Le premier
et le second jour de Pâques.
La cérémonie du séder se répéta absolument identique le lendemain soir, à la même heure, c'est à dire aussitôt qu'il fit nuit close. Ce jour-là et le lendemain 15 et 16 du mois de nissan (30 et 31 mars), il y a grande fête. On va au temple de bonne heure. Hommes et femmes étalent avec complaisance leurs habits et leurs robes, tout frais terminés. C'est plaisir de voir ces braves gens parcourir les rues du village, raides et empesés. On dîne à midi, et l'après-dînée est consacrée aux visites qu'on fait ou qu'on reçoit. Salomon vu son rôle important dans la communauté, était de ceux qui attendaient les visites. Dans ce cas, en Alsace, on reçoit son monde à table, où le chef de la famille et tous les siens demeurent assis jusqu'à l'heure des vêpres. Le dessert reste sur la table et se renouvelle durant toute l'après-dînée, à mesure que les visites le consomment. Dès qu'il entre quelqu'un, ont l'accueille par ce salut hospitalier ; Boruch-habo (béni soit celui qui vient là) ! On lui fait prendre place à table et immédiatement la servante pose devant lui un verre empli du meilleur vin du pays. Vers les deux heures et demie, la salle où nous nous tenions était presque comble. Le bruit des conversations était assourdissant. Il y avait là Iékel, le frère de mon hôte, avec de nombreux parents, le voisin Samuel, le ministre-officiant, l'instituteur communal et le schamess de Bolwiller. Quels étaient les objets de cette conversation bruyante et confuse ? Il serait difficile de le préciser. Le fait est qu'autour de moi on parlait un peu de tout. Il était question à la fois de politique, de chemins de fer, de synagogues récemment construites ou à construire, d'élections consistoriales, de nominations de parnossim (administrateurs des communautés juives), de la foire à bestiaux de Lure et de Saint-Dié. Enfin le coucou placé dans un coin cria quatre heures, et l'assemblée se sépara pour aller à la prière de minha (après-midi).
Le le halhamoêd ; une excursion ; une confidence.
La fête de Pâque, comme celle des cabanes, dure huit jours ; mais sur ces huit jours quatre seulement sont des jours de grande fête. Les jours intermédiaires, au nombre de quatre, sont des demi-fêtes seulement, appelées des halhamoêd. Ces demi-fêtes ont un caractère particulier. Pendant le halhamoêd , les hommes laissent là les grosses affaires, et n'expédient que le courant. Les femmes, en demi-toilette, ne travaillent pas, mais se font visite, ou se promènent soit aux abords du village, soit dans les villages voisins. C'est aussi pendant les jours de halhamoêd que les galants vont voir leurs belles, et que se font d'ordinaire les fiançailles en Israël.
Le premier de ces jours de demi-fête, le père Salomon m'avait emmené sur un char-à-bancs, attelé de son petit cheval gris, dans un bourg des environs, à Dornach, chez un de ses parents. Vers le soir, nous revenions à Bolwiller. Le père Salomon faisait trotter le petit gris tout en fumant avec délices du tabac dit violette dans sa pipe des iontof (jour de fête). Le bonhomme avait grande envie de me faire ses confidences sur l'établissement qu'il rêvait pour son fils Schémélé.
- Où comptez-vous passer la Pentecôte prochaine ?
me dit-il tout-à-coup.
- Pardieu, à Biesheim même, chez Lehman Hirsch.
- En ce cas, vous tombez bien, répondit mon interlocuteur
; Hirsch attend précisément pour cette fête, son gendre futur
; car vous savez que c'est l'usage, en Alsace, que les fiancés
aillent voir leurs promises à pareille époque. Du reste, Hirsch est
de vos amis, et il vous contera l'histoire de ce mariage. On en a assez
jasé, Dieu merci ! Après cela, il faut bien que les jeunes se marient.