ? Tant d’espoir en chacun d’eux, jeunes, pleins d’énergie et de volonté. La perte de Samy en particulier a été – et est encore aujourd’hui - irréparable.


(1) Mady et sa soeur avaient été arrêtées à Clermont-Ferrand avec les étudiants et les enseignants, (juifs et non-juifs) de l’Université de Strasbourg. Tous ont été déportés. Les soeurs Klein ne sont pas revenues.Retour au texte


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