Jérusalem - Ici la pierre est nue... (extrait)

Ici la pierre est nue comme la haine d’homme,
Sa flamme avec le vent délire sur nos lèvres.
Le souvenir s’éteint où le monde commence :
Mémoire d’un matin qui ne sait que lui-même.
Nous sommes nus, nous avons peu à dire.
La face vers le roc, nous parlons avec peine.
Le jour, à travers nous, se fraie en bégayant,
Le souffle se dessèche sur le pays trop clair.

Lieu du monde lui-même,
Sois le coeur du poème.

Coeur de Jérusalem, massif, profond, muet
Terre et ciel joints s’abîment dans un feu de joie.

Extase d’incendie, épousailles mortelles
Et cendres sur le roc
Sans un ressentiment.

La chair qui brûle unie à la pierre vivante, -
Dans l’été de calcaire où le coeur prend racine
La naissance et la mort du feu se justifient.

© Shaul Lévy

Avec le feu tu n’as que des rapports lointains.

Mais parfois, en hiver, quand l’orage a rompu
Le silence des nuits sur les monts de Judée,
Un écho t’en parvient hors des rocs foudroyés,
Si ce n’est bruit du vent sous les bois d’oliviers
Où la pluie étincelle à l’instant de l’éclair.
Qu’entends-tu, lorsqu’ainsi tu guettes sans relâche,
Montant depuis toujours du fond de l’occident
Vers l’aride colline où luit l’être d’absence?

Chaque fragment de pierre illumine l’espace,
Et même dans les lieux cachés, les sépulcres des pères,
Monte un feu passager, et autre chose aussi,
Inexplicable, un bien connu de l’âme errante seule:
Un murmure oublié dans une langue ancienne,
Pareille au crissement du silex que l’on bat;
Et la flamme scintille un instant dans la pierre
Sous le dôme des mains jointes comme en prière.

***

Quel monde célébrer, langue de notre perte?
Quel triomphe vêtir de la pourpre des ruines?
Haut dans le froid, le linge des nuages
Claque sur la maison dans l’orage d’hiver.
Vent de Jérusalem, tu cours dans la montagne
Comme le grondement du jour qui doit venir.
Nous eûmes peu de joie : et cependant une aube
De fête est sur la terre.
***

En roulant à mes pieds douze roches forées,
Daniel mon fils m’a construit une forteresse
Avec ses petits bras qui portent les montagnes
Ma forteresse est dressée dans le champ de pierres,
Sur un pan de colline de Judée,
Face aux maisons de la Jérusalem nouvelle.
Le soleil l’envahit, et le vent sec d’hiver,
Ma place de lumière et de roche en plein ciel,
Surplombant les quartiers de la Ville future
Entre l’épine d’or, le narcisse sauvage.
Dans le calcaire crient les noyaux de topaze
Que les enfants font éclater en gerbes d’étincelles.
Le soleil y jaillit comme des anémones;
Ses rayons renversés s’élèvent de la terre
Et rencontrent là-haut les paroles dorées,
Le langage muet de la clarté du jour.

Je te découvrirai, Jérusalem nouvelle,
Soeur de la pierre ouverte à la clarté du monde,
Espace d’univers, autel et table ronde,
Vigne du petit jour où luit l’éternité
Dans ce lieu j’assoirai ma présence réelle.

Extrait de Aux portes du labyrinthe, pp. 175-178, Ed. Flammarion 1996

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