Editions Parole et Silence ; 01 Février 2024 ; 208 pages ; format 152 x 23,5 cm ; 20,00 €
Préface de Haïm Korsia, grand rabbin de France
Ce livre est né d’une nécessité : celle de transmettre un peu de ce que j’ai reçu durant tant d’années de mes amis juifs, en espérant que ceux qui le liront – les chrétiens en particulier - y trouveront quelques éclairages leur permettant de regarder avec bienveillance leurs « frères aînés » (comme le pape Jean-Paul II nomma les juifs, lors de sa fameuse visite dans la synagogue de Rome).
Transmettre… Je n’oublierai jamais l’adage cité un jour par Armand Abecassis : « Autant le veau désire téter, autant la vache désire allaiter », et, comme je me plaisais souvent à le dire aux différents publics auquel il m’a été donné de m’adresser, « depuis que j’ai rencontré les juifs, je me sens de plus en plus « vache » !
Je ne me cache pas que la lecture de ce livre peut à première vue en rebuter certains par son aspect disparate : composé essentiellement à partir de conférences données devant des groupes fort divers – chrétiens ou juifs, ou parfois réunissant juifs et chrétiens, comme les groupes de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France bien souvent rencontrés lorsque j’en fus présidente – ou à partir d’articles rédigés pour des revues (dont Sens en particulier), il peut dérouter par la variété des genres et des thèmes abordés.
Et pourtant je vois dans ce livre une unité profonde, grâce au fil conducteur qui relie entre elles ses quatre parties et qui suit tout simplement mon cheminement personnel, né de ma rencontre du judaïsme.
Ainsi, le livre s’ouvre-t-il sur la première découverte que permet cette rencontre et qui saute aux yeux du chrétien lorsqu’il commence à fréquenter le monde juif : celle de la source juive du christianisme. Innombrables en sont les traces dans la vie chrétienne de tous les jours comme dans les fêtes solennelles. Ce sont d’ailleurs plus que des traces mais une irrigation continue du christianisme par sa source juive, depuis plus de vingt siècles et jusqu’aujourd’hui.
La découverte de la présence juive dans son fondement mais aussi au sein même de notre foi chrétienne a non seulement quelque chose de très émouvant, mais surtout, car il s’agit plus là de réflexion que d’émotion, entraîne une transformation profonde ou plutôt un élargissement dans le vécu de la foi : ma vie chrétienne, bien que restant enracinée dans le message du Christ, est à ce point imprégnée par le judaïsme que dans chacune de mes prières, qu’elle soit individuelle ou collective, dans chacun des actes liturgiques auquel je participe avec mon Église, je rejoins le peuple juif. Israël m’accompagne, d’une présence discrète mais sûre. Comme une sorte d’inhabitation…
Et pourtant, combien de fois il m’est donné de me réjouir que les juifs ne soient pas réellement présents dans nos liturgies ecclésiales, tant les textes lus et les prières prononcées auraient de quoi les blesser, et tant il serait nécessaire de tout contextualiser, de tout expliquer ! Mais, hélas, cela ne se fait généralement pas, ce qui contribue à une perpétuation bien dommageable d’un antijudaïsme primaire.
La rencontre du peuple juif et de sa tradition ne peut laisser indemne la lecture chrétienne de la Bible.
C’est pourquoi il m’a paru logique de donner dans la deuxième partie du livre quelques exemples de ma propre lecture. Peut-être permettront-ils au lecteur de voir combien la compréhension par un chrétien de la parole biblique peut être transformée par la rencontre. Elle en ressort non pas différente, encore moins contraire au message évangélique, mais enrichie, fécondée par la lecture juive de la Bible, si variée, si multiple, si ouverte, déconcertante parfois, mais dont il ne faut jamais oublier que Jésus et les premiers chrétiens en ont été nourris et imprégnés.
La troisième partie du livre développe les tout premiers mots de cette introduction : la nécessité de transmettre. Deux raisons m’y poussent : comment garder pour soi les fruits nés de la rencontre du judaïsme, qui renouvellent et approfondissent la connaissance de la parole biblique, donnant tant de saveur à la vie chrétienne, et accepter qu’un si grand nombre de chrétiens en soient privés ? Comment ne pas vouloir combattre les fausses interprétations, les préjugés, l’ignorance, si répandus dans l’Église quand il est question des juifs et du judaïsme ?
Il s’agit de notre mission de chrétiens et en cela de notre fidélité à l’Évangile que l’Église nous confie et nous demande de faire vivre. Cette Bonne Nouvelle (comme le signifie le mot « évangile ») est en effet un message de vie, et quoi de plus vivant que de porter autour de soi la bonne nouvelle de la réconciliation ? Il nous incombe donc de faire en sorte que la lumière émanant de la Torah, cette lampe que nous avons si longtemps cachée sous le boisseau, puisse briller devant tous les hommes, comme doit briller celle de l’Évangile. Il en va de notre responsabilité de chrétiens.
C’est encore faire briller la lumière de la Torah que de reconnaître la fécondité de la rencontre du judaïsme et du christianisme : grâce aux questions théologiques parfois ardues qu’elle provoque, elle nous met en chemin et nous pousse à grandir les uns et les autres dans la foi et la confiance en Celui qui n’a d’autre but que notre sanctification.
Accepter de s’engager sur cette route, exigeante, mais combien féconde, nous fait alors comprendre que témoigner pour les juifs fait partie intégrante de la mission du chrétien.
La quatrième partie sera donc, tout naturellement, un hommage rendu à celui qui par toute son œuvre a voulu, le premier, et parce que chrétien, « témoigner pour les Juifs » : Charles Péguy.
Comment en effet ne pas voir en lui la source, lointaine mais sûre, du dialogue judéo-chrétien ?
Son influence sur Jules Isaac fut décisive, comme l’écrivit lui-même le fondateur de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France dans ses mémoires – Expériences de ma vie –, au sous-titre révélateur : Péguy.
Il faut le dire et le proclamer, car c’est trop peu connu : Péguy est, pour qui s’intéresse aux juifs et au judaïsme, le meilleur maître qui soit. Puissent ces quelques lignes faire redécouvrir son combat contre l’antisémitisme, qu’il pourfend dans des pages inoubliables de Notre Jeunesse, comme aussi sa proximité et sa compréhension profonde du peuple juif, qu’il disait si bien « connaître » ! Puissent-elles faire redécouvrir ce qui a été encore plus oublié : combien la Première Alliance et la Nouvelle sont pour lui d’une égale dignité, et les juifs objets éternels de l’amour de Dieu ! En un temps, celui de l’affaire Dreyfus, où la plupart des chrétiens étaient antisémites et où ceux qui ne l’étaient pas souhaitaient la conversion des juifs, une telle attitude était exceptionnelle. Elle était aussi prophétique, montrant, avec une avance de près d’un demi-siècle, le chemin sur lequel enfin s’engagera l’Église.
Prophète pour son temps, Charles Péguy peut encore l’être pour le nôtre. Il l’est en tout cas assurément pour moi.
« Il ne sera pas dit qu’un chrétien n’aura pas témoigné pour les Juifs », écrit Péguy dans Notre Jeunesse. Puissé-je, moi aussi, un tant soit peu, témoigner pour eux, par ce livre !
Jacqueline Cuche, titulaire d’une maîtrise de lettres ainsi que d’une maîtrise de théologie, est la présidente fondatrice de l’Association Charles Péguy. Elle a été la présidente de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France et la déléguée du diocèse de Strasbourg au Service national pour les relations avec le judaïsme.