LE FONDS NATIONAL JUIF
(KEREN KAYEMETH LEISRAEL) EN 1921
par Jean Daltroff
Extrait de l'Almanach du KKL, 5756-1996
"Les juifs du monde entier devront constituer un fonds pour le rachat
du sol de la Palestine. Tout juif, jeune ou vieux, pauvre ou riche, devra
contribuer à ce Fonds National Juif ... La terre rédimée
sera la propriété inaliénable du Kéren Kayémeth
et ne sera pas revendue à des particuliers, mais affermée à
ceux qui la mettront en valeur pour une période n'excédant pas
49 ans." Ce projet, présenté au premier Congrès
Sioniste de Bâle convoqué par Théodore Herzl et ses amis
en 1897, s'est en partie réalisé (1).
LA CRÉATION DU KEREN KAYEMETH LEISRAEL (KKL).
Pendant les périodes ottomane et britannique, les terres vont être
achetées aux propriétaires arabes par le Kéren Kayémeth
Leisraël (Fonds National de reconstruction pour Israël). Le KKL
est, en effet créé en 1901 avec pour mission d'acquérir
des sols. Plus tard il sera chargé, en plus de l'achat des terres,
de l'afforestation, de la fertilisation des sols et du développement
rural.
L'idée du Fonds National juif fut lancée dès 1847 par
Rav Juda Alkalaï (1798-1878). Le mathématicien Hermann Schapira,
né à Erswilken en Lithuanie en 1840 poursuivit l'effort de Juda
Alkalaï et fit adopter le principe du KK. au 5ème Congrès
sioniste de Bâle (29 décembre 1901). Schapira croyait en effet,
que les terres devaient appartenir à leurs habitants, Le Fonds était
financé par des cotisations et les terres étaient louées
à bail aux colons.
Il faut rappeler que sa création se situait dans le contexte d'arrivée
de deux groupes d'immigrants en Palestine (première et deuxième
alyah). Les besoins étaient grands. En effet la première immigration
(1882-1903) est formée de 20 000 à 30 000 juifs d'Europe orientale
; Ces nouveaux agriculteurs, membres des Amants de Sion ('Hoveve Sion) et
des Bilouim veulent travailler les terres qu'ils achètent aux propriétaires
arabes mais manquent d'expérience. Les difficultés sont grandes
: les conditions climatiques défavorables, l'insécurité,
le prix élevé de la terre. Les colons lancent des appels auxquels
répondent et le Baron Edmond de Rothschild (avance de fonds, envoi
de techniciens) et le Kéren Kayémeth Leisraël dont le rôle
va s'intensifier lors de la deuxième alyah (1904-1914). Conséquence
des pogroms de 1903-905 et de la révolution russe manquée de
1905, cette immigration bien préparée idéologiquement
recrute des figures qui marqueront le destin du futur État d'Israël,
comme Itzhak Ben-Zvi (1884-1963) et David Ben Gourion (1886-1973) qui arrive
en Palestine à l'âge de 19 ans et sera au début ouvrier
agricole. Ces jeunes (35 000 à 40 000) fidèles à l'idéal
du travail physique régénérateur s'organisent, travaillent
la terre. C'est là qu'intervient le Kéren Kayémeth Leisraël
comme moteur central de l'achat des terres avec les fonds collectés
dans la diaspora. Les terrains acquis deviennent propriété nationale.
Ainsi, en 1911, sur des terres allouées par le KKL des pionniers créent
le premier kibboutz, Degania, sur les bords du Jourdain.
LE TRAVAIL POUR LE KKL EN ALSACE-LORRAINE EN 1921.
Le Kéren Kayémeth Leisraël fut "l'oeuvre sioniste qui
parvint le plus à susciter l'intérêt
des
juifs français" jusqu'en 1939
(2). Le KKL réunissait
aussi bien des juifs français que des juifs immigrés, des orthodoxes
que des libéraux. Dirigé par le bureau de Strasbourg depuis 1921
(3), le Kéren Kayémeth allait se lancer dans
une action de grande envergure. C'est que les grands achats de terre avaient
triplé le domaine foncier du KKL et ouvraient de vastes terrains à
l'implantation agricole juive. Malgré l'importance apparente de cette
acquisition, les terrains étaient encore insuffisants pour les besoins
actuels. Des groupes de centaines de cultivateurs juifs de la Transylvanie,
de l'Ukraine, de la Roumanie, de la Pologne attendaient avec impatience le signal
de départ pour la terre d'Israël où ils ne demandaient que
de la terre qu'ils voulaient féconder de leur sueur. Les demandes de
terre affluant de tous les côtés mobilisaient le KKL dans une grande
campagne pour racheter et défricher les sols.
Nous nous proposons maintenant d'examiner le travail mis en oeuvre par le
KKL en Alsace-Moselle en 1921 (4). Un
commissaire local depuis le bureau de Strasbourg coordonnait l'action du Fonds
National (5) qui pouvait compter sur le travail dévoué
de plusieurs collaborateurs.
En 1920, environ 50% du total des rentrées provenaient d'une unique
action : la Semaine de Palestine. Ce qui caractérisait le travail en
1921, c'était "la stabilisation des recettes, non par des donations
uniques, irrégulières, mais bien par des dons souvent insignifiants,
mais réguliers". Avant 1914 on était habitué à
faire dans certaines circonstances un don plus ou moins élevé.
Ainsi les revenus du K.K.L, n'étaient pas réguliers et fixes,
soumis qu'ils étaient aux influences de la politique extérieure
et des fluctuations de la vie économique. Cette situation s'expliquait
tant qu'existaient les grands centres orientaux d'où affluaient la
majorité des fonds destinés au KKL. La guerre avait supprimé
ces ressources et le KKL s'était vu obligé de demander un effort
continu et régulier. Il se trouve que depuis 1919, le bureau central
du KKL fixe annuellement à chaque pays une sorte de contribution au
budget, la quote-part régionale y est calculée d'après
le nombre de familles juives y habitant. Ainsi le Comité Directeur
du KKL a fixé comme budget pour l'année 1922 la somme de 25
millions de francs dont 150 000 francs reviennent à l'Est de la France.
Cela signifie concrètement dans l'année acheter, assainir, défricher
de la terre pour environ 700 familles. La part incombant à l'Alsace-Lorraine
assurera ce travail pour cinq familles. Ceci étant, d'où proviennent
les fonds collectés en Alsace-Lorraine en 1921 et comment se répartissent-ils
?
LA REPARTITION DE LA COLLECTE DES FONDS DU KKL D'ALSACE-LORRAINE EN 1921.
La répartition des principales catégories de dons faits en 1921
est la suivante : 30 % du total proviennent des troncs, 25 % du Livre de dons,
8% des offrandes, 12,5% des rachats et 24,5% d'autres dons. Passons en revue
les différentes catégories de dons.
Le travail du Tronc
Moyenne annuelle
Année |
Nbre de troncs placés |
% de la population juive possédant un tronc |
nombre de troncs vidés |
résultats en francs |
% du total annuel fourni par les troncs |
moyenneannuelle par tronc vidé en francs |
placés |
1919 |
637 |
13 |
993 |
4570 |
13 |
4,50 |
717 |
1920 |
1399 |
28 |
1206 |
6900 |
9 |
5,72 |
494 |
1921 |
2097 |
42 |
3143 |
19330 |
30 |
6,15 |
922 |
Comme le souligne le tableau ci-dessus, le travail pour le tronc a été
de beaucoup plus intense en 1921 qu'en 1920. Ainsi le total en 1920 de 6 900
francs monte en 1921 à 19 300 francs. De 9 % du total de 1920, les
troncs en fournissent 30 en 1921 ! En outre à la fin 1921, le nombre
des troncs placés dépassait 2000 (2097) répartis dans
104 communautés sur 150. 42 % de la population juive d'Alsace et de
Lorraine possédait un tronc. En plus, il y avait fin 1921, trente-trois
communautés où chaque maison juive avait son tronc du Fonds
National Juif. Cependant si la moyenne par tronc vidé était
en légère augmentation (6,15 F pour 1921 contre 5,72 F pour
1920), la question de la levée des troncs laissait à désirer.
Au début de 1921, 1 400 troncs étaient placés. Si ces
1 400 troncs avaient été vidés quatre fois par an, c'est-à-dire
tous les trois mois, alors on devrait avoir 5 600 troncs vides alors qu'il
n'y en a que 3 143, en réalité seulement la moitié si
on tient compte de ce que ce chiffre contient déjà une partie
des troncs placés en 1921 même. Cela empire encore, quand nous
étudions la fréquence des troncs vidés dans chaque localité.
Il n'y a que six endroits où les troncs sont vidés trimestriellement,
14, trois fois par an, 32, deux fois par an, 37, une seule fois et dans 15
communes, les troncs n'ont pas même été vidés une
seule fois ! Cela montrait donc qu'en 1921, le travail des troncs nécessitait
un effort tant du point de vue du placement que de celui de la levée.
Le Livre de Dons
Il occupe avec 25 % du total la deuxième place des recettes de 1921.
L'usage de destiner les sommes inscrites à une catégorie spéciale
de dons, soit pour l'inscription au Livre d'Or, soit comme don d' arbres ou
don foncier etc. devient de plus en plus fréquent. Du total de 15 635
F, 11 208 F figurent dans les publications sous Livre de Dons sans spécificité
aucune, 105 F sous Livre d'Or, 1272 F sous dons d'arbres, 800 F sous donations
foncières et 430 F sous Colonie Tschlenoff et Cité Jardin Nordau.
Le reste de 1 820 F est constitué en dons d'anniversaires. C'est, en
effet, en 1921 que les premiers dons importants d'anniversaires sont parvenus
au KKL. La pieuse coutume d'éterniser la mémoire d'un défunt
soit par l'inscription au Livre d'Or, soit par la plantation à son
nom s'est vite établie dans différentes communautés (Puttelange,
Thionville, Metz, Bischheim, Haguenau, Rosheim, Strasbourg...)
Les offrandes de synagogue
Elles se présentent avec un recul de 20 % en 1921 (1921 : 5 000 F,
1920 6 400 F) qui est lié à la transmission des offrandes qui
ne se fait pas partout avec une grande régularité. De plus,
mainte communauté préfère attendre jusqu'à ce
qu'il y ait une certaine somme réunie pour la faire parvenir à
sa destination.
Le Livre d'or et le don d'arbres
Ces deux catégories
de collecte montrent également des reculs sensibles (60 % pour le Livre
d'Or : 1920 = 6 101 F ; 1921 = 2 571 F. 25% pour les dons d'arbres : 1920 =
5 271 F ; 1921 = 3 967 F Cette baisse est peut-être à expliquer
par l'augmentation du prix d'un arbre de 10 à 15 F et par l'insuffisance
de la reconnaissance de l'importance du don d'arbres. En plantant un ou plusieurs
arbres au nom d'une personne, on lui a rendu hommage, mais on a aussi contribué
à assainir le pays en desséchant les marais et à préserver
ainsi la santé des émigrants. Les collaborateurs du KKL d'Alsace-Lorraine
sont poussés à rappeler pour faire progresser ce type de dons
qu'un couple se réjouira aussi bien de recevoir d'un ami un signe de
sympathie sous forme de diplôme sur X arbres plantés à son
nom, ou statuant son inscription au Livre d'Or, que la corbeille traditionnelle
de fleurs qui se fanent le lendemain. Un Bar-Mitzwah (jeune de 13 ans faisant
sa majorité religieuse) ne sera-t-il pas aussi heureux de se voir inscrit
au Livre d'Or par son oncle ou sa tante ou d'avoir X arbres plantés à
son nom que de recevoir un de ces cadeaux souvent inutiles, qui s'entassent
sur la table, et ne lui procurent pas, bien souvent, la joie espérée
?
Les autres catégories de dons
Les donations foncières.
Elles ont rapporté environ le double du total de 1920 (1 000 F contre
565 F). Pour conformer le prix du
don foncier au prix réel de la terre, le prix d'un dounam a été
porté maintenant de 50 à 250 F. En compensation, des cartes
artistiques, analogues à celles des dons d'arbres seront utilisées
à partir d'un don minimum de 10 F, qui représente la contre-valeur
de 40 ml . Le diplôme ne sera dorénavant délivré
que pour un don minimum de 62,50 F, contrevaleur d'un quart de dounam (250
m2).
Les Rachats des Souhaits de Nouvel-An.
C'est la seule action organisée en 1921 qui rapporta plus du quadruple
de 1920 (8 362 F contre 1 886 F). La Centrale a pour la première fois
gracieusement offert au donateur un petit calendrier mural.
La statistique suivante des dons rentrés en 1921 réunit dans
ses 12 rubriques tous les chiffres nécessaires pour donner un aperçu
rapide du travail fait dans chaque localité. Les 18 endroits marqués
par une astérisque (*) ont rapporté la quotepart ou même
son double : 5 localités de Moselle, Buding, Faulquemont, Niedervisse,
Sierck, et Waldwisse ; 9 du Bas-Rhin, Bouxwiller, Gundershoffen, Kolbsheim,
Quatzenheim, Rosheim, Schaffhouse, Scherwiller, Westhouse et Woerth ; 3 communes
du HautRhin : Ensisheim, Grussenheim et Wintzenheim. La dernière rubrique
de la statistique est la moyenne annuelle donnée par chaque famille
au cours de l'année. Cette moyenne est obtenue en divisant le total
de cette localité par le nombre des familles qui y habitent. La palme
revient à Ensisheim avec une moyenne de 48 F, devant Gunder-shoffen
(43 F) et Niedervisse (41 F). La moyenne régionale est de 12,75 F.
Il résulte encore de cette statistique que 6 localités ont rapporté
de 30 à 48 F, 14 endroits une moyenne de 20 à 30 F, 14 de 15
à 20 F, 25 de 10 à 15 F parmi lesquels Metz et Strasbourg, 31
de 5 à 10 F, 44 au-dessous de 5 F dont Altkirch, Benfeld et Mulhouse.
Ce qui est enfin caractéristique, c'est que les grandes moyennes figurent
bien souvent chez les petites communautés (Grussenheim, 24 familles
et une moyenne annuelle de 35,5 F, Gundershoffen, 18 familles et 43 F, Niedervisse,
16 familles et 41 F, Ensisheim, 7 familles et 48 F, Westhouse, 10 familles
et 35 F). Le phénomène peut s'expliquer entre autres par le
fait que le travail y rencontre sans doute moins de difficultés au
point de vue de l'organisation.
Les activités du KKL de l'Est de la France dirigé depuis 1921
par le bureau de Strasbourg étaient marquées par le travail
quotidien des collaborateurs de cette organisation. Elles exprimaient un intérêt
certain pour la reconstruction de l'Etat d'Israël en particulier dans
le domaine foncier.
Elles passaient aussi par un travail acharné des émissaires du
KKL qui parcouraient les coins les plus reculés de l'Alsace et de la
Moselle avec dans leurs bagages, les fameux "troncs bleus" qu'ils
essayaient de placer dans chaque foyer ainsi que dans les synagogues. Le siège
social du KKL se maintiendra à Strasbourg jusqu'en 1925. Après
la nomination de Joseph Fisher comme délégué permanent
du Fonds national juif en France, le bureau strasbourgeois verra son travail
circonscrit aux collectes effectuées en Alsace-Moselle où plusieurs
de ses membres actifs comme Lazare Blum, le Président de la communauté
juive de Strasbourg, Edouard Bing, Tobie Salomon, le Rabbin Marx, Mademoiselle
Estelle Metzger, et Georges Cahen joueront un rôle moteur au service de
la politique dynamique du KKL.
NOTES :
- Doris Bensimon, Eglal Errera, Israéliens,
des juifs et des arabes, Bruxelles, Editions Complexe, 1989, p. 41. Retour
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- Christophe Bertin, l'Evolution de l'opinion publique
des communautés juives de l'Est de la France pendant les années
30 à travers la Tribune juive. Mémoire de maîtrise
d'histoire, Strasbourg, Université de Strasbourg II, 1995, p. 61. Retour
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- Le siège social se trouvait 3-5, rue Sébastopol
à Strasbourg et le restera jusqu'à 1925. Retour
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- Il s'agit en réalité de l'Alsace-Lorraine. Retour
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- BNUS (Bibliothèque Nationale et Universitaire
de Strasbourg) M 500 152. Le Juif n° 26 Le travail pour le KKL en
Alsace-Lorraine en 1921, pp. 327-328 (hebdomadaire du 16 juillet 1922). Retour
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