Les différentes coupes du seder de Pessah
La coupe de Myriam : son nom est écrit en hébreu (site « Cup of Myriam ».). |
Au cours du seder, la première nuit de la fête de Pessah, les Juifs se racontent la sortie d’Egypte des Hébreux et leur fin de l’esclavage (voir le livre de l’Exode dans la Bible) au travers du récit de la Haggadah de Pessah, livre d’usage pour cette fête. […] Le récit de cette libération, à la fois individuelle et collective, est l’un des commandements de la fête de Pessah [1]. Et cette libération dans la tradition juive représente le paradigme de toute libération. "C’est dans le mois de Nissan que (…) l’esclavage de nos ancêtres en Egypte cessa et c’est en Nissan qu’ils seront délivrés" énonce le Talmud [2] en faisant allusion aux temps messianiques.
La coupe d’eau de Myriam, ("koss Myriam", en hébreu) [3], est une coupe que l’on remplit d’eau et que l’on boit, juste avant de se laver les mains et de passer au repas, au deux tiers de la cérémonie du seder et du récit de la Haggadah, de Pessah.
On boit cette coupe après avoir bu la deuxième des quatre coupes de vin consommées au cours du seder. Ces quatre coupes de vins relatent, selon l’exégèse rabbinique, les différentes étapes de l’intervention divine dans la délivrance des Hébreux [4] . La cinquième coupe de vin est celle que l’on verse pour le prophète Elie, censé, dans la tradition juive, venir annoncer les temps messianiques. […]
Myriam la prophétesse, l’une des guides du peuple hébreu
La coupe d’eau souligne l’importance de Myriam dans l’histoire de la libération des Hébreux, d’Egypte, et au cours de la traversée du désert, en faisant allusion, bien sûr, au "puits de Myriam" grâce à qui auquel le peuple juif put se désaltérer durant presque quarante ans [5]. Au-delà de la dimension vitale que représente l’eau, ici dispensée grâce au mérite d’une femme, le puits revêt un aspect mystique dans l’exégèse rabbinique et kabbalistique. Les sources cachées d’une connaissance mise à jour. D’ailleurs, Myriam, la prophétesse, nommée en tant que telle dans la Bible est recensée dans le Talmud comme l’une des sept prophétesses [6] du peuple d’Israël.
Sage-femme, elle refuse, avec sa mère Yocheved, d’exécuter l’ordre infâme du Pharaon, c'est à dire de tuer les nouveaux nés mâles des Hébreux [7]. Elle est, selon le Midrash, celle qui adjure son père Amram, leader de sa génération, de retourner vers son épouse alors qu’il s’en était détourné de peur d’engendrer un garçon. Elle lui fait remarquer que son attitude est encore plus meurtrière que celle du souverain d’Egypte puisqu’il refuserait même d’engendrer des filles [8]. Par là, elle signifiait aussi que l’espérance et la confiance du peuple juif doivent transcender les décrets antisémites… Elle prédit d’ailleurs, alors qu’elle n’était que la sœur de Aaron, "que sa mère enfanterait un fils qui sauvera Israël" [9] . En quelque sorte Moise lui doit sa naissance…Elle est aussi celle qui, guettant la nacelle où Moïse a été déposé dans le Nil, se précipite lorsque Bitya, la fille de Pharaon le trouve et l’adopte. Elle propose alors à cette dernière de trouver une nourrice pour l’enfant qui ne sera nulle autre que la mère de Moïse [10].
Au moment de la sortie d’Egypte, après la traversée de la mer rouge : "Myriam, la prophétesse, la sœur d’Aaron, prit le tambourin dans sa main, toutes les femmes sortirent derrière elle avec des tambourins et des danses" [11]. D’où avaient-elles des tambourins, elles qui comme les autres ont du quitter l’Egypte, behipazon, "dans la précipitation" [12] ?! "Les femmes justes de cette génération, assurées que le Saint Béni-Soit-Il allait accomplir des miracles, avaient emporté d’Egypte des tambourins" énonce le Midrash [13] . Cette confiance, émouna, en hébreu, confine à la prophétie puisque … "Ce qu’une simple servante a vu à la mer Rouge, les prophètes ne l’ont pas vu" affirme encore le Midrash [14]. Et le Talmud d’insister : "c’est par le mérite de ces femmes vertueuses que nos ancêtres furent délivrés d’Egypte" [15].
Myriam enseigne également la Torah aux femmes d’Israël [16]. Et elle est considérée avec ses frères Moïse et Aaron, comme l’une des guides (parnassim en hébreu) de sa génération [17].
Ainsi au-delà de Myriam [18] (et de Moïse), cette coupe rappelle l’engagement et le mérite des femmes, autant celles de cette génération de la sortie d’Egypte que des générations suivantes, dans le quotidien et l’espérance du peuple juif.
Avant de boire la coupe de Myriam, l’on dit la bénédiction suivante : "Que telle soit ta volonté, Eternel notre Dieu, Dieu de nos pères et de nos mères, créateur de l’univers : protège-nous et fais-nous vivre dans le désert de notre vie avec de l'eau vivante. Et donne-nous la force et la sagesse de comprendre que l'éclosion de notre rédemption se trouve dans le chemin de notre vie et non pas seulement au bout du chemin. Amen." [19]
Yehi ratzon milfanekha, Adonaï Eloheinu, ve-Elohei avoteinu v'imoteinu, borei ha'olam : shetishm'reinu ut'kaymeinu bamidbar 'hayeinou im mayim chayim. V'titen lanu eth ha'hizouk v'eth ha'hokhmah l'daath she'tzmi'hath geoulateinu nimtza baderekh 'hayim lo rak b'sof haderekh. Amen.
Il s’agit d’une bénédiction écrite par le rabbin Susan Shnur, de sensibilité reconstructionniste. [...]
L'orange sur le plat du Séder (site «Passover-in-style ».). |
Certaines personnes mettent une orange pour marquer la place des femmes, encore quelque peu occultée dans la narration du peuple juif ou au sein des communautés juives afin que "notre place dans le judaïsme soit autant visible qu’une orange sur le plat du Seder".
Ce symbole a été également, et surtout, adopté par les minorités sexuelles pour signifier qu’elles sont bien là et partie intégrante du monde juif.
En fait, l’orange sur le plat du seder tiendrait son origine de l’anecdote suivante : Un jour, à la fin des années soixante-dix, des femmes demandèrent à un rabbin (ou une femme de rabbin selon une autre version [20]) invité dans le cadre informel d’une université, quelle serait la place des femmes lesbiennes au sein du judaïsme ? "Le rabbin en colère se serait alors écrié : "il y a autant de place pour une lesbienne dans le judaïsme qu’un morceau de pain sur le plat du Seder !" [21]. Les femmes lesbiennes, à partir de là, prenant au mot le rabbin, auraient commencé à mettre un morceau de pain, aliment strictement interdit durant la fête de Pessah, sur le plat du seder. "Mais comme certaines femmes plus pratiquantes, n’étaient pas à l’aise avec l’idée de mettre du pain sur le plateau du seder, le pain fut bientôt remplacé par un espace vide marqué maquom sur le plateau. Maquom signifie endroit, place, c’est aussi un terme de la tradition juive pour désigner Dieu sans connotation de genre. D’autres groupes s’approprièrent l’histoire et mirent une orange, aliment inhabituel et étrange sur le plateau du seder, pour symboliser la place des lesbiennes mais aussi la place des femmes rabbins et de manière générale la place des femmes dans le judaïsme" [22].
Ce serait Dr Susannah Eschel, l’une des pionnières du mouvement féministe juif, qui aurait introduit le rituel de l’orange sur le plat familial du seder pour intégrer "les lesbiennes et les gays qui contribuent eux aussi à la richesse du judaïsme". Ce symbole s’est étendu à toute personne qui se sentirait marginalisée au sein de la communauté juive (…) mais la solidarité avec la communauté juive lesbienne et gay est à la base de cette introduction" [23]. Dans cette optique, "cracher les pépins d’une orange avant de consommer l’orange" rappellerait le fait de rejeter la haine et l’ostracisme à l’encontre des homosexuels", alors que tous les quartiers d’une orange feraient allusion "à tous les segments d’une communauté formant un tout" [24].
D’autres rituels ou commentaires féministes ont été insérés au cours du seder de Pessah [25].
Il y a, par exemple, les réponses que l’on donne aux questions des quatre filles, en parallèle à celles que l’on adresse aux quatre enfants, généralement entendus comme des garçons, de la Haggadah, que des féministes orthodoxes israéliennes ont rédigées [26]. Les questions et les personnages sont généralement les mêmes que ceux qui si retrouvent dans la Haggadah traditionnelle mais les réponses font explicitement référence à des passages concernant l’histoire des femmes dans les textes de la tradition juive. Ainsi …
"Au sujet des quatre filles dont parle la Torah : la sage, celle qui est en colère, une simple d'esprit et une autre qui ne sait pas poser de questions.
Que dit la Sage ? "Quel est le témoignage (aédouth), quels sont les statuts (vehah’oukim) et les lois (vehamishpatim) que nos pères et nos mères vous ont transmis [27] ?"
Vous lui direz : "Témoignage" – car nos mères aussi furent témoins de ce miracle.
"Statuts" – car nous avons reçu des statuts pour les étudier et en discuter, comme il est écrit : "Je discuterai de tes statuts" (Psaume 119:48). "Lois" – ce qui signifie (en se basant sur son acronyme en hébreu du terme MiSHPaT) "mot" (milah), "poésie» (shira), "interprétation" (parshanout), "amélioration" (tiyov) et la réparation (tikoun), auxquels nous sommes tenus.
Celle qui est en colère que dit-elle ? "En quoi ce service nous concerne-t-il ?"
Vous irez à sa rencontre et vous lui direz : toi aussi tu as ta part durant cette nuit de la sortie d'Égypte, comme il est dit: "C'est grâce au mérite des femmes pieuses que nos ancêtres sortirent d'Égypte" (Traité Sota 11du T.B). C'est pourquoi il est approprié que ta voix aussi se fasse entendre et chante la liberté, comme il est dit au sujet de la prophétesse Myriam : "Les femmes sortirent après elle, en danse et tambourins" (Exode 15:20)" etc.
L’introduction de ces commentaires et de ces rituels féministes proviennent autant des courants non orthodoxes qu’orthodoxes. En effet, rappelons le, Pessah est le paradigme de toute libération c’est pourquoi, au-delà des coutumes diverses des différentes communautés juives du monde qui introduisent ici et là des aspects particuliers [28] ; des références à l’histoire juive ont régulièrement été mêlés au récit de la libération d’Egypte ? et des différentes oppressions. Ainsi, au temps des refuzniks (celles et ceux à qui on refusait un visa pour Israël) et des prisonniers de Sion (celles ou ceux qu’on emprisonnait pour avoir demandé ce visa), le sort des Juifs d’URSS était évoqué. Celui des Juifs fuyant l’Ethiopie et l’antisémitisme était également mentionné au cours du seder de Pessah [29].
Marc Chagall : La danse de Myriam |
Notes :