Cérémonie de Seli'hoth chantées par Michel Heymann en la Synagogue de Luxembourg (16 septembre 2006) |
Le minhag (coutume) des Juifs Aschkénazes est de commencer la récitation des Seli'hoth (prières pénitentielles) le dimanche qui précède Rosh Hashana. Cela est possible lorsque Rosh Hashana, le Nouvel An, commence un jeudi ou un Shabath, laissant ainsi un minimum de quatre jours de Seli'hoth avant Rosh Hashana. Cependant, si Rosh Hashana commence un lundi ou un mardi, la récitation des Seli'hoth est avancée au dimanche de la semaine précédente. Ils débutent toujours les Seli'hoth le dimanche dans le but d'habituer les personnes à une certaine constance.
Une autre explication du minimum de quatre jours de Seli'hoth avant Rosh Hashana est que, en règle générale, chacun doit se considérer comme s'il était lui-même un korban (sacrifice), afin d'être humble et plein de regret pour toutes les fautes et les iniquités qu'il a commises. En gardant cette pensée à l'esprit, il s'agit de réciter les Seli'hoth - en se concentrant sur le Jour de jugement qui se profile à l'horizon - pour une période d'au moins quatre jours, qui correspond aux quatre jours pendant lesquels, les animaux destinés aux sacrifices étaient vérifiés, afin de s'assurer qu'aucune imperfection ne les rendraient invalides à être un korban. En essayant de se préparer, le mieux possible pour Rosh Hashana, chacun sera alors mieux préparé pour les Asséreth yémé téchouva (les dix jours de pénitence) qui suivent Rosh Hashana et de la sorte, il méritera une autre année consacrée à D. et à Sa Torah. En effet, même les talmidé 'hakhamim (érudits du Talmud) mettent de côté leurs études et leur emploi du temps, généralement établi de façon extrêmement précise, pour réciter les Seli'hoth. En fait, l'essentiel est de considérer que réciter les Seli'hot recouvre une double obligation, celle de réciter les Seli'hoth elles-mêmes et celle d'utiliser sa force dans la Torah dans le but d'accroître la force de sa prière pour qu'elle intercède en faveur de ses proches, pour qu'ils méritent une bonne année, en bonne santé, une année productive sur le plan spirituel et matériel. |
Seder (rituel) Selihoth Kol Hachanah Frankfort coll. © M & A. Rothé |
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Seli'ha El Melekh yoshev - coll. © M & A. Rothé |
Le thème de Yom Kippour
Dans chaque ensemble quotidien des Seli'hoth, l'accent est mis sur la souffrance juive par les mains des nations tyranniques et sur nos péchés qui ont conduit les juifs dans ces situations. S'il fallait faire une comparaison, l'esprit de la récitation des Seli'hoth aschkénazes correspond plutôt à l'esprit de Yom Kippour. De fait, c'est un peu comme les Qinoth (Lamentations) qui sont récités à Tisha beAv et qui abordent le sujet de l'oppression, de la destruction et du péché. Même si la majorité des aschkénazes commencent à réciter les Seli'hoth à l'approche de Rosh Hashana, certains débutent leur récitation au début du mois de Eloul, car ils considèrent que la période de quarante jours - de Roch 'Hodech Eloul jusqu'à Yom Kippour - correspond aux jours que Moïse passa au sommet du Mont Sinaï qui étaient essentiellement des jours de miséricorde divine. Malgré tout, ils s'accordent pour associer l'attribut de stricte justice à la récitation des Seli'hoth, à cause de l'approche de Rosh Hashana, le jour du jugement. En effet, nos sages rappellent que, lorsque Moïsemonta pour la dernière fois au sommet du Mont Sinaï pour y passer à nouveau quarante jours avant Yom Kippour, les Enfants Israël jeûnèrent chaque jour, jusqu'au coucher du soleil et le dernier jour, ils jeûnèrent pendant 24 heures sans interruption, ce qui correspond à Yom Kippour.
Le thème tiré des "Chroniques des Croisades"
En l'an 1095, l'Église - suite à l'invasion musulmane en Palestine - décréta une croisade contre les Sarrasins dans le but de reconquérir Jérusalem. L'année suivante - au printemps 1096 - des bandes de croisés zélés, dirigés par des moines et des soldats embarquèrent pour la Terre sainte. Parmi les croisés, se trouvaient de nombreux serfs fugitifs, des aventuriers et des criminels. Sur son chemin vers Jérusalem, cette horde bigarrée tua des milliers de juifs "infidèles" dans les plus grandes villes d'Allemagne : Spire (Speyer), Worms, Mayence (Mainz) et Cologne (Köln). Au mois de mai 1096, une bande de croisés - dirigée par Emi'ho (2), un noble allemand - pénétra en force dans la ville de Mayence et par la suite, dans l'archevêché où les juifs s'étaient réfugiés. Les meurtres sauvages et les suicides de ces juifs dans ce palais, l'horreur et l'hystérie qui les accompagnèrent sont clairement décrits dans les trois textes qui suivent, d'après un récit rédigé en hébreu par Shlomo bar Shimchon, chroniqueur de l'époque et d'une chronique anonyme de Spire.
I. Martyre et massacre à Mayence (Mainz)
L'odieux Emi'ho proclama que l'ennemi devait être expulsé de la ville et anéanti, ce qui provoqua une grande panique dans la ville. Tous les juifs, dans la cour intérieure de l'archevêché fourbirent leurs armes et se dirigèrent vers la porte du palais pour combattre les croisés et les habitants de la ville. La lutte s'engagea autour de la porte, mais les péchés que les juifs avaient commis firent que l'ennemi triompha et s'empara de la porte.
"Soyons forts"
Hashem eut la main lourde avec Son peuple. Tous les idolâtres étaient unis contre les juifs dans la cour afin d'effacer leur nom. La force de notre peuple déclina lorsqu'il réalisa que les méchants édomites étaient sur le point de l'emporter. Les hommes de l'évêque - qui avaient promis d'aider les juifs - ne furent d'aucun secours car ils s'enfuirent les premiers, laissant de la sorte les juifs entre les mains de l'ennemi. L'évêque lui-même s'enfuit de son église : il était menacé en raison des bonnes paroles qu'il avait eues pour les juifs... (L'évêque de Mayence Ruthard avait reçu une somme d'argent pour défendre les juifs) (3).
Lorsque les enfants de l'Alliance Sainte constatèrent que le décret céleste de mort avait été pris et que l'ennemi était en train de les vaincre - il venait d'entrer dans la cour - les vieux, comme les jeunes, les jeunes filles et les enfants, les serviteurs et les servantes, tous implorèrent leur Père dans le ciel et - pleurant sur eux-mêmes et sur leur fin imminente - qcceptèrent la décision de D-ieu comme juste. Ils se dirent, l'un à l'autre: "Soyons forts et acceptons le fardeau de notre sainte religion - car c'est seulement dans ce monde que l'ennemi peut nous tuer - et la mort la plus douce est celle qui est donnée par l'épée. Quant à nous - lorsque nos âmes seront au paradis - nous continuerons à vivre une vie éternelle, dans la réflexion lumineuse (de la Gloire divine)." De tout coeur et pleinement consentants, ils dirent alors : "Après tout, il n'est pas juste de critiquer les décisions de D-ieu - béni soit-Il et béni soit Son Nom - qui nous a donné Sa Torah et qui nous a ordonné de nous tuer, de nous tuer nous-mêmes pour l'unité de Son Saint Nom. Soyons heureux de pouvoir accomplir Sa volonté. Heureux est celui qui est tué ou massacré, qui meurt pour l'unité de Son Nom afin de pouvoir entrer dans le monde à venir, résider dans le camp céleste avec les hommes pieux, avec Rabbi Akiva et ses compagnons - les piliers de l'univers - qui furent tués en Son Nom (les Romains torturèrent - jusqu'à la mort - Rabbi Akiva pendant la révolte de Bar Kokhva, approximativement vers l'an 135). De plus, Il quitte le monde de l'obscurité pour le monde de lumière, le monde de la confusion pour le monde de la joie et le monde qui passe pour le monde qui dure pour l'éternité.", Tous les hommes s'écrièrent ensuite à l'unisson : "Il ne faut pas retarder ce qui doit arriver car l'ennemi est déjà sur nous. Hâtons-nous et offrons-nous comme sacrifice à Hashem. Que celui qui a un couteau vérifie que sa lame ne soit pas ébréchée. Qu'il vienne ensuite nous tuer pour la sanctification de l'Unique, l'Éternel, et qu'il tranche ensuite sa gorge ou qu'il enfonce le couteau dans son corps" (un couteau avec une lame non effilée rend le sacrifice impropre).
Lorsque l'ennemi entra dans la cour, il trouva quelques-uns des hommes pieux entourant leur brillant maître, Yits'hak ben Moché. Ce dernier offrit alors sa gorge à l'ennemi qui la lui trancha en premier. Les autres, enveloppés dans leurs vêtements de prières munis de franges, s'assirent dans la cour, impatients de remplir la volonté de leur Créateur. Ils ne prirent pas la peine de s'enfuir dans le palais pour essayer de préserver leur vie temporelle, mais acceptèrent entièrement la décision de D-ieu. L'ennemi leur envoya des pierres et des flèches, mais ils ne s'enfuirent toujours pas. Alors (Esther 9 :5), "en frappant du glaive, en tuant, en détruisant", l'ennemi assassina tous ceux qu'il trouva. Lorsque ceux qui étaient dans le palais virent l'attitude de ces hommes pieux, la façon dont l'ennemi était tombé sur eux, ils s'écrièrent alors : "Il n'existe rien de mieux pour nous que d'offrir notre vie comme sacrifice" (le nombre important des troupes ennemis - il est dit que Emi'ho avait quelques 12 000 hommes - ne laissait aucune chance de survie aux juifs).
Seli'hoth "Elzous" : il s'agit d'une des premières éditions du rituel alsacien, paru vers 1750. - coll. © M & A. Rothé |
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Rituel de Seli'hoth selon le rite alsacien (1963) coll. © M & A. Rothé |
Tous tuèrent et furent tués; leur sang se mélangeant pour n'en faire plus qu'un. Le sang des hommes se mêla à celui de leur femme, le sang des pères à celui de leurs enfants, le sang des frères à celui de leurs sœurs; le sang des maîtres à celui de leurs élèves ; le sang des jeunes mariés à celui de leur nouvelle femme; le sang des responsables à celui des exécutants; le sang des juges à celui des scribes; le sang des nouveau-nés à celui de leur mère. Pour l'unité du Nom honoré et qui inspire la crainte, ils furent tués et massacrés. Les oreilles de celui qui entendra ces choses frémiront, car qui a déjà entendu une telle chose ? Renseignez-vous et regardez autour de vous : a-t-on déjà connu une telle profusion de sacrifices depuis Adam l'ancien ? A-t-on déjà entendu une chose telle que mille cent offrandes en un seul jour, chacune d'entre elles équivalant au sacrifice de Yits'hak, le fils d'Abraham ?
Parce que Yits'hak était prêt à se laisser sacrifier sur le Mont Moria, le monde trembla, tel qu'il est dit (Isaïe 33 :7) : "Voilà les braves guerriers qui se lamentent dans les rues ; (les anges de la paix pleurent amèrement)" et (Jérémie 4 :28) : "les cieux, là-haut sont ténébreux". Et nous avons vu ce que ces martyres ont fait ! Pour quelle raison les cieux là-haut ne sont-ils pas devenus ténébreux et les étoiles n'ont-elles pas retenu leur éclat ? Pour quelle raison la lune et le soleil ne se sont-ils pas obscurcis là-haut lorsqu'en un seul jour - le troisième jour du mois de Sivan, un mardi - 1100 âmes furent tuées et sacrifiées, parmi elles, celles de nombreux nourrissons et enfants qui n'avaient commis aucune transgression et qui n'avaient pas péché, de nombreuses pauvres et innocentes âmes ?
Vas-Tu - Ô Seigneur - continuer à rester serein ? C'est en Ton Nom que ces âmes sans nombre furent tuées. Venge rapidement le sang de Tes serviteurs qui a coulé ; venge-le de nos jours et sous nos yeux. Amen (Chroniques de Shlomo bar Shimchon).
II. Ra'hel et ses enfants
Alors, la personne prit le jeune Yits'hak qui était très jeune et très beau, et le tua tandis que sa mère étendait ses manches afin de recevoir le sang dans son vêtement, plutôt que dans un bassin. Lorsque le jeune Aaron vit que son frère Yits'hak était mort, il cria, encore et encore : "Mère, mère, ne m'égorge pas", avant d'aller chercher refuge sous un coffre. Elle avait également deux filles qui vivaient encore avec elle - Bella et Matrona, de splendides jeunes filles - les enfants de son mari, Rabbi Yehouda. Ses filles prirent elles-mêmes le couteau et l'aiguisèrent pour qu'il ne soit pas entaillé. Ensuite, la femme mit leur gorge à nu et les sacrifia à Hashem D-ieu Tsevaoth qui nous a ordonné de ne pas changer Sa religion pure, mais d'être parfait avec Lui, tel qu'il est écrit (Deutéronome 18 :13) : "Reste entier avec l'Éternel, ton D-ieu."
Lorsque cette femme pieuse en eut fini de sacrifier ses trois enfants à leur Créateur, elle éleva la voix et appela : "Aaron, où es-tu ? Toi non plus, je ne t'épargnerai pas et je n'aurai pour toi aucune pitié." Elle le fit alors sortir de sa cachette en le tirant par les pieds et elle le sacrifia devant D-ieu le haut et exalté. Elle disposa le corps de ses enfants auprès d'elle - deux de chaque côté, en les couvrant de son vêtement, elle s'allongea et agonisa. Lorsque l'ennemi entra dans la pièce, il la trouva assise et gémissante. "Montre-nous l'argent que tu caché sous tes vêtements", crièrent-ils. Mais lorsqu'ils virent ses enfants sacrifiés, ils la frappèrent et la tuèrent - sur ses enfants - et son esprit s'envola et son âme trouva enfin la paix. C'est à elle qu'on applique le verset biblique (Osée 10 :14) : "Les mères furent écrasées avec leurs enfants."...
Lorsque le père constata la mort de ses quatre merveilleux et adorables enfants, il se mit à pousser des cris, à pleurer et à gémir. Il empoigna une épée et l'enfonça dans son ventre pour en faire sortir ses entrailles. Il baigna alors dans son sang et dans celui de ceux qui étaient en train de mourir dans d'innombrables convulsions. L'ennemi tua tous ceux qui restaient encore dans la pièce et leur enleva leurs vêtements ; (Lamentations 1 :11) "Vois, ô Éternel, et regarde comme je suis devenu misérable." Les croisés commencèrent ensuite à exprimer des remerciements au nom du "pendu" car ils avaient fait ce qu'ils voulaient de tous ceux qui se trouvaient dans la pièce de l'évêque afin qu'aucune âme n'en échappe. (Les croisés tinrent un service de remerciement dans le palais de l'archevêque, à l'endroit où le massacre avait eu lieu) (Chroniques de Shlomo bar Shimchon).
III. Un "juste parmi les nations" en 1096 à Spire !
Rabbi Moché (5) le parnass (le représentant de la communauté), fils de Teqoutiel ne resta pas indifférent. Il mit sa vie en danger pour venir en aide à ses compatriotes juifs. Grâce à son action, tous ceux qui avaient été convertis de force et qui s'étaient réfugiés dans le domaine du Roi Henry (6) purent revenir chez eux. Grâce à l'aide du Roi Henry et de l'évêque John, le reste de la communauté de Spire put trouver refuge dans les villes fortifiées du roi. Hashem avait eu de la compassion pour eux et l'évêque put cacher les juifs jusqu'au jour où les ennemis de Hashem disparurent. (Chronique anonyme de Mayence)
Une prière liée à ces événements est attribuée à Rachi (1040-1105) qui vécut à Troyes ainsi qu'à Mayence et à Worms, la voici :
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