Sur la colline
blanchit le collège aux fenêtres Second Empire
qu'entoure un rempart de bois d'aulnes et d'acacias
les marronniers en fleurs explosent dans la cour carrée
la chèvre brune broute à l'enclos d'aubépines
dans le bois aux lièvres où court le vent du matin chargé d'ail sauvage
un faucheur coupe le foin sur une seule petite place humide
dans ce sol sablonneux sous le soleil de juin
le silence bourdonne de guêpes et d'orties.
Du haut de la lucarne retrouvée de l'enfance
je pêche au filet
les vieilles maisonnettes jaunes des voisins
avec leurs étables en ruines
un cercle de forêts assiège l'horizon
plus loin
c'est la plaine marécageuse piquée de bouquets de trembles et de peupliers
puis la Forêt-Noire
le tocsin de l'été roule dans la montagne
sous les sapins s'agite une mer de fougères.
Les clochers des villages émergent des pans de bois
entre les cheminées lézardées
des usines en brique rouge à cinq étages du dix-neuvième siècle
que couronnent les nids de cigognes déserts.
Il y a des jouets perdu sous l'escalier du toit
dont je rêve parfois sur le dos de la nuit
quelques lambeaux du vrai papier de tenture flottent au fond des corridors noirs de vent
la rampe d'escalier en acajou tendre est encore là,
dans la maison ouverte, pillée, éventrée,
démantelée par la guerre par l'oubli par l'exil,
qui garde pour seul vestige
une baignoire d'enfant trouée de balles en zinc mangé de lèpre
délaissée sous les combles dans l'angle que font le mur et la cheminée
aux hanches écroulées sous le velours inusable de la poussière
Extrait de La Corne du Grand Pardon, Pierre Seghers Editeur, 1954, pp. 50-51