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HANOUCA est une fête populaire ; le "bon yit" allume les petites bougies, sa femme apprête une oie grasse et confectionne un "houtzelwäckele", les enfants jouent au "drenderle" et attendent leurs cadeaux, cependant que la boîte à musique égrène les notes du Maoz tsour.
Tout cela est gentil et folklorique, mais ne va pas très loin. Devant le cor, le galoubet est dérisoire, devant la majesté des fêtes de tichri ou la puissance d'évocation des regalim, ces coutumes semblent chétives, la grandeur de 'Hanouca, c'est ailleurs qu'il la faut chercher.
Deux fois l'an, nous disons Al hanissim (mot qui, dans la Bible, ne signifie jamais : miracle) et l'une des deux fois nous célébrons une victoire nationale où l'on chercherait vainement une référence à la Divinité. Mais le 'Hanouca est non pas national mais religieux, non pas rationnel mais miraculeux. Dès lors, on peut bien l'écrire dans les colonnes du Trait d'Union, cette institution que le rabbinat a eu la force d'imposer presque sans bases scripturaires et de maintenir durant deux millénaires, se présente à nous comme une victoire de l'orthodoxie.
Sur qui cette victoire a-t-elle été remportée ?
Il y a deux manières de raconter l'histoire. Pour les uns, le coupable, c'est Antiochus qui (chapitres 5 et 6 du second livre des Maccabées) persécute les Juifs, essaie de les convertir au paganisme et souille le Temple. Pour les autres, c'est Jason dont les agissements sont antérieurs à ceux d'Antiochus (chapitre 4). C'est lui, le juif, le prêtre, le grand-prêtre qui "s'empressa d'helléniser ses compatriotes.., introduisit des coutumes contraires à la Loi. Plus digne du titre d'impie que de celui de grand-prêtre, il fit fleurir l'hellénisme… Les prêtres n'eurent plus aucun zèle pour le service de l'autel... ils négligeaient les sacrifices pour courir à la palestre, prendre part aux jeux profanes et aux concours de disque"..!
'Hanouca est donc la seule fête du calendrier israélite à rappeler non pas une victoire de la collectivité juive contre une autre collectivité (Egyptiens à Pâque, Perses à Pourim, d'aucuns - je n'en suis pas - ajouteraient : Arabes le 5 iyar) mais d'une fraction de la communauté contre une autre fraction de la communauté, l'une voulant absolument maintenir sa spécificité religieuse, l'autre estimant que, dans une certaine mesure, on doit "faire comme les autres". Ces autres, c'étaient Grecs et il est bon de rappeler ici ce que disait le 12 décembre 1930 le grand rabbin Liber dans une conférence à la Voix d'Israël : Pour la première fois dans l'histoire, Israël eut à se mesurer avec une culture étrangère qui voulait l'absorber, la réduire, l'assimiler. Ce n'était pas la première fois que les Israélites se heurtaient à des ennemis plus nombreux et plus forts ; mais jamais la lutte n'avait pris ce caractère. Quand, au 8ème siècle avant l'ère chrétienne, les armées de Salmanasar s'étaient ruées sur le royaume de Samarie, les dix tribus avaient été déportées ; mais comme elles étaient elles-mêmes plus qu'à moitié chapitre idolâtriques, elles se fondirent, s'assimilèrent parmi les vainqueurs et elles ont disparu pour toujours. Cent trente ans plus tard, les troupes de Nabuchodonosor avaient détruit Jérusalem, incendié le Temple de Salomon, déporté les exilés à Babylone ; mais les exilés se mêlèrent pas aux Babyloniens, qui leur imposèrent leur domination politique sans intervenir dans leur vie religieuse. Les Perses, successeurs des Babyloniens, avaient autorisé les Judéens à retourner dans leur patrie et à s'organiser à leur guise sans être contaminés par le paganisme. Il n'en fut pas de même des Grecs de Syrie et d'Antiochus Epiphane. Férus de la supériorité de leur culture, traitant les autres peuples de barbares, ils voulaient imposer leur civilisation et leur religion - c'était tout un - au besoin par la contrainte, et exterminer ceux qui résistaient. Si Antiochus Epiphane avait vaincu, le judaïsme serait mort. L'auteur du passage que nous venons de citer intitulait sa conférence : Hanouca ou la première crise de l'assimilation et c'est, en effet, un problème d'assimilation qui s'est posé pour nos pères il y a 22 siècles. Aujourd'hui, il y a toujours des Jason et des Maccabées (je laisse à mes lecteurs le soin de les identifier) mais la situation est devenue beaucoup plus complexe qu'alors.
A l'époque des Hasmonéens, le choix était relativement simple entre le monothéisme hébraïque, ses rites, sa morale et le polythéisme païen. Qu'on fût pratiquant ou seulement croyant ou même simplement épris d'honnêteté, on penchait vers l'orthodoxie, par horreur du paganisme et de son immoralité. Par la suite, deux nouvelles catégories se sont ajoutées aux deux premières, d'une part le christianisme dont la morale est incomparablement plus pure que celle des soldats d'Antiochus et qui, sans être rigoureusement monothéiste est encore moins polythéiste ; d'autre part l'agnosticisme auquel se rallient des centaines de millions d'hommes et qui séduit parce qu'à la place du Dieu d'Israël il n'installe ni Zeus ni Junon mais… rien du tout.
Et alors, nos coreligionnaires hésitent à suivre l'exemple des Maccabées. Ils ont vaincu ? C'est vrai, mais on ajoute rarement que leur triomphe ne fut qu'une victoire à la Pyrrhus. "Pourquoi le Talmud, une allusion mise à part - écrit Ernest Weill dans son Choul'han Aroukh abrégé - passe-t-il sous silence les hauts faits des Maccabéens... Peut-être parce qu'il désapprouve la conduite ultérieure de cette famille illustre et sa politique qui a facilité la mainmise des Romains sur la Palestine avec tous les malheurs qui s'en sont suivis".
Oui, les choses nous paraissent aujourd'hui complexes puisque, aux yeux de beaucoup de zélotes, la seule solution, c'est de dire : NON au monde moderne, de se barricader derrière des chaînes (il en existe à Bené Berak). Ainsi agissait le prophète Jonas qui, pour quitter la terre ferme, se réfugiait sur un bateau pour quitter le bateau se réfugiait dans l'eau, pour quitter l'eau se réfugiait dans le ventre d'un poisson. Mais il ne paraît pas très facile d'ériger cette solution en maxime universelle et Jason continue à avoir de nombreux disciples, il y a des Juifs sur les stades, des Juives dans les concours de beauté; quant à la circoncision, au lieu de la dissimuler, on y renonce pour ses fils.
'Hanouca a été la fête de l'orthodoxie puisque nous disons dans Al hanissim : "Tu as livré les impurs aux mains des purs et les arrogants aux mains de ceux qui aiment la Torah". Mais les problèmes posés par la coexistence du monde juif, de la pensée juive avec la pensée et le monde non-juifs n'ont pas été résolus pour autant. La solution de Jason était certainement mauvaise et est demeurée blâmable mais celle de Juda Maccabée s'est révélée insuffisante.
Le vrai problème, c'est la recherche d'une formule moins simpliste que celle des Hasmonéens, capable de retenir proches de la Torah le plus grand nombre de ceux qui se réclament du nom de Juifs. Alors, alors seulement, nous pourrons avoir bonne conscience en allumant les petites bougies.