Un lieu de culte aurait existé dès 1777 à
Quatzenheim (Twatzene) dans la maison d'un particulier. C'est vraisemblablement
ce même bâtiment qui fut transformé en synagogue en 1819. Aménagée en salle de réunion durant la seconde guerre mondiale, elle ne rouvrit plus jamais ses portes, la communauté ayant été décimée par les déportations. Les offices se déroulèrent dans l'oratoire, situé dans le même édifice jusqu'en 1980. Quatzenheim était siège de rabbinat de 1880 à 1910. |
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Chers amis, j'espère qu'on entend
le haut parleur marche
ça va. Après avoir mangé des Gäns
krayele comme ceux qu'on nous a offerts tout a l'heure, il fallait un trou
normand, on s'est servi de moi. (rires)
Je me rappelle en 1950 ou 51 j'étais rabbin à Bischheim, et on
m'a appelé un beau jour à célébrer un mariage à
Quatzenheim. Je crois que c'était le dernier mariage qui se soit célébré
là-bas. Le marié était un vieux copain à moi J'étais
alors en vacances du côté de Paris et je me suis rendu je suis
venu le marier. Puis au cours de la réception j'ai entendu quelques vieux
de Quatzenheim, il n'y en avait plus beaucoup qui parlaient entre eux. Tout
d'un coup il y a l'un d'entre eux qui dit à l'autre "Hosch's
gseye, der Pollack hot güt gerdet " ("tu as vu, il a
bien parlé ce pollack ").
Alors je suis arrivé dans ce village, et j'ai rencontré celui qui était le Godel-Isch du village, de la Khillé, c'était le 'Hazen . Un rabbin y'en avait plus. Je dois vous dire que c'est des années et années plus tard, peut-être parce que j'avais été passionné par mes souvenirs de Twazene que je me suis intéressé à l'histoire des juifs d'Alsace. Et me suis rendu compte que cette communauté de Twazene était une communauté importante ! Qu'il n'y a pas si longtemps c'était une communauté qui était le centre d'un rabbinat, et que jusqu'en 1910 y avait un rabbin à Twazene, le dernier c'était le pauvre Max Gugenheim selig, qui a quitté Twazene pour aller à Westhoffen, et qui de Westhoffen est allé à Bouxwiller pour finir à Saverne, mais que pendant au moins cinquante ou soixante ans, Twazene était un rabbinat.
Quand moi j'y suis arrivé, il restait plus grand-chose de ce rabbinat. Je vous ai dit il y avait une quinzaine de familles et moi j'habitais à l'école, à la yitte école . Il n'y avait plus d'école juive, il n'y avait plus d'instituteur, le dernier avait été Moïse Bloch que tout le monde a connu à Strasbourg, mais à Twazene restait un 'hazan. Et ce 'hazan, il groupait autour de lui l'ensemble de la Khillé. Quand on venait à la choule, il était là. En semaine évidement il n'y avait plus Schül , sauf quand quelqu'un avait Jahrzeit , il y avait un merveilleux Kaalshüs, et c'était toujours le même 'hazan que j'ai connu là-bas. Et c'est lui qui nous faisait l'enseignement religieux.
La première fois que je suis arrivé là-bas, moi je venais
d'un Talmud-Torah, on m'avait appris un tas de choses, du moins je croyais !
Je suis arrivé là-bas, il me dit : "Hol das deutsche
lese Buch" ("amène le livre de lecture en allemand").
Je savais pas l'allemand moi ! Au lycée à Strasbourg on n'apprenait
pas l'allemand en classe de 10ème comme à l'école primaire !
"Dein deutsche lese Buch!" Alors j'ai sorti de mon cartable un
livre qui était pour moi du chinois, il m'a dit : "Jetz schreib
mir das ab" ("Copie-moi cela !"). Je devais lui
copier quelque chose que je connaissais pas. Quand j'ai essayé péniblement
d'écrire les lettres, il s'est fichu de moi et m'a dit : "Nein
auf yeddisch" ("Non ! En caractères hébraïques !").
On m'avait pas appris à écrire ! Je savais lire, je savais
même traduire, je connaissais mes prières par cur, mais écrire
en cursives ou en imprimé, çà, au 'heder on
me l'avait pas appris à Strasbourg encore. Alors j'ai passé des
mois à écrire "Paul hat Zahnwe
Peter geht mit ihm
zum Zahnartz
" ("Paul a une rage de dents, et Peter va
avec lui chez le dentiste"), tout le monde nous faisions çà.
Et quand on avait copié çà, alors il disait "Jetz
Bensch" ("et
maintenant le Birkath Hamazon - ). Alors on commençait à
réciter le Bensch, à réciter, réciter, réciter,
et après on commençait par le Shema. Mais à force
de le dire, à force de répéter, finalement on en avait quand
même appris quelque chose. Nous n'étions pas nombreux. Je crois qu'on
était en tout et pour tout une dizaine d'enfants de tous les âges,
et comme il n'y avait plus d'école juive, on allait à l'école
communale.
Çà c'était extraordinaire. Parce que le Shavess
matin y'avait pas classe pour nous. Cà datait probablement d'une époque
très reculée. L'enseignement religieux, c'était un village
protestant, l'enseignement religieux était donné le Shavess
matin de 8 à 10 pour permettre aux enfants juifs d'aller à la
Schül
mais à 10 heures il
fallait être à l'école. Et pendant les deux années
que j'ai passé là-bas, j'étais tous les Shavess
matin à la Schül, et à 10 heures la Schül
était terminée, et puis on allait à l'école. Un
gosse qui écrivait le Shavess çà n'existait pas.
Le non-juif du village n'aurait pas compris cela ! Alors la journée
du Shavess était assez longue, en effet : on revenait de l'école
à midi, l'après-midi au début de l'après-midi on
allait à la Min'he-Schül
, puis on retournait à l'école où il fallait chanter
les cantiques du samedi soir dans un village protestant, "Jour du Seigneur,
ouvre mon cur à ta douce prière", oui je me rappelle
même çà ! (rires) Et ensuite on attendait dans le Schül-Hof
, que le Shabath se termine et pour qu'on aille à la Maaref-
Schül.
Mais ce qui était extraordinaire, qui m'avait toujours marqué, c'est la petite Kaalshüs à côté. Et je me rappelle à une époque où quelqu'un était Aufel là-bas, et qu'on allait à la choule tous les soirs, je me souviens des soirs d'hiver, où je partais de chez moi, moi aussi je disais Kadish à l'époque, j'avais huit ans, donc j'étais à la Aufel- Schül le soir aussi, on traversait le village froid, sous la neige souvent, et surtout dans une obscurité totale, et on rentrait dans cette petite pièce surchauffée, c'était quelque chose d'absolument merveilleux, on avait l'impression qu'on venait de l'enfer et qu'on entrait au paradis !
C'est là que j'ai appris pour la première fois qu'on pouvait
être un Baal-pfilé et qu'on n'avait
absolument pas besoin forcément d'être un 'Hazen.
Et c'est là aussi que j'ai pris l'accent alsacien dans la prononciation
de l'hébreu. Pour moi, un beith sans point c'était un weiss ;
là j'ai appris que c'était un feiss ! (rires). De
nouveau pour moi, là-bas je disais Le'elo
mikol bikhausso , là-bas j'ai dit, j'ai appris qu'il fallait dire
"LeYEylo" ! Mais c'était quelque chose de typiquement
du terroir.
Il y avait dans cette communauté un cimetière extraordinaire. Un cimetière qui était situé, vous le connaissez peut-être encore aujourd'hui, qui était situé en hauteur, comme la plupart des cimetières en Alsace, mais c'est pas cette partie moderne qui m'intéressait. Mais j'étais intrigué par une partie qui était un peu plus en contrebas, et qu'on voyait de l'extérieur à travers une grille, où une pierre tombale était semblable à l'autre. C'est des années plus tard que je me suis promené là-dedans et que j'ai vu que c'était le cimetière datant de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle de cette communauté. A cette époque-là les pierres étaient les mêmes, riches ou pauvres, et ce n'est que plus tard qu'on a vu des pierres tombales qui variaient proportionnellement à la situation sociale des uns ou des autres dans le village.
Mais à l'intérieur de la communauté-même on s'apercevait pas de çà. Autour de ce 'Hazen qui était vraiment, pour les enfants, pour les enfants que nous étions c'était le Bon Dieu en personne. Quand il vous regardait, ou quand il vous demandait de lui faire une commission et çà arrivait tous les jours, on courrait ! Mais là où je l'ai vu pour la première fois dans ses fonctions c'était quand il schäshte (procédait à l'abattage rituel). Il m'arrivait aussi de devoir lui amener une volaille et il faisait la she'hita de la volaille, mais pour les gosses que nous étions le grand moment c'était lorsqu'un des deux bouchers faisait abattre. Alors y'avait la boucherie, à côté y'avait une espèce de hangar, une espèce de garage, et tout-à-coup on venait là-bas, on voyait une grosse bête couchée, et on attendait que le sho'heth arrive pour schäshte. Seulement, ce qu'on nous racontait dans le creux de l'oreille, c'est quand il s'agissait d'un taureau, le sho'heth il ne le faisait pas. Il avait tellement peur qu'on faisait venir le sho'heth de Wasselone (rires).
Et bien j'ai passé là-dedans, j'ai passé deux ans. Deux ans au cours desquels j'ai appris le yédish-daïtsch parce que les vieux ne parlaient que le yédish-daïtsch. Les enfants que nous étions le comprenions mais nous ne le parlions pas. C'était un peu comme chez moi à la maison : mes parents me parlaient en yidish, et moi je répondais en alsacien. C'est lorsque j'étais adulte, au séminaire et plus tard, que j'ai appris le yidish ; à Strasbourg je ne le connaissais pas. A Twazene, j'ai appris à comprendre le yédish-daïtsch mais je ne savais pas le parler. Il a fallu attendre la guerre et le maquis pour qu'avec des copains, pour se rappeler que nous étions quand même d'ici nous ayons commencé à parler yédish-daïtsch , et ensuite j'ai eu le privilège d'être à Bischheim et d'avoir un excellent mentor, qui m'a permis d'apprendre ce que, pendant des années et des années, j'avais eu le temps d'oublier.
Je parle de Twazene avec énormément d'émotion. Je vous rappelle, c'était une communauté parmi un certain nombre de Khilless de cette région. Dans la région du Kochersberg. De quand datait la communauté, personne n'était capable de me le dire. Elle était probablement devenue une communauté d'une certaine importance avant la Révolution. Mais comme il y avait beaucoup d'autres communautés à côté, il y avait Kuttolsheim, il y avait Wintzenheim. Wintzenhe (Wintzenheim), Kittelse (Kuttolsheim) (Wintzenheim), Twazene (Quatzenheim) c'était trois communautés qui dépendaient d'un même rabbin. Et au 19ème siècle, lorsque le rabbin de Kittelse est mort, et qu'il a été remplacé, son remplaçant il a préféré s'installer à Wintzenhe. Et quand lui est mort, son successeur a préféré Twazene, et c'est comme ceci que Twazene est devenu un rabbinat. Mais ces trois communautés, çà allait toujours ensemble.
Pour moi, comme gosse, cette communauté me paraissait énorme ! J'y suis retourné après la guerre. J'étais marié, j'avais des enfants, la première fois que j'y suis retourné c'est quand j'avais une voiture, en été. Et quand j'ai voulu montrer à mes enfants ce grand village dans lequel j'avais passé deux ans de mon enfance, j'ai pas eu le temps de leur dire "nous sommes à Twazene" que la voiture était déjà à l'autre bout du village ! (rires) C'était effectivement une commune toute petite ! Trois cents, trois cent cinquante habitants, c'était tout ce qui restait. Et quand on pense qu'il y a deux ou trois générations il y avait là un nombre de familles qui prouvait qu'il y avait cent cinquante ou deux cents juifs, au moins qui y habitaient, c'est vous dire l'importance et la place qu'ils tenaient dans cette commune.
Je me rappellerai toujours ce qui était à l'époque encore
une communauté vivante. Le Shavess était
un Shavess pour tout le monde. Et quand un Schnorrer
venait dans le village, à l'époque il y avait encore des Schnorrers
alsaciens, mais ils étaient déjà remplacés en
partie par des Schnorrers venus d'Europe de l'Est, mais y'en avait encore
l'un ou l'autre qui venait de temps en temps. Mais le Shavess, c'était
quelque chose de sacro-saint pour tout le monde. On racontait bien que de temps
en temps y'avait quelqu'un qui prenait le tram pour aller à Strasbourg
pour revenir du Maukem ! Mais comme la gare se
trouvait à un kilomètre du village, à moins d'y aller,
on pouvait pas le voir.
Et alors, lorsque c'était un Yontef,
je me souviendrai encore, qu'un des Bâle
Batim de la communauté a pris les enfants avec lui, et est allé
se promener avec eux en direction de Strasbourg. On est allé presque jusqu'à
Ittenheim, vous savez sur la grande route, où tout-à-coup on voit
la cathédrale de Strasbourg de loin. Je crois que çà devait
être au moment de Shavouoth. Et cette promenade, j'ai essayé de la
refaire en voiture. Cette promenade est un des souvenirs que le gosse de huit
ans que j'étais à l'époque a gardé gravé au
fond de lui-même. Cette promenade, la synagogue, et surtout un parokheth
splendide en velours bleu, avec je crois, en broderie, la 'akédath Ytzhak,
le sacrifice d'Isaac. Et encore l'image de ce 'hazan avec une grande barbe
blanche, et dont je sais qu'il est mort après la guerre presque centenaire,
à Lyon.
Je suis revenu après la guerre et j'ai recherché cela. J'ai vu
l'école juive où j'avais habité, c'était devenu
le bureau de poste. J'ai cherché la maison du 'hazan,
les Allemands l'avaient démolie. C'était une maison qui aurait
pu rentrer probablement dans un des coins de cette salle-à-manger. C'était
quelque chose de minuscule ! J'ai retrouvé l'endroit vide, y'avait de
quoi construire une baraque ou de planter deux tentes. Les seules maisons qui
ont disparu pendant la guerre, c'étaient trois maisons juives, qui étaient
de vieilles maisons, appartenant probablement à des familles très
très modestes, et qui ont été arrachées, et remplacées
après la guerre par des maisons neuves.
Ce ceux que j'ai connus, il n'y en plus un seul qui habite là-bas. Quelques-uns habitent la ville, d'autres habitent ailleurs en France, mais le souvenir que moi j'ai gardé de Twazene c'est quelque chose qui m'a entièrement pénétré. Et je ne parle pas maintenant pour parler, c'est quelque chose qui me vient vraiment du fond du cur. Parce que j'ai trouvé là-dedans quelque chose de différent et de nouveau par rapport à l'éducation que moi j'avais reçue. Et peut-être est-ce un des facteurs qui a fait que plus tard j'ai choisi la carrière rabbinique. Et je terminerai sur cela, en évoquant ce que j'ai vu pour la première fois comme gosse là-bas : un jour quelqu'un est mort dans le village. Un juif est mort dans le village. Et tout-à-coup j'ai vu arriver un homme en chapeau melon, en costume sombre avec un pantalon hochwasser et on a dit "c'est le rabbin". Et puis je suis allé comme tout le monde voir ce qui se passait à cet enterrement, dans la cour de la maison où il habitait. Et je vois le même homme habillé en curé, avec un chapeau de curé, avec une soutane qui avait hochwasser elle aussi, et qui a fait un discours en allemand. Cet homme je le connaissais pas. Puis je l'ai entendu, au moment des seli'hess, parler à la foule, très beau discours en allemand, très beau pour l'enfant que j'étais, j'avais probablement rien compris, mais çà me faisait l'impression d'être très beau. Et puis plus tard, lorsque je suis retourné à Strasbourg après avoir passé deux ans là-bas, j'ai retrouvé le même rabbin. Il est devenu mon professeur au Talmud Torah. Je me suis aperçu que ce rabbin, qui pour moi était quelque chose d'indéfinissable à l'époque, était un homme d'une bonté, d'une érudition, d'une gentillesse extraordinaires. C'était le Rabbin Jérôme Lévy d'Obernai. Et je me suis très attaché à lui, il a été mon professeur jusqu'au moment de la guerre, vous savez qu'il est mort pendant la guerre et qu'il n'est pas revenu, et c'est peut-être aussi un de ceux qui a provoqué plus tard de façon insensible, le choix que j'ai fait de ma carrière rabbinique.
Mais je crois que ce que m'ont donné, dans cette période de
mon enfance, une communauté comme celle de Twazene, ce que j'ai connu
ensuite pendant les cinq premières années de ma carrière
rabbinique dans une communauté qui avait été une communauté
brillante et qui n'était plus qu'une petite communauté, je parle
de Bischheim, çà a été quelque chose d'absolument
déterminant, et si aujourd'hui je me sens à l'aise dans une communauté
d'Alsace, c'est peut-être à cause de ce que j'ai appris dans de
petites communautés.
Je vous remercie (applaudissements).
Illustrations : © Michel Rothé
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