A bout de souffle rit l'extase
I
A travers les mélodies d'exil captées dans son miroir que la lune errante tisse avec le silence, se trame et se dénoue le jeu de la question. Elle demeure sans réponse, et pourtant revient et perdure comme font les dix voix ailées d'une fugue noire de Mozart : plaie lancinante creusée dans l'éclat minéral de la parole glacée, - celle qui éblouit et divise le cœur resté sans dieux, abandonné au vide, fuyant toujours ailleurs qu'au ciel. Où cesse le désir d'un homme ? L'infini nous épargne peut-être par pitié.
II
Avec la lune qui danse derrière la fenêtre ouverte, soulevée par la respiration du large fleuve nocturne au souffle haletant, renouvelé sans nul repos de la pensée comme s'aère le poumon d'une jeune nageuse, me voici porté vers l'avant par ce flux surgi de l'amont indicible, offert au battement sourd de la rivière souterraine à travers la boue restée vivante malgré tout. Et retraversé par la lumière des profondeurs jusqu'au dernier murmure : le mal-être divin où l'agonie se transfigure en musique miraculeuse. Oui, malgré tout flambe sur nous dans le ciel opaque en hiver le nuage blessé du soir, l'Eve pétrie d'argile et d'eau de source ardente qui chante sans espoir l'amer savoir de vivre.
III
Toujours la lumière sans défense cachée au cœur du
buisson jette sa transparence de beauté noire sur tant de jeunes morts à la voix oubliée cendres terrées en nous sans noms et sans visages. Est-ce pour nous permettre de dire à leur place une seule fois encore : bouvreuil, perce-neige, écureuil? Pourtant nous n'avions nulle chance de gagner à ce jeu de mots pipés d'avance par la tristesse : vaine est, pauvre poète, l'enflure de ta voix, inutile sa dissonance! A bout de souffle rit l'extase.
IV
De retour enfin au lieu nu de l'origine où se tissent les nœuds défaits du temps, de retour dans les maisons désertes assises aux frontières où fleurissaient les enfants singuliers, frères de lait, frères de mai, venus de nulle part, oh mes ombres aimées de jadis, surgies dans la lucarne obscure comme dix rangs de pommiers droits et ronds plantés vifs dans la tapisserie volante de l'espace.
V
Persiste une faible pulsation de lumière verte égarée dans la neige, comme une trace où s'allument la joie et la détresse qui peuplent cette vie unique. Au détour du chemin, Partout, nous guette le chaos : mais jamais nous ne serons de sa compagnie. dans notre fragilité extrême, l'ultime don du corps, à la lueur naïve qui, d'esprit, le couronne. Jusqu'à sans fin nous resterons, vieux jardiniers de l'avenir, fidèles à la rose blanche qui empourpre nos nuits. (mars 2004) |