"Paître Cacher au Gan Chalom !
"
Il y a près de 40
ans le Gan Chalom était le seul gan juif de Strasbourg. S’il y avait
3 shoule* à Strasbourg, tous les parents qui souhaitaient
envoyer leurs enfants dans un jardin d’enfants juifs ne pouvaient ( et
ne voulaient) le faire qu’au Gan Chalom. Une sorte de creuset de tous les
ingrédients de la communauté s’y était ainsi constitué.
Ainsi autour de ma petite
table, je retrouvais chaque matin la belle Faiguele (la fille du
Dayan*),
Moishele (le fils du cho’het*), Jean-Claude (le fils d’un
commerçant renommée de la grande shoule*) et Daniel
( le fils de l’éternel
behamess handler*). Tout le monde
riait de bon cœur et chahutait sous le regard maternel de Lise, notre maîtresse-directrice.
A l’époque, il y avait
3 classes : les "Poussins" couvés par Esther, les "Pigeons" guidés
par Rachel et les "Cerfs" que tentait de domestiquer Lise.
Dans cette dernière
classe, on y apprenait déjà à lire et à chanter
en hébreu (la mélodie de Mahoz Tsour* résonne
depuis dans ma mémoire !), on dansait des horot* tous ensemble,
préparions des spectacles pour la fête des parents.
Un jour, Lise nous expliqua
les prémices des règles de la cacherout* ; ne pas
mélanger le lait et la viande, ne pas manger de porc, les poissons
uniquement avec nageoires et écailles, les mammifères ruminants
avec le pied fendu.
- "Le pied fendu, mais alors
il a toujours le pied cassé ?"
- "Ruminer, ça veut
dire quoi ?"
Les questions fusaient de
partout.
Mon voisin, Daniel, le fils
du marchand de bestiaux, s’esclaffait : "ils n’ont jamais vu de bêtes
!"
N’y tenant plus :
- "Lise, est-ce que je peux
apporter un petit animal demain ?"
- "Bon d’accord", répondit
Lise sans trop réfléchir.
Le lendemain matin, Daniel
arrive en retard. Puis on l’entend monter les escaliers avec un brouhaha
inhabituel. Lise se précipite à la porte et voit arriver
Daniel tenant par la laisse…une chèvre. Tonnerre d’applaudissements
lorsqu’il entre dans la classe avec son nouveau camarade. Le visage de
Lise change de couleur:
- "Mais tu m’avais dit hier..."
- "Oui, mais enfin…,venez
voir les enfants, Daniel nous a amené une chèvre pour que
nous voyons ce qu’est un sabot fendu."
Mais la chèvre ne
l’entendait pas de cette oreille, ruant et donnant des coups de corne.
On ne dut qu’à la maîtresse qu’aucun enfant ne soit blessé.
Notre maîtresse sent
bien que la matinée va être bouleversée par ce nouveau
venu. Que faire de 15 petits chenapans, souvent passablement agités,
avec une chèvre en plus dans la classe ?
Elle feint de l’ignorer
et demande aux enfants de reprendre leurs travaux habituels.
- "Prenez un crayon et dessinons
une chèvre ! "
L’objet du délit
trône au milieu de la salle.
La tension monte d’un cran.
La chaleur, le chahut, l’odeur et les besoins naturels, ce n’est pas tenable
!
Tout à coup, on frappe
à la porte. C’est la mère de Daniel.
- "Je pensais bien que Briquette
ne suivrait pas au Gan Chalom", déclara la mère avec un fort
accent alsacien et sans l’ombre d’un sourire. Sous les huées de
la classe remontée à bloc, la chèvre repartit au bercail.
Dommage, je n’ai jamais su
dessiner une chèvre !
Jacques Weill
Ancien élève
du Gan
Petit lexique:
shoule: synagogue
Dayan: juge rabinnique
cho’het: sacrificateur
rituel
grande shoule: Grande
Synagogue de la Paix
behamess handler: marchant
de bestiaux
Mahoz Tsour: chant
traditionnel de 'Hanouccah
horot: farandole
cacherout: règles
alimentaires
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