DAUENDORF

La communauté juive de Dauendorf
par Jean-Louis Ernewein


Cette année, la Societé d'Histoire et d'Archéologie de Haguenau a célébré, par la parution du Tome XVIII des Etudes Haguenauviennes, cinq cents ans de présence israélite, dans notre chef-lieu de canton. Il paraît intéressant de donner quelques aperçus sur celle de Dauendorf, lesquels feront suite aux éléments offerts par l'intéressante étude de M. Alexandre, dans Dauendorf-Neubourg Informations de décembre 1989.

I. Installation d'une communauté juive à Dauendorf - Dénombrement

Croquis de la Synagogue de Dauendorf
Les documents nous manquent, qui établiraient l'époque de la première installation dans notre village. Il ne semble pas qu'il y en ait eu au moyen-âge: aucun document de l'abbaye de Neubourg, seigneur temporel et spirituel, n'en fait mention. N.Lehmann (l), sans indiquer ses sources, prétend qu'un juif aurait été exempté au 15ème siècle, de "Wasserzoll", (péage du pont de l'abbaye, qu'empruntaient bergers et vachers de Dauendorf, pour traverser la Moder, et se rendre aux pâturages de la Klostermatt). Rien ne permet toutefois d'affirmer qu'il résidait à Dauendorf.

Lors de la Réforme, au 16ème siècle, de nombreuses familles israélites quittèrent les villes passées au luthéranisme et se dispersèrent dans les bourgs et les villages d'Alsace, plus particulièrement dans les seigneuries ecclésiastiques, qui les admirent, plus par charité que par intérêt. Nous pouvons trouver là, l'origine de l'importante communauté juive de Ettendorf, mais nulle mention de Dauendorf dans les textes !

Au 18ème siècle, les ravages des troupes mercenaires de Charles Gustave de Suède, poussèrent de nombreuses familles juives de Prusse, Saxe, Lituanie et autres provinces d'Allemagne du nord, à quitter leur pays d'origine et à se réfugier plus à l'ouest. Beaucoup furent accueillies par leurs coreligionnaires  d'Alsace, notamment à Haguenau. Certaines, par la suite, s'installèrent dans les villages environnants, Batzendorf, Wittersheim, Dauendorf, Uhlwiller (2).

Ce doit donc être vers les années 1650 que se forma la première communauté de notre village. (Rappelons qu'alors n'existait à Neubourg, hormis l'abbaye, qu'une demi-douzaine d'habitations, celles des employés du couvent et l'hôtellerie des voyageurs ; aucun Israélite n'y obtint résidence). L'abbé de Neubourg accepta d'en recevoir, dans les villages de la seigneurie, Dauendorf et Donnenheim, Uhlwiller et Niederaltdorf, un nombre restreint, à certaines conditions : ils devraient respecter us et coutumes de la communauté villageoise et ne la point troubler ; ne point faire de prosélytisme et ne point se dresser contre ses seigneurs; obéir à l'avoué,(Vogt), représentant l'abbé, ainsi qu'à l'écoutête (Schultheiss) ; observer en tous points et toutes matières les règlements édictés. Ils auraient droit de résidence, de commerce, hormis l'usure, et de boucherie, ce pour quoi chaque famille règlerait 30 Livres ; de même, ils jouiraient de la protection pleine et entière du seigneur, en matière de basse et moyenne justice, ce pour quoi, chaque famille  paierait encore 30 Livres (Schirmgeld). Ces 60 Livres étaient encore dues en 1781 (3).

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Dénombrement

Ancienne maison juive
"Lucien LEHMANN,dont le père était Rabbin à Dauendorf, nous racontait que Leon Zitrone avait séjourné dans cette maison après la révolution de 1917. Il y avait été placé par une tante qui était gouvernante chez le tsar Nicolas II !" © René Sturtzer

En 1689, il y avait six familles juives dans les villages de la seigneurie (4), c'est-à-dire environ vingt-cinq personnes. Le recensement officiel des habitants de Dauendorf de juillet 1709 (5), ainsi que la déclaration des grains qui l'avait précédé, le 28 mai de cette année, donnent d'intéressants détails sur la composition de la communauté juive, ainsi que sur ses réserves en céréales et en farine :

Déclaration des grains, mai 1709 (6)
- Schmoule juif en mouture
en farine

1 rézal (8)
5 boisseaux (7)
2    "    
- Schimele juif en mouture
en farine
3    "    
-
3    "    
2    "    
- Henel juif en froment
en farine
1    "    
-
3    "    
4    "   
- Salomon juif en mouture 2    "     3    "  
- Feiquel juiferesse en froment
en farine

1 rézal
2    "    
-

Recensement, juillet 1709
Hommes Femmes Enfants Servantes
- Schmoulen et son fils 2 4  
- Schimele jud 1 2  
- Hamel jud 1 1
- Salmen jud 2 3 2 (vraisemblablement non juives)
- Elias jud 1 4  
TOTAL : 6 7 14 2

Nous retrouvons là nos six familles : Schmoule (Samuel), Schimmel, Henel ou Hamel (Abraham), Salmen (Salomon), Elias et Feiquel, cette dernière probablement veuve, totalisant 27 personnes dont . 14 enfants.
En 1716, une septième famille semble s'être installée à Dauendorf (4).
Par la suite, le nombre des familles augmenta très lentement au cours des 18ème et 19ème siècles.

- 1754 11 familles   - 1803 (An XII) 70 personnes
- 1766 11 familles   - 1843 100 personnes
- 1780 11 familles 45 personnes - 1855 121 personnes
- 1781 11 familles 47 personnes - 1883 120 personnes
- 1784 15 familles 64 personnes - 1899 99 personnes
- 1800 15 familles 84 personnes    

La baisse amorcée vers 1a fin du 19ème siècle fut. certainement dùe à l'émigration qui suivit, l'annexion de l'Alsace par le Reich, en 1870. Le nombre de 38 familles, avancé par Lehmann (1) pour le début du 20ème siècle, est parfaitement fantaisiste. Enfin, en 1934, il n'y en avait plus que sept, qui, toutes, quittèrent Dauendorf, A la veille de la deuxième guerre mondiale.

II. Les synagogues de Dauendorf

1 - Synagogue 1824
2 - Ecole juive (emplacement de la première synagogue, 1735 ?)
Lorsque l' abbé de Neubourg autorisa l'installation de familles juives à Dauendorf, il ne fit aucune mention de synagogue, pas plus que de lieu de prière. La tradition israélite, d'ailleurs, ne permet l'édification d'un lieu de culte que lorsque sept familles au moins, sont réunies. Celles de Dauendorf dépendaient du rabbinat de Haguenau, et c'est là qu'elles se rendaient, lors des fêtes particulières. Le reste du temps. elles se réunissaient chez le doyen de la communauté, ce qui n'était guère apprécié des villageois, pas plus que des autorités. Le 31 décembre 1712. le bailli de la seigneurie, François Wolbrett, condamna la communauté à payer une amende, légère, il est vrai, "pour s'être sans autorisation à nouveau réunie:, malgré les défenses réitérées de Monseigneur l'Abbé, chez Salomon,juif de Dauendorf, où ils tiennent une espèce de synagogue" (9).

Les litiges entre juifs et chrétiens, procès divers. étaient légion à cette époque et ne concernaient pas toujours des différents commerciaux. Ainsi, le 29 décembre 1706, le même bailli Wolbrett infligea une forte amende aux juifs de Dauendorf : certains de ses membres avaient, le jour de la Saint-Thomas, "insulté en hébreu (yiddish ?), les partissiens: du village. Il fallut l'intervention du rabbin de Harguenau pour calmer les esprits. Cette situation tendue semble d'ailleurs avoir perduré : en 1780, un jeune homme de Dauendorf, Pierre Lote, fut jugé pour avoir "commis un gue-apens contre des juifs d' Uhlwiller, venus dans notre village assister au culte?"

En 1712, la communauté semble totaliser déjà  sept familles, puisqu'elle sollicita de l'abbé Jean Vireau de Neubourg, l'autorisation de bâtir une synagogue dans le village, sur un terrain loué. Nous ignorons la réponse de l'abbé, mais elle dût être négative : comment expliquer autrement le jugement précédent ?

Ce dût donc être le successeur de Vireau, l'abbé Jacques Gacier d'Auvillers (1715 - 1759), qui autorisa l'édification : en 1737, l'existence d'une synagogue est avérée et en 1740, le rabbin Elie Schwab de Haguenau s'y rend en grande pompe !
Cette synagogue, bâtiment sans aucun doute modeste, d'un seul niveau, en colombage, ne fut remplacé qu'en 1821 par l'édifice que nos anciens ont encore vu, rue du Muguet.

En 1843, une pétition fut déposée auprès de la municipalité, pour l'agrandissement de cette synagogue, aux frais de la commune ; mais nos élus répondirent que l'ancienne, bâtie seulement vingt-deux ans plus tôt, devait suffire à la communauté qui ne représentait, après tout, que 8 % de la population. Quelques travaux de rénovation furent entrepris, peu avant 1934. Cette bâtisse resta donc inchangée jusqu'à sa destruction, peu après la guerre. Près de celle-ci, un bâtiment plus restreint, en pan de bois, faisait fonction d'école pour les enfants israélites. Il est très probable qu'il s'agisse de l'ancienne synagogue du 18ème siècle, transformée ou rénovée.

Rappelons pour terminer, quelques noms qui raviveront peut-être des souvenirs : en 1934, Gustave Weiller était le "Barnes" de la communauté de Dauendorf depuis 25 ans ; Félix Lehmann "unsr Rebbe", en était le chantre (Ehrenkanter) et Moishe Kling, né en 1857, en était le doyen.

En yiddish, Dauendorf était surnommé "Hüchemmedine" ("hüchem" = "sourd").

Notes :
  1. N. Lehmann, Sterbende Gemein­den : Dauendorf, La Tribune Juive n° 21, Strasbourg 1934.    Retour au texte.
  2. E. Scheid, Histoire des Juifs de Haguenau, Paris, 1885.    Retour au texte.
  3. G. Kaufmann, C. Muller, L'aisance de l'abbaye de Neubourg, Archives de l'Eglise d'Alsace, N.S. 42, 1983.    Retour au texte.
  4. De Neyremand, Dénombrement, Revue d'Alsace 1859.    Retour au texte.
  5. Archives de Haguenau JJ 277 /15    Retour au texte.
  6. Ibid JJ 277/12    Retour au texte.
  7. 1 boisseau = 12 1. environ.    Retour au texte.
  8. 1 rézal = 6 boisseaux environ    Retour au texte.
  9. A.M. Haguenau, Registres de justice du bailliage de Neubourg.    Retour au texte.

Dauendorf
Poème de Norbert Lehmann, paru dans la Tribune Juive de Strasbourg,
traduction Alain Kahn
Unsere Schuhl
Ein achmucker Bau, würdig, erhaben
Hebt sich zum Himmel empor.
Grell leuchten Farben hervor.
Mein Blick kann nicht genug sich laber.

Ich trete durch die off'ne Pforte
Ins herrliche G'tteshaus...
Gedanken holen weit aus
An diesem gesegneten Orte...

Mauschele, Herschel, Feis und Salme,
Ihre Plätze sind verwaist -
Unter uns lebt euer Geist,
Denn euch gehört die Siegespalme.

Mannel, Schimme, gingen vo hinnen
Landflucht setzte arg uns zu -
Dieses Uebel half im Nu
ein stolzes Minjan zu zerrinnen.

Die schöne Schuhl ist uns geblieben.
Jetzt zu gross und einst zu klein.
Ladet uns zum Beten ein...
...Zum Gendenken unsrer Lieben.

Notre synagogue
Un bâtiment orné, digne, élevé
Se dresse haut vers le ciel
Les couleurs brillent vivement au dehors,
Mon regard ne peut assez s’en délecter.

Je rentre par la porte ouverte
Dans la magnifique maison de D. …
Des pensées mènent bien loin
Dans cet endroit béni …

Mauschele, Herschel, Feis et Salme,
Vos places sont orphelines –
Votre esprit vit parmi nous,
Car c’est à vous que revient la palme.

Mannel, Schimme, partirent d’ici
L’exil tomba si fort sur nous –
Ce mal fit qu’en un rien de temps
Un fier minyan s’est effondré.

La belle synagogue nous est restée,
Maintenant trop grande et jadis trop petite.
Elle nous invite à prier…
…En souvenir de ceux que nous aimons.


La synagogue sur une ancienne photogrqphie


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