La Communauté juive de Metzervisse
pendant la Shoah
par Jacky KLEJSER
Extrait de Chroniques deVie et Culture n°34, Printemps 2004 ; n° 35 Automne 2004


Les persécutions nazies

Les hommes, femmes et enfants qui souffrirent le plus des persécutions nazies furent les Israélites.
D'après l'INSEE, le recensement de 1931 avait relevé 8123 Israélites en Moselle, celui de 1936 en indiquait 8606 ; augmentation probablement due à l'arrivée des Juifs venant d'Allemagne fuyant le régime de Hitler. Après la débâcle de 1940, il ne restait plus dans notre Département qu'un nombre infime d'Israélites qui furent expulsés dès juillet 1940 ; la majorité avait fui la Moselle soit au début de la guerre, soit pendant l'exode de juin, ce qui a été le cas pour les Israélites de Metzervisse et dont nous évoquerons le sort un peu plus loin.
Ils étaient au courant des persécutions subies par leurs coreligionnaires en Allemagne depuis 1930 et savaient qu'il n'y aurait pas de pardon pour eux, si par malheur, ils tombaient entre les griffes des Nazis. C'est pourquoi, ils fuyaient. Ces pauvres gens avaient espéré trouver en France, loin de Hitler, un refuge sûr pour eux et pour leur familles. Mais leur espoir fut de courte durée.

En effet, le 27 septembre 1940 fut édictée par le gouvernement de Vichy une ordonnance destinée à recenser les Juifs de la zone occupée ainsi que leurs installations commerciales et industrielles. Ordonnance édictée donc avant la rencontre de Montoire entre Pétain et Hitler _L'article paru le 14 janvier 1941 dans le Metzer Zeitung indique que rien qu'à Paris, on avait recensé 11000 firmes appartenant à des Juifs. Le 3 octobre 1940, Pétain signa une loi "portant statut des Juifs". La création du Commissariat Général aux questions juives le 29 mars 1941 marque le début des persécutions : internement des Juifs étrangers dans les camps de Pithiviers, de Beaune-la-Rolande puis de Drancy qui fut, avec le Vélodrome d'hiver à Paris l'antichambre de la mort et malheureusement le cas pour de nombreuses familles israélites de Metzervisse s'étant réfugiées dans les départements de l'intérieur.

Les Juifs mosellans s'étaient en grande partie réfugiés dans la région lyonnaise, bordelaise, en Dordogne et sur la Côte d'Azur après avoir été spoliés de leurs propriétés et biens et perdu tout ce qu'ils possédaient.

Les Juifs spoliés

Les Juifs de Metzervisse, qui dès 1939 se doutaient de ce qui allait arriver vendirent aux habitants du village tout ce qu'ils ne pouvaient emporter ainsi pour des réchauds meubles, appareils ménagers Ces Juifs de la localité commerçants avisés étaient gens aisés et n'avaient rien à envier aux bourgeois locaux. Ils possédaient les plus belles maisons du village et leur intérieur équipé des appareils ménagers les plus modernes pour l'époque Au lieu de vendre leurs biens, certains demandèrent à des gens du village dans lesquels ils avaient confiance de leur garder leurs biens jusqu'à des temps meilleurs, ce que ces derniers acceptèrent facilement car une très bonne entente existait entre la communauté israélite et les catholiques. Ces biens furent en général restitués à leurs propriétaires à la fin de la guerre.

Ce qui posa parfois problème, c'est que les meubles et autres biens réquisitionnés par les forces d'occupation furent vendus aux enchères et restèrent chez des acquéreurs résidant dans la localité ou les environs. Il ne fut pas toujours facile pour leurs propriétaires originaux de les récupérer L'un de ceux-ci ayant repéré une chambre à coucher lui appartenant chez l'un des villageois eut bien du mal à la récupérer et n'obtint satisfaction qu'après avoir fait le siège de la maison et menacé de ne quitter les lieux qu'après restitution, ce qui heureusement put se réaliser. Ces biens spoliés avaient été stockés pour vente aux enchères au Café Jodin face à la gare. Bien entendu les objets de valeur avaient été récupérés auparavant par les Nazis.

Les logements des Juifs furent donc réquisitionnés dès le début de l'occupation et après état des lieux, inventaire et estimation soit disant afin d'indemniser les propriétaires ultérieurement, ce qui bien entendu ne fût jamais le cas, trouvèrent de nouveaux occupants en l'occurrence les services officiels nazis tels que la police, siège du parti etc. D'autres le furent par les familles des autorités occupantes. On y logea ensuite suivant les événements intervenus des déplacés, des victimes de bombardement, des "Siedler" etc. Au retour, les quelques propriétaires qui revinrent au pays purent récupérer leur maisons, mais dans quel état ? Il fallut faire quitter les logements par les locataires qui y avaient été installés par nécessité par la commune ou les nazis

Les déportations

Pour connaître la situation générale des Juifs à cette époque, évoquons les Juifs traqués qui devaient se cacher dans des greniers, dans des caves, parfois dans des forêts , toujours angoissés, souffrant du froid et de la faim (vivant illégalement, ils n'avaient pas le droit aux tickets de ravitaillement). Tombés malades, ils hésitaient à consulter un médecin et mouraient parfois faute de soins.Ces persécutions étaient inhumaines surtout pour les vieillards, les femmes, et les enfants en bas âge.

Certains Juifs de notre localité furent baptisés avec la complicité de prêtres afin d'échapper à la vindicte nazie (voir nos témoignages).

Pour réagir contre l'envahisseur, de nombreux jeunes Juifs se retrouvèrent au maquis et prirent part à la libération de la France.

Malgré les précautions prises, un nombre important de ces malheureux ne put échapper à la Milice de Darnant et à la Gestapo : arrêtés et internés dans un premier temps à Drancy, ils furent au fur et à mesure de leur capture, expédiés comme du bétail vers les chambres à gaz et les fours crématoires de Pologne. Ainsi , partirent début 1942, les premiers convois de déportés juifs vers Treblinka, Madjanek et Auschwitz.

Combien de Mosellans n'en revinrent pas ?
D'après les statistiques établies après guerre, il faut constater que le nombre total de Juifs assassinés par les Nazis dépasse largement les deux mille. Pour Metzervisse, nous relevons dix personnes. Mais si nous nous référons aux inscriptions portées sur les pierres tombales du cimetière local et celles du monument aux morts, leur nombre est beaucoup plus important et ce chiffre mériterait une étude approfondie.

Sur le monument aux morts, nous relevons les noms de :
- Israël Maurice, son épouse et son fils
- Picard Bernard, son épouse et leurs trois enfants
- Israël Jules et son épouse
- Cahen Aron

Sur les plaques commémoratives du cimetière, nous relevons :
- "A la mémoire des descendants de Louise et Mathilde Cahen morts à Auschwitz sans sépulture victimes du nazisme"
- "Mirthil Cahen 1873-1944 et son épouse Flora Kaufmann 1874-1944"
- "Simon Cahen 1878-1944 et son épouse Laure Schwarz 1873-1944 ; et leur fille Mathilde Adèle Cahen 1907-1942 et son époux Edgard Hermann 1898-1942"
- "Marcel Bing 1896-1944 et son épouse Jeanne Salomon 1903-1944 et leurs enfants Maurice 1925-1944, Eliane 1928-1944 et Yolande 1931-1944".
De nombreuse autres plaques font apparaître le nom de personnes disparues dans les camps de concentration.
Une autre plaque concerne la famille de Israël Jacob de Buding :
- "En souvenir de ses enfants David et Estelle née Hannaux son épouse, Raphaël Germaine née Worms son épouse, Roger et Nadine leurs enfants, déportés et décédés le 18/4/1944 à Auschwitz".


Plaque commémorative au cimetière juif de Metzervisse

Témoignagnes au sujet de familles juives de Metzervisse

Nous allons évoquer le sort de quelques familles juives du village pour lesquelles ,il nous a été possible de trouver des renseignements.
A ce propos nous avons les témoignages de M. Nicolas Bolzinger de Mme Pompermeyer Elise.

Famille Israël Maurice :

Elle habitait dans la maison face à l'église. C'était une famille très estimée et très accueillante où les enfants des voisins étaient les bienvenus. Nos deux témoins ont donc un peu vécu dans l'intimité de ces derniers Ainsi ils ont pu à certaines occasions assister discrètement aux offices religieux et ils se souviennent plus particulièrement d'un mariage. Ils se souviennent que la synagogue contenait des objets de culte de grande valeur.
Cette famille repliée en Corrèze, fut déportée et décimée, même la grand-mère âgée de plus de quatrevingts ans fut emmenée. Trois filles de cette famille réussirent cependant à échapper à la mort. L'histoire émouvante de l'une d'entre elles nous a été racontée par M. Nicolas Bolzinger.

"Nous avions un cours de catéchisme à l'église avec le chanoine Gasser. Subitement, la grande porte de l'église s'ouvrit et, curieux comme sont tous les jeunes nous tournâmes la tête pour voir ce qui se passait Dans l'encadrement de la porte se tenait un personnage à l'aspect cadavérique et méconnaissable qui disparut aussitôt. Tous les enfants présents furent très marqués par cette apparition et crurent avoir affaire à un fantôme.
Arrivé à la maison, je retrouvai cette personne assise à notre table. Elle me dit : "Nicolas, tu ne me reconnais pas ?" Devant ma surprise et ma négation, elle me dit : "Je suis Yvette". Je ne l'avais pas reconnue et pourtant nous avions été élevés ensemble et nous étions très proches. Elle me raconta ce qui lui était arrivé :
Expulsée en Corrèze, au cours d'une descente de la Milice et de la Gestapo, la famille fut ramassée. Par chance les deux filles aînées n'étaient pas présentes à ce moment là car elles s'étaient rendues dans la campagne avoisinante à la recherche de nourriture (hamstern comme l'on disait à cette époque dans notre région). La famille fut donc internée dans les K.Z. "camps de concentration" où elle périt à l'exception d'Yvette. Cette dernière réussit à survivre jusqu'au moment où le camp d'Auschwitz fut évacué par les Nazis en raison de l'approche des troupes russes. Au cours de la marche forcée qui s'en suivit sous la surveillance des S.S., en traversant un bois, elle réussit à déjouer la surveillance et réussit à s'échapper et à se cacher. Elle essaya de rejoindre Metzervisse en se cachant le jour et en marchant de nuit se dirigeant vers le Sud-Ouest. Elle récupérait des choses qu'elle échangeait contre de la nourriture, ce qui lui permit de survivre. Elle tomba sur les troupes américaines qui la libérèrent. Elle fit partie d'un convoi ferroviaire de rapatriés qui devait les diriger sur Châlons-sur-Marne où l'on devait s'occuper d'eux. Ce convoi passa à Metzervisse ce qui était souvent le cas pour cette sorte de convoi. Souvent, les trains pour respecter les signaux, s'arrêtaient à hauteur du passage à niveau route de Kédange. Malgré les suppliques des autres passagers du wagon, Yvette sauta du train pour se retrouver dans son village natal. Elle séjourna quelques semaines dans la localité puis fut accueillie par un oncle de Thionville."

A propos de convois de rapatriés, M. René Jung nous a raconté que, jouant avec des camarades à la hauteur de ce passage à niveau, un convoi s'était arrêté. Les passagers du wagon de marchandises entendant les enfants parler en français, leur demandèrent des explications. En apprenant qu'ils se trouvaient en France tout le monde se mit à pleurer et à pousser des cris de joie, ce qui impressionna beaucoup les petits spectateurs. M. Jung, voyant plus tard Mme Simone Weil en photo et à la télévision crut reconnaître en elle l'une de ces personnes. Ce fut un souvenir inoubliable pour le témoin de cet événement.

Autre famille très éprouvée, celle de M. Picard Julien. Ce dernier a perdu ses parents et son frère. L'une de ses soeurs dont nous avons déjà parlé est revenue des camps n'ayant plus de lèvres. Une autre soeur est décédée dans l'avion sanitaire américain qui la rapatriait en France après la libération de son camp. M. Picard âgé aujourd'hui de plus de 80 ans, est revenu d'Israël en juin 2003 pour se recueillir sur les tombes de ses proches. Il revient régulièrement tous les deu ans dans la localité, où il a vécu une grande partie de sa vie.

La famille de M. Bing, ministre-officiant, est partie de la localité au début de la guerre mais a été rattrapée par son destin dans son département d'accueil et déportée à Auschwitz où elle disparut.

Il en est de même pour le couple d'Israël Jules et Mathilde déportés dans le même camp en février 1944 après un passage à Drancy.

D'autres, si on peut dire, ont eu plus de chance et ont échappé à la mort ainsi : Cahen Nathan dont une fille a épousé M. Meyer, commerçant à Hagondange ; Famille Cahen qui habitait la maison appartenant aujourd'hui à M. Bolzinger Jean-Marie, partis avant la guerre aux Etats-Unis et ne sont jamais revenus au village ;
Famille Cerf Léon dont les enfants se sont installés à Metz et à Esch-sur-Alzette. Il ne s'agit pas là d'une liste exhaustive.

Après la guerre revinrent et vécurent au village les familles Israël, Cahen, Cerf et Picard. Mais à partir du milieu des années 81, suite aux décès des anciens et le départ des autres, il ne resta plus une seule famille juive à Metzervisse, ce qui est encore le cas de nos jours.


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