Lors de l'exposition sur Rachi en 2005, une communauté juive au 12ème siècle était mentionnée
à Belfort sur une carte des communautés médiévales. Que peut-on en dire ?
Georges Bischoff, historien des 700 ans de Belfort
Interrogé par Marie-Antoinette Vacelet en 2006, Georges Bischoff répondit ceci :
"A propos des Juifs d'Alsace et du Comté de Bourgogne.
Une certitude : il n'existe pas de privilège spécifique accordé en 1307 (1) à des Juifs habitants Belfort.
Cela dit, vers 1307 (2), le roi de France a procédé à l'expulsion des juifs de son royaume : il est fort probable que des expulsés se sont alors fixés dans la région (il existait, en Alsace notamment, des communautés prospères et bien intégrées). Belfort a pu en accueillir un groupe, pas forcément tout de suite. Il existe (à vérifier) une attestation vers 1336 (...).
La question à propos des Juifs belfortains m'a incité à reprendre la notice de la Germania Judaica (3) :
Cette petite notice rappelle que la charte de 1307 ne concerne pas les Juifs, mais que ceux-ci apparaissent en 1332 dans la personne d'Elia/Elyet de Belfort, domicilié à Vesoul (mais originaire de Belfort). En 1336, on signale deux prêteurs, dont Maître Aguin, dont il est question dans un document dont on n'indique pas la source précise, aux archives d'Innsbrück.
L'auteur de la notice estime que cette petite communauté a été dispersée ou anéantie peu après, lors des pogroms du "roi Armleder" en 1338: il se fonde sur un Memorbuch (4) de Nuremberg édité en 1898 par Salfeld (je ne l'ai pas encore vu). Ces indications sont très ténues, mais on peut les mettre en relation avec le "trou aux juifs" cité dans un livre de compte, beaucoup plus tard.
Il est probable que ces juifs ont fait partie de la première vague expulsée du royaume de France vers 1306 (ou après). Leurs noms ont une consonance française.
On peut remarquer que leur présence témoigne de l'importance économique de la ville, où étaient déjà cités deux lombards d'Asti au tout début du 14ème siècle."
Héliot de Vesoul, Vivant et Maître Aguin : prêteurs juifs du nord Franche-Comté
Dans Histoire des Juifs Bourguignons (5) de Henri-Claude Bloch, il est précisément question de "L'association financière et économique de Héliot de Vesoul".
Les manuscrits (livres de compte) (6) en hébreu furent découverts aux archives départementales de la Côte d'Or, vers les années 1880. Le rabbin et historien Isidore Loeb et Léon Gauthier étudièrent complètement ces documents en 1885.
Ecrits et annotés, en hébreu ou en patois français en caractères hébreux, ces manuscrits ont donné une nouvelle connaissance de la vie juive au moyen âge dans la France du Nord ainsi que les mécanismes de l'activité financière de ces prêteurs qui contribuaient à l'économie de la région.
Alors que la présence juive serait signalée à Vesoul vers 1250. La présence des banques juives et lombardes s'y créent, sur la voie de communication Sud-Nord, qui reliait Provence, Italie, Suisse, Allemagne.
Un certain développement économique est dû à Othon IV de Méranie (dépensier, et ami de Heliot) qui devint Comte de Bourgogne de 1270 à 1303, ruiné par les Lombards, et à Eudes IV.
Les activités d'Héliot, de son fils Vivant (Haïm en hébreu), et de son gendre Aguin, s'étendaient sur une région élargie, bien que Belfort ne soit pas mentionné expressément, il est question entre autres localités, de Pontarlier, Villersexel, Luxeuil (7).
Ils ont prêté des sommes à Othon IV, à Mahaut d'Artois pour le mariage de sa fille en 1311, à Henri de Bourgogne, neveu d'Othon IV qui logeait chez Héliot lorsqu'il passait à Vesoul.
Une quittance fut délivrée à Othenin et Huguenin de Saint-Loup, fils de feu Geoffroy de Faucogney ...(charte du 31 mai 1297) à Montbéliard.
Les activités économiques et caritatives d'Héliot : L'association s'occupe aussi de la perception d'impôts et dons, à titre de fermiers, pour le trésor du comté, et quelques seigneuries.
Le dénombrement compte 95 Juifs de Vesoul, apparentés aux Héliot. Ce qui est considérable.
Parmi les familles apparentées, Les Sansinet de Montbéliard, 3 familles Aquinet ou Aguin, des familles de Gray, de Port sur Saône....Arbois, Chissey, Dole, Baume-les-Dames, Salins...
Partout où les Héliot commerçaient, il y avait un cimetière, comme à Besançon, Vesoul, Mont-Bozon...
Héliot, est un homme pieux, il entretient synagogue, yeshivah, assemblée des rabbins, maison d'école, cimetière, boucherie.
Il vient au secours des démunis, en payant pour eux, impôts trop lourds, il intervient pour éviter les arrestations arbitraires, sauver les enfants, les Juifs du bûcher, du bannissement et des confiscations.
En 1315, il est commissaire des Juifs de France et pour le rapatriement des Juifs du Languedoc (Louis le Hutin autorise le retour des Juifs pour douze ans; cette échéance n'ira pas jusqu'à son terme).
L'expulsion de 1321
En 1321, Philippe V le Long rend à nouveau exécutoire l'expulsion du royaume de France et du comté de Bourgogne, et ordonne de délivrer tous les biens confisqués à Héliot de Vesoul et son fils Vivant (Haïm), aux gens de la reine Jeanne de Bourgogne. La maison d'Héliot fut donnée en 1324 à une dame d'atours de la reine Jeanne, Marguerite de Lambey. Des Juifs se dirigent alors vers la Franche-Comté, faisant suivre leur patronyme de l'épithète "nouveau" ou "venu de Novel". En 1325, l'association était entre les mains de Vivant et de Maître Aguin et disparut avant 1347. Les archives d'Innsbruck mentionnent deux prêteurs juifs dont Maître Aguin à Belfort en 1336
On trouve des traces de la famille d'Héliot de Vesoul en Savoie, lors d'un procès qui suivit l'épidémie de peste, à Besançon et en Espagne Navarre. Là, les Juifs réfugiés en 1325 portent des noms du comté :
"Acquin, Bonavia, Aron et Francès, Vivant, Hélias, Bonevie...."
On relate, alors que ce sont les comtes d'Evreux qui règnent sur la Navarre : "Cinq Juifs, marchands français et pauvres, qui ne peuvent payer leur Pecha."
Seraient-ils de retour à Belfort, vers 1332 pour disparaître définitivement en 1338 ?
Il est aussi fait mention d'un Eliet de Fiorimont "neveu du mestre de la by des Juifs de Vesoul", comté de Bourgogne, 1335-1337.
Ensuite, les Juifs ne seront admis à Belfort que convertis. Selon la conférence donnée par André Larger en 2004, nous trouvons la trace d'un Jehan Andrey et Christophe, bourgeois de la ville en 1449 : "Jehan Andrey et Christophe et leurs a sainques la ville leur bourgeoisie pour cause qu'ils étaient juifs et ils sont devenus chrétiens et furent baptisés, leurs femmes et enfants qui étaient douze personnes en nombre, le jour des Bordes et le jeudi après Reminiscere l'an 1449" (8). Dans le compte de la ville de 1473, il est dit : "Item bailler à Hernement le Favres pour refaire la soillie au juifz qui avait prestez pour aydier à vuydier ledit puix desoub le mostier".
Le Manuscrit de Belfort (9) : un commentaire du Talmud de Rachi de Troyes, du XIVème siècle
Ce manuscrit est l'un des plus anciens documents du fonds d'Archives Municipales de Belfort.
La seule présence de ce manuscrit aux Archives Municipales de Belfort, attesterait d'une présence juive au 14ème siècle à Belfort, celle de Juifs lettrés, capables de se procurer des commentaires écrits par un Sofer (scribe juif).
Rien n'indique l'histoire de ce document ni comment il est arrivé aux Archives. N'étant pas annoté, il n'aurait pas été étudié par des moines.
N'étant pas ni découpé ni entamé, il n'a pas été réutilisé. Le texte est entier, sans fioriture ni enluminure.
Concernant le commentaire du Talmud sur le chapitre traitant du Shabath, on peut en déduire qu'il servait à l'étude de Juifs pieux et lettrés.
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