Ce fut un jour de l'an Il de la République une et indivisible que la municipalité du village d'Habsheim mit à la disposition de l'autorité militaire la synagogue de ce lieu et, accourue pour sauver la patrie en danger, l'intendance convertit le temple en magasin à fourrages et en dépôt de grains. Les chants sacrés furent remplacés par les cris de joie des souris et des rats et le parvis saint, abandonné des fidèles, devint le champ des exploits sportifs de la gent trotte-menue.
La cession désinvolte de la synagogue par le conseil municipal d'Habsheim à l'autorité militaire était pourtant d'abus. La synagogue était propriété privée ; les actes notariés du 20 octobre 1738 - vraisemblablement date d'achat ou de la construction du bâtiment, du 20 août 1772, du 10 juillet 1777, et du 2 juillet 1784 prouvaient sans conteste possible, les titres à la possession et, quoique le bien d'une secte religieuse, la synagogue échappait au sort des églises et chapelles de par la loi des cultes : elle n'était pas et, ne pouvait pas être considérée comme domaine national.
La municipalité avait commis en outre un acte de partialité. Au lieu de répondre à la demande de réquisition de l'Intendance militaire par l'offre de la chapelle, elle avait fait expulser de cette chapelle les divers services de l'armée qui s'y étaient spontanément établis, les avait fait transporter en un local loué à ses frais, et avait rétabli le culte dans la chapelle. De par la loi, la municipalité aurait dû mettre à là disposition de l'armée les bâtiments de l'Etat, c'est-à-dire, l'église et la chapelle avant de réquisitionner, surtout à titre onéreux, les maisons privées, c'est-à-dire la synagogue.
Dépossédés de cette sorte de leur lieu de culte, les israélites d'Habsheim en appelèrent au directoire du district d'Altkirch ; les plus notables d'entre eux Samuel Levy, Michel Schwob et Jacques Brunschwig déposèrent une pétition tendant à rentrer en possession immédiate du local. Le tribunal leur donne gain de cause et condamna la municipalité à se concerter avec le garde-magasin pour transporter vivres et denrées de l'armée en un autre local. Mais la municipalité mit mauvaise grâce à se soumettre ; elle opposa même l'indifférence à la sentence du tribunal. Les israélites ne laissèrent pas d'user de la même obstination ; ils revinrent porter leurs doléances devant le directoire du district d'Altkirch, et celui-ci délégua un de ses membres, le citoyen Stouff auprès de la municipalité d'Habsheim pour éteindre le conflit et trouver solution heureuse et légale. La démarche du commissaire-délégué fut sans succès et les israélites revinrent dans le tribunal. Les juges prononcèrent l'arrêt suivant que nous croyons inconnu et qui intéressera les lecteurs de la "Tribune", nous le voulons penser :
"Vu la pétition présentée par Samuel Lévy, Michel Schwob, Jacques Brunschwig, Leib Brunschwig et consorts de Habsheim expositive que sur une première pétition par eux donnée tendante à rentrer dans la jouissance et libre possession d'une maison et bâtiment y attaché situés dans la commune du dit Habsheim servant à l'exercice de leur culte, le directoire du district d'Altkirch a rendu un arrêté le 9 floréal dernier, qui charge la municipalité du dit Habsheim de se concerter avec le grand-magasin des fourrages militaires du lieu pour procurer un autre emplacement propre à y établir son magasin, En conséquence de faire évacuer les bâtiments dont s'agit pour les Pétitionnaires les employer à quoi ils les jugeront convenables : que malgré les dispositions de cet arrêté la municipalité reste dans l'inaction et semble en faire mépris, que pour cet effet ils demandent à ce qu'il soit enjoint à cette municipalité de se conformer au dit arrêté. Et en cas de refus nommer provisoirement un commissaire qui désignera au garde magazin des fourrages un bâtiment autre que celui des pétitionnaires, dans lequel il pourra placer les fourrages ; se réservant les pétitionnaires, leurs droits contre qui il appartiendra pour se
récupérer des pertes qui leur résultent du fait des dégradations et distractions des meubles et effets des dits bâtiments.
Vu aussi la première pétition, l'arrêté du dit Directoire du dit jour 9 floréal der un second arrêté dud. district du 29 du même mois, par lequel il, nomme le citoyen Stouff l'un de ses membres pour vérifier contradictoirement avec la municipalité de Habsheim les deux Pétitions dont il s'agit, qui prendra des renseignements sur un local ou emplacement qu'il croira propre à servir de magazin ; le procès verbal de vérification, dressé par le d. commissaire le 5 du courant, les titres de propriété du bâtiment des pétitionnaires des 29 octobre 1738, 20 août 1772, 10 juillet 1777 et 2 juillet 1784, Et l'avis du dit district du 12 courant n° 6759, par lequel considérant que les circonstances impérieuses exigent l'établissement d'un magazin des fourrages dans la commune de Habsheim, que le local pour cet établissement doit d'abord être choisi dans la cy-devant Eglise et la cy-devant chapelle du dit lieu puisqu'ils sont domaines nationaux, puis en cas d'insuffisance dans la synagogue, quoique propriété particulière, attendu qu'elle appartient à une secte, avant qu'une charge de cette espèce ne rejaillisse sur tout autre individu de la commune ; que quand bien même la municipalité de Habsheim auroit mal a propos fait évacuer la cy-devant chapelle pour y exercer son culte, il n'est pas moins constant qu'elle paye le loyer du bâtiment qu'elle fournit en remplacement : que si les pétitionnaires veulent profiter du même avantage ils n'ont qu'à user de la même voye ; considérant enfin que l'arrêté du département du haut Rhin du 9e thermidor au 2e est peu susceptible d'être rapporté, il estime qu'il n'y a pas lieu à delibérer; que cependant il doit estre enjoint a la municipalité d'employer pour magazin la cy-devant chapelle du lieu préférablement à la synagogue des pétitionnaires qui leur est propre, tandis que cette chapelle est domaine national, qui n'est nullement a la disposition de la de municipalité,
ouï le procureur général syndic
Le Directoire du département du haut Rhin considérant qu'il résulte de la loi du onze courant que les citoyens des communes auront provisoirement le libre usage des Edifices nationaux non aliénés, destinés originairement aux exercices d'un ou plusieurs cultes et dont ils étaient on possession le premier jour de l'an II de la République ; qu'ils pourront s'en servir sous la surveillance des autorités constituées tant pour les assemblées ordonnées par la Loi que pour l'exercice des cultes, Et que ces Edifices seront remis à l'usage des dits citoyens dans l'état où ils se trouvent avec la charge de les entretenir et réparer,
Considérant que les pétitionnaires sont propriétaires depuis nombre d'années d'une maison et dépendance qui a toujours servi de sinagogue pour l'exercice de leur culte et qu'ils en ont constamment joui jusque il y a environ six mois, qu'elle a été mise en réquisition pour servir de magasin de fourrages militaires,
Arrête que les Pétitionnaires rentreront provisoirement dans la possession et libre jouissance des Bâtiments dont s'agit pour y exercer leur culte, à charge par eux de se conformer à la loi du onze présent mois, à quel effet les d. bâtiments seront incessamment vuidés et pourvu à un autre emplacement pour y placer les fourrages le tout à la diligence tant de la municipalité que du garde magazin chargé de la surveillance des d. fourrages. Ce faisant rapporte quant à ce son arrêté du 9 thermidor der. n° 17 480."
L'arrêt était exécutoire manu militari même envers le garde-magasin militaire, on n'en n'arriva pas à cette rigueur : la municipalité fit vider la synagogue : souris et rats, du coup, déménagèrent ; Samuel Lévy, par Samuel Lévy, Michel Schwob, Jacques Brunschwig, Leib Brunschwig et consorts rentrèrent vainqueurs dans le lieu saint. Qu'il dut être beau le premier lekho dodi de la victoire dans la synagogue reconquise !
(…)
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