La lampe de Shabath est revenue...
Bulletin Communal de Durmenach, février 2011
avec l'aimable autorisation de Sabine DREXLER,
première Adjointe au Maire de Durmenach


Ceux qui ont été présents lors des cérémonies du 8 novembre 2009 se souviennent sans aucun doute de la silhouette d'Edouard Wahl venu à Durmenach rendre hommage, comme des dizaines d'autres descendants, aux membres de sa famille décédés lors des guerres mondiales.

Cet automne, Edouard et sa compagne Eveline ont refait la route, traversant la Suisse en train depuis le Tessin où ils habitent, accueillis à bras ouverts par Simone et Joseph Wilhelm que le hasard, si hasard il y a, a mis sur leur route il y a un peu plus d'une année maintenant.

Edouard WAHL, âgé de près de 90 ans est issu d'une famille juive de notre village. Il est le fils de Rosine WAHL née PICARD.

Les parents de Rosine, Samuel PICARD et Caroline née BLOCH ont eu 9 enfants : Emma, Marix, Reine, Elise, Albert, Fanny, Jules, Maurice et Rosine, la maman d'Edouard, la plus jeune de la fratrie.
  1. Albert
  2. Samuel : fondateur de la boucherie Picard, au début de la rue de l'Eglise
  3. Emma, épouse de Léopold Marx, décédée à Auschwitz
  4. Fanny, épouse de Picard Emile, victime de la première guerre mondiale.
  5. Caroline, née Bloch
  6. Jules
  7. Elise, épouse de Lévy Isaac
  8. Marix

  1. Léopold Marx
  2. Emma Marx-Picard (décédée à Auschwitz)
  3. Palmyre Picard (ép. de Marix)
  4. Marix Picard
  5. Lucie (ép. de Maurice Picard)
  6. Maurice Picard
  7. Fanny Picard-Picard (veuve d'Emile Picard)
  1. Reine Marx-Picard (décédée à Auschwitz)
  2. Caroline Picard-Bloch
  3. Elise Lévy-Picard
  4. Albert Picard
  5. Yvonne Marx (fille de Emma)
  6. Rosine Wahl-Picard (mère d'Edouard Wahl)

Rosine a habité la maison paternelle jusqu'à son mariage
en 1915 avec Camille WAHL.

Cette maison, située au début de la rue de l'église, abritait
la boucherie, créée par Samuel le père de Rosine et reprise
plus tard par la famille Kirscher.

On reconnaît la tête de boeuf qui se trouve maintenant sur
la façade du Marché U.

A gauche Palmyre, épouse de Marix PICARD. Nous sommes
en 1916 et Marix est mobilisé dans l'armée allemande.

A droite, Rosine PICARD, épouse de Camille WAHL
et mère d'Edouard WAHL.

Edouard WAHL est le neveu d'Emma et Reine MARX, victimes de la Shoah, et d'Emile PICARD, époux de sa tante Fanny dont les noms sont gravés sur les stèles du Monument aux Morts.

Emma, son mari Léopold et Reine ont été arrêtés ensemble à Gray, en Haute Saône et sont arrivés au camp de Drancy le 18 mars 1944 et déportés à Auschwitz par le convoi 70 le 27 mars. Emma y est décédée le 30 mars à l'âge de 70 ans, Reine le 3 avril, à l'âge de 67 ans.

Février 44

"Mes chers,
Nous sommes tous les trois en voyage avec beaucoup d'autres,
vous pouvez imaginer comment nous nous sentons. Pour vous,
nous sommes morts. Faites que vos enfants s'en aillent.
Six hommes sont venus nous chercher. Nous sommes au
commissariat de police. S'il vous plaît faites le savoir à tante
Fanny et oncle Maurice.
Les enfants sont en vacances…
Nos salutations et baisers nombreux pour l'éternité
et je reste votre Maman."

traduction de la lettre envoyée par Emma MARX-PICARD après son
arrestation et avant son transfert à Auschwitz

Edouard Wahl a ramené dans ses bagages un bien précieux objet, un objet symbolique du rituel juif, qu'il a tenu à offrir à Durmenach.
Il s'agit de la lampe de Shabath, allumée chaque vendredi soir durant des décennies, dans le foyer de ses grands parents, rue de l'Église.
Ce luminaire, suspendu à une tige, a une base en étoile pour y recevoir l'huile et des mèches. L'huile est recueillie dans un petit récipient situé au-dessous.
Il n'en fallait pas plus pour rappeler à certains de bien lointains souvenirs…

Le Shabath commence le vendredi au coucher du soleil et s'achève environ 25 heures plus tard, le samedi soir, avec l'apparition des 3 premières étoiles.
Le mot Shabath est synonyme de repos et de rencontre et pour qu'une rencontre soit vraie, il faut être dégagé de tout souci, le Shabath est un jour de repos complet. Sanctifier le Shabath c'est le célébrer en participant à l'office synagogal, en étudiant la Torah et en resserrant les liens de la famille qui est un lieu de culte davantage encore que la synagogue.

Le vendredi en fin de journée, avant l'apparition de la première étoile, la maîtresse de maison s'active à rendre sa demeure belle et accueillante.
Dès l'entrée en Shabath elle allume la lampe en récitant cette bénédiction "Tu es béni Seigneur notre Dieu, Roi du Monde qui nous a sanctifiés par les commandements et nous a ordonné d'allumer les lumières du Shabath". Au retour de la synagogue le mari bénit sa femme, ses enfants et tous les parents.

Au sortir du Shabath, on célèbre le plus souvent à la maison, un très bref office : la Havdalah, "séparation" d'avec le sacré pour retrouver l'ordinaire.

Dans la culture et la religion juives, le Shabath est le septième jour de la semaine ; celui qui, selon les écrits bibliques correspond au jour où l'Eternel s'est reposé après avoir achevé la création du monde.

C'est le samedi, jour de Shabath, que l'établissement "Au Cygne" rue de l'Ill, café tenu par Marie Burger, l'aïeule de Georges Burger, était le plus fréquenté. Le café était d'ailleurs surnommé "d'judawertschaft" en raison de la grande fréquentation du lieu par les juifs de la commune qui y étaient bien accueillis et venaient s'y retrouver pour des moments de discussion et des parties de dominos.

Les colporteurs, qui en semaine sillonnaient les routes de la région, ne manquaient jamais de rentrer à temps pour le Shabath.

Il est proscrit à tout observant juif d'effectuer le moindre travail le jour du Shabath, 39 interdictions découlent du respect de ce jour comme semer, labourer, moissonner, couper, coudre, déchirer, écrire, tracer ou faire un noeud. Parmi les autres interdictions : celle d'utiliser l'électricité, les moyens de transport, pétrir, cuire au four, cuisiner, allumer ou éteindre un feu, écrire...
C'est ainsi que plusieurs de nos anciens, comme Joseph Wilhelm, Désiré Fink, ou encore Léonie Bachmann née Hillmeyer, la grand-mère de Bernard Kuntz, ont maintes fois endossé le rôle de Shabbes Goy.
Un Shabbes goy est une personne qui aide régulièrement une personne ou une organisation juive en exécutant pour elle certains actes que la loi juive lui interdit le jour du Shabath. L'expression combine le mot "Shabbes", qui se réfère au Shabath, et le mot "goy", qui désigne "l'étranger" ou "le non-juif".
Compte tenu de l'interdiction que fait la loi juive d'exercer certains types de travaux à l'occasion du Shabath, il est autorisé qu'un non-juif effectue ces actes de la vie courante, pour ses amis ou voisins juifs. C'est ainsi qu'à Durmenach, certains habitants remplissaient ce rôle fraternel de "Shabbes goyim", pour entretenir les fourneaux dans les maisons juives, allumer et éteindre les lumières ou chercher du bois…
Aux Etats-Unis, les hommes politiques Colin Powell et Mario Cuomo aidèrent tous deux leurs voisins juifs de cette façon, dans leur jeunesse. Ce fut également le cas des artistes Martin Scorsese et Elvis Presley, au cours de leur adolescence.

De nos jours, toutes ces prescriptions du Shabath ne sont plus strictement observées que par une petite frange des communautés. D'autres les ont adaptées à leur rythme de vie moderne, les observent plus ou moins partiellement ou pas du tout. Par exemple, les enfants qui vont dans les établissements publics, la majorité, vont à l'école le samedi. Les parents ne se posent pas la question du Shabath. Comme dans les religions chrétiennes, chacun prend ce qu'il veut ou ce qu'il peut…

Simone a beaucoup frotté la lampe pour lui redonner son éclat d'antan, elle ne se doutait pas qu'elle se mettrait à parler…

Article rédigé à partir de recherches menées par Jean-Camille Bloch, Bernard Mislin
et Sabine Drexler-Lacotte avec l'aimable autorisation d'Edouard Wahl.


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