Cette étude, qui n'est qu'une modeste contribution à l'histoire
des Juifs d'Alsace à la fin du 18ème siècle, est née
d'un mouvement de curiosité qui s'est, peu à peu, transformé
en une passion que rien ne laissait prévoir.
Appelé il y a quelques mois à traduire un document photocopié
en langue hébraique, nous avons dû, pour en déchiffrer
le contenu, recourir à l'original, qui se trouvait aux Archives Départementales
du Bas-Rhin.
Dans une liasse qui contenait ce document, un contrat de mariage établi
à Soultz-sous-Forêts
et déposé au notariat de Wissembourg,
nous avons découvert - à notre surprise - une vingtaine de contrats
identiques, qui couvraient une période d'une quarantaine d'années
(de 1753 à 1790).
Alléché par cette manne apparemment inconnue jusqu'ici, nous
avons alors fouillé dans les archives du Notariat I de la même
ville et y avons trouvé huit contrats supplémentaires, dont
le plus ancien remontait à 1747.
Les annotations du notaire (description du document et des signatures) étaient
en français pour les premiers contrats (Notariat II), en allemand pour
les autres.
Mais tels quels, ces contrats de mariage contenaient une mine de renseignements
sur la vie d'une communauté juive alsacienne dans les années
précédant la Révolution française.
Nous les avons donc confrontés avec les divers recensements des Juifs
en 1751, 1755, 1780, 1784 et avec les registres des changements de noms en
1809.
Ce sont quelques-unes de nos conclusions que nous souhaitons apporter à
ceux qui rassemblent les morceaux de ce puzzle ensorcelant qu'est la reconstitution
de l'histoire du passé de notre région.
C'est, entre autres, à l'occasion du mariage, que le rite rhénan se caractérise par certains usages. La loi talmudique séparait les Eroussin (fiançailles) des Nissouîn (mariage proprement dit), qui se célébrait plus tard. Mais depuis des siècles, les deux cérémonies étaient réunies et, jusqu'aujourd'hui, la cérémonie du mariage se divise en deux parties, séparées par la lecture de l'acte de mariage (la Ketouba).
Depuis le Moyen Age, pour donner à l'engagement d'un couple plus de
force, on avait institué la promesse de mariage appelée le Qenass
(littéralement : amende). Au cours d'un repas de famille, les parents
des fiancés s'engageaient à unir leurs enfants. On plaçait
les deux jeunes dans un cercle, on cassait une assiette (signe d'alliance)
puis on écrivait un contrat de fiançailles appelé Tenaïm
Rishonim
(les premières conditions).
Ce contrat fixait la date du mariage, le montant de la dot et tous autres
engagements surtout d'ordre matériel. Il prévoyait qu'en cas
de rupture une amende (Qenass) devait être versée par
la partie responsable de la rupture. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui
encore, on appelle en Alsace les fiançailles le Qenass.
Le mariage lui-même était précédé par une soirée de cadeaux (Sivlonoth), dans les jours qui précédaient la cérémonie nuptiale. Les fiancés se remettaient mutuellement des cadeaux consacrés par l'usage, parmi lesquels des livres de prières et des objets rituels.
La cérémonie du mariage avait lieu à la synagogue où était placé le dais nuptial (la 'Houpa). Lorsque la synagogue était trop petite, on plaçait la 'Houpa dans la cour de la synagogue et la cérémonie se déroulait alors en plein air. Elle comprenait, comme nous le disions plus haut, deux parties :
Ces bénédictions achevées, on brisait un verre (évocation
du deuil de la destruction du Temple et en même temps symbole de l'alliance
entre le couple).
On conduisait ensuite les époux dans une pièce où on
les laissait seuls quelques instants (Yi'houd). Les témoins qui avaient
signé la Ketouba constataient ce fait, considéré
comme la consommation symbolique du mariage.
La cérémonie nuptiale était achevée.
Les parents et les époux faisaient alors établir un contrat
de mariage (Tenaïm A'haronim) qui constatait que le mariage
avait eu lieu et qui détaillait les conditions matérielles de
l'union, complétant en général celles contenues dans
le contrat des fiançailles.
Le festin de mariage suivait et, pendant sept jours, on répétait
les sept bénédictions nuptiales à chaque repas.
Il semble qu'en Alsace, au cours du 18ème siècle, les Juifs aient voulu faire reconnaître ces contrats par les autorités civiles non juives. C'est pourquoi on les déposa auprès des notaires. Ceux-ci les enregistrèrent en faisant signer les époux et leurs parents, ainsi que deux témoins civils (non juifs en général). Il existe de multiples contrats de ce genre, dans diverses archives notariales de l'Alsace d'avant la Révolution.
Depuis le milieu du 19ème siècle les Juifs d'Alsace, ayant accédé aux droits civiques et étant soumis à la loi générale, ne firent plus établir de contrats de mariages hébraïques et seule demeura la Ketouba, acte religieux du mariage dans lequel les chiffres concernant la dot et la contre-dot n'ont plus gardé qu'une valeur symbolique.
Le présent travail est consacré à l'étude d'un certain nombre de contrats de mariage. Les contrats dont il sera question sont tous des Tenaïm A'haronim donc des contrats établis le jour du mariage, après la cérémonie nuptiale. La rédaction de ces contrats correspond, grosso modo, à celle qui est mentionnée par les ouvrages rabbiniques spécialisés. En voici un formulaire :
"Que la bonne chance germe et s'élève, semblable à un jardin verdoyant !"
Voici les paroles d'alliance et les conditions discutées et établies entre les deux parties, au moment de la 'Houpa :Tout ceci a été fait devant nous, témoins soussignés
- à savoir entre... et son fils le fiancé.., d'une part,
- et entre... et sa fille la fiancée... d'autre part.
M... a épousé par Kiddoushîn Mlle... par la remise d'un anneau en or et l'a conduite sous la 'Houpa, selon la loi de Moïse et d'Israël.
Elle a accepté ces Kiddoushîn, selon l'usage.- M... apporte en dot à son fils... M... apporte en dot à sa fille... _ _
- A partir de ce moment, le couple vivra en amour et en affection, sans rien se cacher l'un à l'autre ; sans rien enlever ou sans rien enfermer. Ils géreront leurs biens avec des droits égaux. Si M... se comportait envers son épouse... de manière insupportable pour elle, et qu'ils aient besoin de recourir au tribunal rabbinique, il lui remettrait immédiatement 10 pièces d'or pour subvenir à sa nourriture. Il lui remettrait la même somme chaque mois, tant que durera leur différend, ainsi que les vêtements et les bijoux qui lui appartiennent en propre et irait avec elle au tribunal dans les 14 jours suivant sa demande (à elle). C'est ce tribunal qui décidera de toute contestation.
Après réconciliation, Mme... reviendra dans la maison de son mari et remettra en place ce qui lui restera de l'argent, ainsi que ses effets et ses bijoux.- Voici ce qui a été décidé en cas de décès (qu'à D. ne plaise) :
a) Si M.. devait décéder dans la première année du mariage sans descendant vivant de son épouse, Mme... prendra tout ce qu'elle a apporté, sans aucun supplément. S'il mourrait dans la deuxième année, sans descendant, elle prendrait pour sa Ketouba et pour la moitié de la contre-dot la somme de... Si M... mourrait dans la troisième année ou plus tard sans descendant, Mine... prendrait pour sa Ketouba et pour sa contre-dot complète la somme de...
b) Si Mme... mourrait dans la première année du mariage sans enfant de son mari, celui-ci remettrait à ses héritiers à elle tout ce qu'elle avait apporté, en déduisant les frais justifiés. Si Mme... mourrait la deuxième année, il remettrait à ses héritiers la moitié de tout ce qu'elle avait apporté, frais déduits. Si Mme... mourrait la troisième année ou plus tard, "la loi revient au Sinaï" : le mari est l'héritier de sa femme.
Quelle que soit la date du décès (du mari), elle (l'épouse) prendra en priorité son alliance, tous les vêtements et tous les cadeaux qu'elle a apportés, ainsi que son lit avec sa literie, tout ceci non déduit de sa Ketouba ou de la contre-dot.
.... le à et tout est valide et définitif.
Signé par les époux et par les parents
témoin
témoin
Ces dispositions ressortent de la trentaine de contrats que nous avons consultés et comprennent à peu près tous les cas envisageables.
Halitza : la loi biblique exige qu'en cas de décès
du mari pour un couple sans enfants, la veuve épouse son beau-frère.
C'est le lévirat. Lorsque ce beau-frère ne veut pas accomplir
son devoir, il se soumet à la cérémonie de "déchaussement",
la 'Halitza. Cette 'Halitza est donc comparable à
un divorce, mais sans qu'il y ait eu préalablement mariage formel.
Depuis la fin de l'époque talmudique, le lévirat a généralement
cédé la place à la 'Halitza. Mais il arrivait
parfois que le beau-frère refuse d'accorder la 'Halitza pour
faire pression sur sa belle-soeur et pour monnayer son acceptation, car la
veuve ne pouvait se remarier sans la 'Halitza. C'est pour parer à
ce refus éventuel que, dans les Tenaïm le père
ou le fiancé s'engageaient à obtenir, par écrit, avant
la cérémonie du mariage, l'engagement des frères à
accorder, sans contre-partie, la 'Halitza, en cas éventuel
de veuvage de leur belle-soeur.
'Hatzi 'Hélek Zakhor : les parents de la fiancée lui garantissent, après leur mort, une somme égale à la moitié de celle que recevront les enfants mâles. Chaque contrat étudié contient cette clause qui est une donation, en complément de la dot et des cadeaux reçus pour le mariage.
Ces longues pages d'introduction étaient indispensables pour aborder l'étude des contrats de mariage conservés par les notariats de Wissembourg.