Les Noces d'Amnon et de Tamar

"Maintenant, je te prie, parle au roi, et
Il ne s'opposera pas à ce que je sois à toi.
"
(II Samuel 13, v. 13)

Comme le lit d'un fleuve, la vallée écume de lumière,
Elle est couchée sur le passage de la nuée du soir.
Pour les nouvelles noces d'Amnon et de Tamar
Le lit est dressé dans le berceau de la montagne.
Déjà s'abat sur lui la grêle des étoiles australes.
L'orage d'hiver explose sur la terre assoiffée,
Son déluge est la vie enfantine du monde;
Derrière la terreur et l'abandon du froid
Il y a l'attente de la plus grande douceur.
Venus depuis toujours des confins de la nuit,
Les époux ici se rencontrent,
Un peuple rassemblé, de nouveau frère et sœur ;
Le fils du roi ne saurait boire qu'aux lèvres de légale,
Il ne veut pour guérir qu'un gâteau de ses mains.
Confondus et distincts, à moitié frère et sœur
Par leur père le ciel et leur mère la terre,
A travers l'autre chair ils éveillent en eux-mêmes
Le feu de l'origine qui rayonne et les lie.
Montant des horizons de la vie étrangère,
Les amants silencieux s'approchent dans la lumière déjà nocturne :
C'est l'heure de l'engendrement de la flamme de l'autel
Que renversa jadis la main armée de fer.
Très doucement les reins obéissent à la danse,
Les membres s'abandonnent et s'oublient dans l'étreinte.
Goûtant dans sa simplicité leur substance première,
Ils sont de retour à la pierre originelle;
Le feu caché s'incarne dans les corps exaltés,
Par eux sont expiés les temps d'indifférence.
L'œil parle à l'œil, le coeur au coeur, et nul ne les comprend
Sauf les amants sacrés, aspirant, expirant
La présence du feu : colloque du silence.
Toutes les choses prient, sauf la première aurore
Et les yeux qui la boivent.
L'exil, foyer de cendres rougeoyantes sous le vent d'ouest,
Est devenu ce feu qui jaillit à même la souche de l'olivier.
La langue muette soudain
Se découvre source d'un chant,
Le domaine du souffle.
Ainsi s'ouvre sur eux la porte inespérée.

Sans mesurer le temps de l'huile dans la lampe,
Toute flamme mortelle
Jaillit plus vive encore, et plus haut se consume.
L'éclair détruit la roche en descendant sur elle :
Retour de flamme - enfin ce visage est brûlé,
Qui depuis si longtemps rayonnait pour la nuit !
Lieu le plus passager, point de rencontre extrême,
Lit de l'automne où meurt une fête éternelle,
Temps des doigts qu'on effleure et des genoux qui tremblent,
Cri des corps défaillants que tord l'unique flamme
Où tout l'être apparu s'exalte jusqu'aux cendres.

Douce et puissante est la pénétration nocturne
Dans le demi-sommeil et les bras de l'aimée,
Pressés flanc contre flanc, toisons noires mêlées,
Les mains à l'abandon errantes sur la terre.
Agiles, longues et fraîches les jambes de Tamar,
Qu'Amnon caresse en remontant jusqu'aux racines sombres
Où se confond le sang de l'homme et de la femme.
Les hanches se dérobent dans le jeu de l'amour,
Tantôt elles s'exercent à conjurer l'éclair,
A réfréner soudain sur le bord de l'abîme
La chute de la foudre éblouissante et noire.
"Tiens ma nuque serrée dans l'étau de ta gauche,
que ta droite se ferme en coupe sur mon sein,
tour vivante dressée au ciel par le désir."
Les yeux ouverts en toute jouissance de cause
Amnon s'enfonce dans les ténèbres marines :
Lorsqu'il s'attache des deux mains à l'aimée, comme un arbre
A l'île qui l'élève au cœur de la tempête,
L'orage éclate, pourpre et noir, dans les corps haletants.
O souple battement des membres emmêlés,
O longue lutte, ô danse que couronne l'extase !
Dans la nuit s'épanouit l'aurore souterraine,
La relève du feu naît dans la perte heureuse.
Comme un rite suprême à l'heure de la mort
L'unité du Nom se célèbre dans l'unité des êtres.
Le père ancien est salué par la salve de joie,
Les lèvres de l'amour se ferment sur sa vive présence..
Tout dehors s'oublie dans la nuit inaugurale
Qui est source du jour et bourgeon de l'espace.
Ici l'origine à nouveau s'est faite chair :
A jamais retrouvés dans l'ombre qui les lie,
Les amants restent claires, libres, présents au monde,
Le double arbre des corps resplendit dans l'éclair.
La forme du désir a supporté l'extase
Et la terre a reçu l'empreinte de son dieu.

Le temps hait l'origine et pourtant y aspire :
Dans le père égaré sous la nuit de porphyre
Les orphelins perdus s'appellent et s'attirent.
O joie : lorsque le feu tranquille a fait chanter l'espace,
La patrie est semblable à l'épouse comblée.
L'amour est accompli, parfait dans ses frontières :
Merveille du regard qui se mue en paroles,
Temps d'exacte vision entre souffles contraires,
Espace illuminé du monde où se traduit
Le feu sombre des coeurs que délivra l'orage.

Colline de Judée, grise, nue et dorée,
Le coeur froid de ta pierre n'attendait que la foudre
Pour se retrouver lave et flot de feu naissant,
Tumulte, liberté de la première nuit
Qu'enflammait le bûcher jubilant des étoiles !
C'est alors que le quartz devient miel dans la ruche,
Cristal après cristal sur les bords de la sphère
S'aiguisent en dardant leurs rayons de soleil
Autour du feu central, oeuf noir de la lumière.
Dans l'espace déjà, colonnes d'incendie,
Les stèles sont dressées au passage du peuple,
La Judée étincelle aux portes de l'Asie.
Quand nos yeux s'éteindront, d'autres verront le monde :
Tout ira bien ainsi. Rien ne sera perdu
De la grande lumière au-dessus de la terre :
Car c'est elle qui compte, rien d'autre. Et le regard
D'un homme au petit jour sur les montagnes saintes. (Nevé Shaanan, 1961)

Extrait de la revue PREUVES, janvier 1962

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