Le cimetière juif de Flévy est réputé être l'un des plus anciens du département. Henry Schumann et Jean-Bernard Lang se sont fait l'écho de cette tradition dans leurs ouvrages respectifs (1). Nous voulons présenter ici au lecteur quelques éléments issus de nos propres recherches - à la fois sur le terrain et aux Archives Départementales - afin de tenter de préciser cette réputation d'ancienneté.
Dans les années 1350, Wuillemin de Heu, qui appartenait à une puissante famille de notables messins, acquiert de Thielemann, seigneur de Rodemack, l'essentiel du village d'Ennery avec Flévy et Chelaincourt. La famille de Heu conserve la seigneurie sur ces villages (et d'autres des environs) jusqu'à la fin des années 1500 ; les biens sont alors divisés et passent par mariage à d'autres familles : citons les Eltz à Ennery, les Gray et Sennocq à Flévy et les Foës à Chelaincourt.
Dans ces villages lorrains proches de l'ancienne frontière luxembourgeoise, les seigneurs jouissaient d'une relative autonomie. Lors de la paix de Cambrai (1559), la France reconnaît la souveraineté de la province espagnole de Luxembourg sur les villages de Flévy, Ay et Trémery ; mais dans la réalité, bien que figurant sur les vieilles listes d'impôts et de fiefs, Flévy ne verse plus d'impôts depuis longtemps au Luxembourg et aucun aveu de fief n'y a été renouvelé depuis des décennies (2).
C'est dans ce contexte que Godefroy d'Eltz accueillit des Juifs à Ennery. La charte de 1608 par laquelle il accorde à Raphaël, Lazard et Hayem la permission de résider à Ennery est connue, mais nous avons découvert que ce même seigneur Godefroy avait autorisé un Juif du nom de Gumpel à s'établir dans son village dès 1571. Cet établissement constitue l'un des plus anciens de la région, avec Metz où quatre familles résident officiellement depuis 1567, et Créhange où des Juifs sont attestés dès 1589.
Comptes de l'année 1585, sous le seigneur Godefroy d'Eltz (AD Moselle, 7 F 601)Moyennant le paiement d'une taxe annuelle de 18 francs messins, le seigneur Godefroy accueille plusieurs familles sur ses terres ; ainsi en 1614, nous trouvons à Ennery les noms de Hayem, Lazard, Raphaël, Abraham et Gompel, et à Chelaincourt ceux de Lion, Juda et Isaac. Cet Isaac est le père du fameux Raphaël Lévy qui, injustement condamné pour le meurtre d'un enfant du village de Glatigny, périt sur le bûcher à Metz en 1670.
Item que le dit comptable rend ici compte qu'il a reçu de Kumpel Juif pour la permission que mon dit seigneur lui a donnée pour faire sa résidence au lieu d'Ennery jusques au bon plaisir de mon dit seigneur pour et moyennant paiement chacun an au terme de Pâques la somme de dix-huit francs messins, pour ce XVIII f
Comptes de l'année 1614/1615, sous le seigneur Godefroy d'Eltz (AD Moselle, 7 F 603)Le nombre de familles juives résidant en ces lieux varie d'une année à l'autre, mais pour la première fois il atteint le nombre de dix en 1653, année où une synagogue est ouverte au village d'Ennery et où a lieu la première circoncision. Mais leur nombre décroît à nouveau et quatre familles seulement sont recensées en 1702 ; dans l'intervalle, certaines se sont installées à Metz (leurs descendants portent le nom Dennery) ou à Louvigny (Abraham Lévy en 1686).
Bourgeoisies
J'ai reçu des Juifs d'Ennery savoir de Raphaël, Lazare, Haiem, Gumpel et Abraham Juifs de chacun dix-huit francs pour libre bourgeoisie échéant à la St George de l'an 1615 val ici 90 f
Pour la période 1650-1730, les sources sont très lacunaires et aucun document ne vient à notre secours, relatif au fonctionnement d'une synagogue ou pour mentionner la présence d'un cimetière.
Nous avons effectué une série de relevés pendant l'été 2005, à l'issue desquels nous avons fait les observations suivantes (3) :
Plus ancienne que la carte de Cassini, la carte dite des Naudin, établie
à partir de relevés effectués entre 1728 et 1739, se révèle
aussi plus précise au niveau de la configuration des villages, de l'implantation
des forêts, du réseau routier, et de l'existence de constructions
particulières (moulins, châteaux, etc).
Or cette carte indique sans ambiguïté et avec exactitude le cimetière
qui nous intéresse ici le long de la route qui mène de Flévy
à Chelaincourt.
Pour que ce cimetière soit mentionné de la sorte, il faut qu'il
ait déjà été en usage bien avant 1728 et qu'il ait
déjà comporté un bon nombre de stèles, stèles
que nous n'avons pas retrouvées lors de notre passage. Nous avons donc
ici une confirmation indirecte de son ancienneté.
Un autre document apporte un éclairage sur le nombre de familles établies dans ce secteur : l'Etat des Juifs qui sont dans l'étendue du département de Metz sans compter ceux de la ville de Metz (1702) (4).
Selon ce document, sont alors recensés à Ennery : Wolf, son gendre Raphaël, Salomon et Lazard, tous quatre Lévy descendant "des anciennes familles de Juifs établies au dit Ennery depuis plus de cent ans" ; à Kédange : Isaac Israël (depuis 1662) ; à Hombourg : Moïse et Lion Israël (depuis 1687) et Marx (depuis 1696) ; à Metzervisse : Aron (depuis 1701). Nous savons par d'autres sources que plusieurs familles résident à Haute-Yutz dès 1710/1720, et qu'un nommé Isaac Israël habite à Buding bien avant 1728.
Il est donc avéré que dans un rayon de quelques kilomètres autour de Chelaincourt, près d'une dizaine de familles sont déjà établies avant 1700 et bien davantage ensuite.
Les familles que nous citons sont originaires de Rhénanie-Palatinat, mais aussi de Metz car le nombre des Juifs autorisés à résider dans le ghetto était limité par décision royale : il n'y avait d'autre choix pour certains que de s'exiler dans les localités secondaires.
Devant l'augmentation du nombre des familles dans les campagnes, les premières véritables communautés se forment et - après celui de Metz fondé en 1619 - les premiers cimetières ouvrent : celui de Créhange est créé vers 1680 et celui de Sierck en 1690.
Nous pensons qu'il est raisonnable de situer la création du cimetière de Flévy-Chelaincourt entre 1653 - date de la véritable renaissance de la communauté d'Ennery - et la fin du 17ème siècle ; nous préférons pour notre part considérer qu'avant cette date, les Juifs établis à Ennery et aux alentours ensevelissaient leurs morts au cimetière de Metz, comme avaient d'ailleurs coutume de le faire ceux des autres communautés rurales proches de cette ville.
Voici une liste de défunts dont l'identification a été possible par recoupement avec des documents consultés aux Archives Départementales (listes fiscales, documents notariés tels que contrats de mariage) ; elle ne se veut pas exhaustive, mais présente l'état actuel de nos travaux.
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