Le
fils d'Adam n'est pas une chose, mais une conscience humaine. Nous ne sommes
pas un état donné de la matière, un banal état de
fait. Cela signifie que nous ne sommes pas finis, mais à faire. Nous
servons en vérité un advenant autogène, doué d'une
forme de vie propre, comme le poète créant et l'œuvre en
en voie de création. Comme la seule langue vivante est celle qui vibre
au fond de ma gorge, dès que j'ouvre la bouche pour parler, rire ou crier
! Aussi le seul état vivant est-il celui qui, aux puissantes et rassurantes
structures solides de la mort, préfère l'élan précaire
de la source. Voilà ce que nous sommes, ce que nous devons rester : un
mouvement en avant dans le temps qui nous porte, et dont les articulations concrètes
s'engendrent à travers nous par la parole vive offerte entre nos lèvres.
En un mot, nous sommes une œuvre. Semblables aux fragiles premiers fruits,
nous relançons inlassablement la création originelle de l'humanité.
Reliant, à travers trois siècles, l'expérience de Pierre
Emmanuel à celle de Goethe ou de Madame de Lafayette, interrogeant l'œuvre
de Saint-John Perse, de Paul Claudel, de Baudelaire, de Mallarmé, de
Kafka, de T.S. Eliot, de Rilke, l'esthétique de la bible et de la tradition
d'Israël, ces essais tentent de préciser la nature, le sens et l'objet
de l'activité créatrice, dans la perspective de notre civilisation
remise entièrement en question par le cours tragique de l'histoire moderne.
Etre poète aujourd'hui, n'est-ce pas faire vivre les hommes que menacent
de tous côtés la violence, le désespoir et la mort ?