Des traditions qui se perdent…
par Edgard WEILL
Rabbin honoraire de Mulhouse
A chaque époque, certains ont pris l’habitude de rappeler avec
un petit serrement au cœur le bon vieux temps. Avec nostalgie, ils se
complaisent à évoquer des événements petits ou
grands, qui stimulaient la joie de vivre.
Notre tradition religieuse en Alsace n’échappe pas à ce
phénomène. Parmi nous, ils sont de plus en plus nombreux ceux
qui, le Erev Shabath (veille de Shabath- , ne se sentent plus envahis
d’une âme complémentaire (Neshomo Yeseïro).
Par contre, ceux qui sont restés fidèles, s’ingénient
à mettre tout en œuvre pour faire du Shabath un jour exceptionnel,
un jour qui fait allusion aux délices de l’au-delà.
Bénédiction des enfants le vendredi soir
gravure de Hermann Junker
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On prépare ses plus beaux habits, chaque jour on lit un passage de
la section shabathique de la semaine, on choisit les mets les plus raffinés.
Rien ne doit plus rappeler en ce Shabath ce qui était un jour ouvrable.
Si, en raison de ce chômage, une perte d’argent était subie,
les plus anciens savent, par tradition ou par l’étude, que cette
perte serait remplacée par D. d’une manière ou d’une
autre.
Si le Shabath devient sur terre l’avant-goût à la félicité
de l’au-delà, il le doit à cette totale déconnexion.
Le Shabath, les travaux et les soucis de la semaine ne laissent aucune trace
dans le déroulement de ces instants de délice (
Oneg).
La maîtresse de maison a une grande part dans cette préparation,
tant pour celle de la
‘Hallah ( pain du
Hamotzi) au
cours de laquelle on prélève l’équivalent de la
dîme que pour l’allumage des bougies. Les juifs déterminent
la longueur d’une heure en divisant par douze le temps qui sépare
le lever et le coucher du soleil. C’est en fonction de ces données
que l’on détermine l’heure de l’allumage des bougies.
Après l’office du vendredi soir, on avait l’habitude de
se faire un devoir d’inviter à sa table le
Schnorrer
(mendiant) de passage. En rentrant de l’office, les parents bénissent
leurs enfants ; les enfants allaient vers leur père et mère
et disaient "bench moi".
Pendant le repas on chantait les
Zemiroth (on les trouve dans un
livre qui a été édité dans ce but).
Certains, pour donner à ce délice toute son intensité,
se plongent dans l’étude de textes sacrés.
Le samedi, les enfants se rendent à la communauté où
le rabbin ou un instructeur, tout en les distrayant, leur inculque tous ces
principes qui donnent à notre façon de vivre, la faculté
de surmonter les épreuves de la vie.
La clôture du Shabath est marquée par ce qu’on appelle
la
Havadala, la séparation du Shabath et de la semaine. Généralement,
le maître de maison éteint la lumière que la maîtresse
de maison a allumée le vendredi soir. Au cours de cette cérémonie,
les présents mettent leur nez sur la "
Bsom Bechs"
(boîte à épices), comme s’ils voulaient se familiariser
à nouveau avec les habitudes de la semaine.
Il n’est pas superflu de préciser comment on contournait les
différents interdits propres au Shabath. Pour avoir l’autorisation
de porter dans le domaine public (
Rechouss Horabim), ce qui n’était
pas nécessaire pour le domaine privé (
Rechouss Hayo’hid),
on établissait un
Erouv, ce qui était généralement
réalisé par le rabbin. Les élèves observant Shabath,
ou n’allaient pas en classe, ou s’ils y allaient, chargeaient
un copain non juif d'écrire, ou de porter, ou de transmettre les devoirs.
Quant aux interdits de l’allumage du feu, bon nombre de coreligionnaires,
s’entendaient avec un voisin non juif (
Chaves Goy). Parmi ceux-là,
il y en avait, après la dernière guerre, qui s’étonnaient
que cette même tradition ne fût souvent pas reprise par son voisin
juif.