Si l’on veut comprendre le sens des textes concernant le Shabath dans
ce courant majeur de la mystique juive qui est celui de la cabale théosophique,
il faut avoir présent à l'esprit la conception de Dieu partagée
par les tenants de cette mystique . Ils partent en effet de la distinction
entre Dieu en lui-même qui nous reste parfaitement inconnaissable et
que les cabalistes à partir d'Isaac l'Aveugle ( Languedoc, 12ème
siècle ) désignent par le terme d' Eyn Sof
, littéralement "Sans-fin", et les dix manifestations de
Dieu en tant que créateur, désignées le plus souvent
par le terme de sefiroth, terme emprunté au Sefer
Yetsirah (fin de l’Antiquité). Ces dix manifestations de
son activité créatrice constituent une réalité
unifiée et dynamique organisée d’une manière hiérarchique
et entre lesquelles s'établissent des relations réciproques
et harmonieuses. Elles constituent le fondement de tous les êtres créés.
L'homme en bas, a été créé à l'image des
ces puissances d'en haut , c'est là la reprise cabalistique du thème
biblique de l'Imago Dei , ce qui lui permet en retour d' agir sur
l'ensemble des mondes y compris sur le monde divin lui-même, c’est
ce que l’on a coutume de dénommer l’action théurgique.
Dans l'ordre descendant, elles marquent les étapes par lesquelles le
monde a émané de Dieu dans l’ordre ascendant , elles balisent
les étapes par lesquelles le mystique parvient à l’adhésion,
debeqût, au divin.
A chaque sefirah se trouvent assignés des noms divins
aussi bien que de nombreux épithètes et surnoms. qui transforment
le texte biblique en un réseau d’allusions, à travers
lesquelles transparaît le monde des sefiroth ,allusions
qui doivent être déchiffrées par ceux qui en possèdent
le code.
Ainsi les dix logoï (maamarim) de la
création, les dix interventions de Dieu lors de la Sortie d’Egypte,
les dix paroles du Décalogue, sont toutes des expressions de ce module
fondamental . Voici le schéma de base du monde de l'émanation
:
On
aperçoit que les trois premières sefiroth relèvent
du registre intellectuel. Les trois suivantes caractérisent les modalités
éthiques fondamentales qui se concrétisent dans la triade qui
suit . L’ensemble des neuf entités se déverse en Malkhouth,
le Royaume divin, dont la manifestation est la cause ultime de la création.
Les grands personnages bibliques constitutifs de l’identité d’Israël
sont les supports de chacune des sept sefiroth inférieures, dont ils
sont l’incarnation sur le plan éthique: Hesed
pour Abraham , Geburah pour Isaac , Tifereth
correspond à Jacob, Netsa'h à Moïse, Hod
à Aaron, Yessod à Joseph, Malkhouth
à David.
L'image de l’Homme d’en Haut est l'homologue de l’homme
d’en bas ; La Torah, composée de 613 préceptes correspond
aux 613 membres du corps humain, qui eux même répondent aux membres
de l’Adam Elyon. C’est pourquoi la Torah joue
le rôle d'interface entre l’homme et Dieu.
L’influx divin ne s’écoule pas vers le monde corporel dans
un seul ordre. Des relations dynamiques s’établissent entre les
sefiroth et entre celles-ci et notre monde.Tout dépend du moment du
temps et de la dominante du bien ou du mal. Le kabbaliste essaie de connaître
les schémas de ces interactions, aussi bien que la nature essentielle
des sefiroth afin de pouvoir agir sur le monde d’en-haut.
A la mémoire de Charles Mopsik za”l, trop vite disparu, nous avons choisi ici de traduire quelques textes du Zohar pour illustrer, comment les cabalistes entendaient la signification du jour du Shabath et des obligations qui l’accompagnent.
Rabbi Abba commença l’explication d’un verset : "Si tu t’abstiens de violer le jour du Shabath d’agir à ta guise en mon jour saint" (Isaïe 58:13) - Il a dit : Béni sont les Israélites que le Saint béni soit-Il a choisi pour adhérer à Lui parmi toutes nations du monde, qu’Il a rapprochés de Lui, en raison de son amour et auxquels Il a donné, le Torah et le Shabath ; le Shabath , le plus saint des jours, le plus reposant, le plus joyeux . Le Shabath qui équivaut dans la signification à toute la Torah, Car qui observe le Shabath c’est comme s’il observait toute la Torah :
"Si tu appelles le Shabath un délice" (idem) - Un délice entier, un délice pour l'âme et pour le corps; un délice pour les êtres d’en haut et un délice pour les êtres d’en bas.
"Si tu appelles (we-qarata)" - Que signifie "Si tu appelles" ? Cela signifie "Si tu invites" comme il est dit : "convocations saintes (miqrae qodesh)" (Lévitique 23:2) invite-le, comme on invite un invité distingué, la table dressée dans une maison préparée comme il convient , avec la nourriture et la boisson qui convient, d'une qualité qui dépasse celle des autres jours . [...]
"Si tu honores ... en t’abstenant de faire des affaires et de tenir des propos (profanes)" (ibid.). On explique : un mot prononcé par l'homme s'élève et suscite un mot profane en haut. Celui qui invite un hôte, doit prendre soin de lui et non d’un autre. Viens et vois : ce mot qui sort de la bouche de l’homme s’élève et provoque le réveil d’en-haut , que ce soit pour le bien ou pour le mal . Et il est défendu à celui qui jouit du délice du Shabath d’énoncer une parole profane car il suscite un défaut au jour saint. Qui a été invité en banquet du roi, ne doit pas se détourner du monarque pour converser avec quelque autre personne.
Chaque jour, il convient d’envisager une action et de susciter le réveil qu’il convient de susciter. Mais le Shabath , il convient de susciter l’éveil, par les paroles célestes et par la sainteté du jour et non par une autre parole.
Zohar II . 47 a -47 b
Dans ce passage du Zohar, on peut discerner plusieurs idées
distinctes . En premier lieu, le motif de l’élection d’Israël
qui permet aux Israélites l'adhésion (en hébreu debeqûth)
à Dieu. Vient ensuite, une reprise de l’affirmation bien connue
des rabbins, selon laquelle, l’observance du Shabath équivaut
à l’observance de toute la Torah. Le Shabath est comparé
ensuite, dans un premier temps, à un hôte distingué convié
à notre table. Dans un second temps, c’est nous qui devenons
les hôtes d’un banquet royal. Aussi, celui qui traite de sujets
profanes est-il considéré comme quelqu’un qui tourne le
dos au roi pour s’adresser à une autre personne.
Il découle de ce qui précède que celui qui prononce des
paroles profanes en ce jour devient un profanateur du Shabath. Et c’est
précisément, à propos de la parole, que le Zohar mentionne
ici un de ses thèmes fondamentaux : l'action en général
, et la parole en particulier, ont un retentissement dans le monde d’en
haut , c'est à dire sur le domaine du divin ; Selon la formule
consacrée : "le réveil d’en bas suscite le
réveil d’en haut".
"Souviens-toi du jour du Shabath pour le sanctifier" (Exode 20:8) - Rabbi Isaac enseigne : il est écrit : "Il a béni le septième jour" (Genèse 2:3) et il est écrit à propos de la manne : "six jours vous la (manne) glanerez mais le septième jour, c’est Shabath, cela ne se fera pas" (Exode 16:26). S’il n’y a pas de nourriture, en quoi y a-t-il bénédiction ? Mais c’est ainsi que nous avons appris : toutes les bénédictions d’en haut et d’en bas sont rattachées au septième jour. Et nous avons appris : pourquoi n’y a-t-il pas de manne le septième jour ? Parce que, c’est à partir de ce jour que sont bénis tous les six jours d’en haut. Et chacun d’entre eux dispense la nourriture en bas, chacun en son jour à partir de cette bénédiction dont ils sont l’objet dans le septième jour.Au point de départ de ce fragment, l’attention est dirigée sur l’apparente contradiction entre deux versets mentionnés. Le premier verset affirme que le septième jour est marquée par la bénédiction alors que le second verset nous dit précisément que la manne ne tombait pas le septième jour. Où est alors la bénédiction impartie au Shabath ?
Zohar 88 ab
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