Au témoignage d'Issachar Mardochée ben Sussan (1510-1580) rabbin marocain né à Fez qui vécut à Jérusalem et voyagea ensuite à travers toutes les communautés juives du bassin méditerranéen, les juifs askenazes et eux seuls avaient coutume de consommer beaucoup de fruits le jour du 15 shevath (1). On peut supposer que dans la foulée de la vague de revivalisme mystique qui déferla sur le monde juif à partir des enseignements kabbalistiques dispensés à Safed, cette coutume se répandit aussi de manière informelle dans les communautés orientales.
Le livret comporte, après une préface destinée à
justifier l'introduction du rite, une première partie composée
de textes tirés de la Bible et du Zohar et qui concernent les fruits.
Cette première partie est suivie d'une invocation dont le contenu joint
à celui de la préface nous fournira le sens de la cérémonie.
La seconde partie du rituel fournit la liste et l'ordre selon lequel les participants
sont invités à consommer trente fruits, chaque dégustation
étant précédée de la lecture d'un texte soit rabbinique,
soit zoharique se rapportant à chaque fruit en particulier. De même
que la consommation de chaque fruit est précédée de la
bénédiction appropriée, de même la cérémonie
s'achève par les bénédictions usuelles que l'on énonce
après la consommation des fruits (4).
Le rituel décrit doit être considéré comme une innovation de l'auteur du Hemdat Yatnim. Si l'on se réfère en effet à l'époque talmudique, on constate qu'aucune agape ne marquait alors la célébration de ce jour. Certes la Mishna Ros ha-Shana mentionne déjà la date du 15 shevath comme le Nouvel An de l'arbre d'après l'Ecole de Hillel. Mais ce nouvel an est simplement un point de repère en ce qui concerne la dîme des fruits : on ne peut s'acquitter de la dîme des fruits qui ont mûri après le 15 shevath à l'aide de fruits qui ont mûri avant cette date (5). Il n'est pas question dans l'ancienne littérature rabbinique de considérer le 15 shevath comme un jour de jugement à l'égal du premier tishri et encore moins d'une quelconque cérémonie pour marquer cette journée.
Le souvenir de cette date paraît s'être estompé rapidement.
Ce n'est que très récemment qu'un chercheur a retrouvé
dans la Geniza du Caire, quelques poèmes surérogatoires récités
ce jour-là à l'époque des Gaonim, mais qui n'avaient
laissé aucune trace par ailleurs (6). Si l'on descend plus avant dans
le moyen-âge en parcourant les codes et les collections de Responsa,
on ne constate en ce qui concerne le 15 shevat que l'existence de deux usages
: l'un négatif, on ne récite pas en ce jour de supplications
(Ta'hanûn) comme c'est le cas pour les autres jours de fête
et de demi-fêtes ; l'autre plus tardif, celui de consommer en ce jour
beaucoup de fruits.
Il faut ajouter comme en a témoigné Issachar Mardochée
ben Sussan que ces usages ne sont vérifiés que pour les juifs
ashkenazes (7).
Le rituel détaillé du Peri Etz Hadar est donc une véritable innovation. Comme l'écrit Abraham Yaari : "En ce qui concerne le 15 shevath, on peut dire de l'auteur du Hemdath Yamim qu'il a ajouté une fête au calendrier liturgique" (8).
Rupture avec le naturalisme et le mythe dans le Talmud et la littérature
rabbinique
Si nous voulons comprendre la portée de cette innovation, il nous faut au préalable nous remettre dans l'esprit un certain nombre de données succinctes concernant aussi bien la religion biblique que le judaïsme rabbinique. On peut dire que la religion biblique n'a cessé de lutter pied à pied contre les religions agraires de Canaan, de se mesurer avec les mythes naturalistes du Proche-Orient. Le monothéisme israélite s'est affirmé toujours davantage comme l'antithèse du panthéisme où Dieu, le monde et l'homme se confondent dans le mythe. Le Dieu d'Israël est le créateur du monde qui manifeste sa présence en tant que Seigneur de l'histoire. C'est pourquoi aussi les pratiques de la religion biblique sont l'objet d'un processus continuel et graduel d'historicisation. Lors de la fête de la Pâque ou de la fête des Tabernacles, la célébration de la moisson ou de la vendange, recule à l'arrière plan de la conscience collective, ces fêtes deviennent des mémoriaux, des moments capitaux de l'histoire du salut. La conscience de celui qui célèbre la Pâque est dirigée vers la sortie d'Egypte réellement vécue par ses ancêtres et ne s'immerge pas dans la représentation rituelle d'un mythe des origines. Le rite ne prétend à aucun efficace, il ne fait que rappeler les moments fondateurs de l'histoire de l'élection d'Israël.
Le judaïsme rabbinique prolonge et approfondit cette rupture avec le naturalisme et le mythe. Il l'accentue encore par une attitude intellectualiste qui en arrive à voir dans la contemplation de la nature un péché contre l'esprit. C'est ainsi qu'on peut lire dans le Traité des Principes : "Rabbi Simon enseigne: celui qui est en route et étudie, s'il s'interrompt en s'écriant: Combien beau est cet arbre, combien joli ce champ; l'Ecriture lui en tiendra compte, comme s'il portait atteinte à son âme" (9).
Ce qui est vrai de la theoria, se vérifie aussi au niveau de la praxis. Puisque nous aurons à parler dans un instant d'un repas au cours duquel se succèdent de multiples bénédictions sur les fruits, considérons donc quelle idée les anciens rabbins se faisaient de la bénédiction. En ouvrant le Traité des Bénédictions du Talmud de Babylone, nous pouvons lire ce qui suit : "Rabbi Samuel enseigne au nom de Rabbi Yehuda : celui qui jouit de ce monde-ci sans prononcer de bénédiction, c'est comme s'il jouissait des saintetés des cieux. En effet, il est dit (Psaume 24: 1): Au Seigneur, la terre et tout ce qu'elle contient. Rabbi Lévi objecte : mais il est aussi écrit (Ps 115: 16) : Les cieux soit les cieux du Seigneur mais la terre il l'a donnée aux hommes. Il n'y a pas de contradiction: le premier verset s'applique avant la bénédiction, le second après qu'elle ait été prononcée" (10). Le sens de ce passage important du Talmud est limpide. Tant que l'homme n'a pas prononcé de bénédiction, les produits de la nature appartiennent encore au domaine du divin. La bénédiction, la reconnaissance par l'homme de l'origine divine du produit est l'acte qui permet de faire passer celui-ci du domaine divin au domaine humain, de la sphère du sacré à celle du profane. La sanctification de l'homme par le précepte est exactement l'inverse d'une sacralisation de la nourriture. Comme l'écrit G. Scholem : Le rite du judaïsme rabbinique n'agit pas, ne transforme pas et renonce à tout accomplissement cosmique. Tout élément orgiaque ou extatique en est complètement éliminé" (11).
Remythologisation du judaïsme dans la Kabbale
La remythologisation du judaïsme n'est pas moins patente au niveau de la motivation kabbalistique des préceptes. Chaque réalité en bas est un reflet d'une réalité du monde d'en haut et il n'est rien en fin de compte qui ne soit constitué selon le module des dix sefiroth. II en résulte donc que chaque précepte se rattache à un aspect particulier du plérome divin, que l'ensemble des préceptes de la Tora est un vaste corpus symbolicorum au sujet duquel les kabbalistes affirment que non seulement il reflète l'infinité du divin mais même s'identifie avec lui (12). C'est pourquoi, en accomplissant un précepte, on ne représente pas seulement le divin sous une forme symbolique mais on le fait exister réellement. Un célèbre kabbaliste n'hésite pas à écrire : "Celui qui accomplit un précepte provoque l'épanchement d'une puissance par ce précepte en haut à partir du néant de la pensée (divine). S'il est permis de s'exprimer ainsi, c'est comme s'il accomplissait réellement, mamash, une part de Dieu lui-même"(13). La timide réserve exprimée par "s'il est permis de s'exprimer ainsi" ne parvient guère à amoindrir l'immense portée de cet enseignement kabbalistique : l'observance du précepte a comme effet d'actualiser le divin qui demeurerait enfoui en lui-même sans l'intervention de l'homme.
Le rite du Nouvel An des arbres : une réparation et
un parachèvement
Nous sommes à présent en mesure d'aborder l'étude de la signification du rite du Nouvel An introduit par l'auteur du Hemdath-Yamim. Dans sa préface, il affirme que c'est une coutume louable de consommer beaucoup de fruits en ce jour avec un accompagnement d'enseignement et d'eulogies quoiqu'il reconnaisse qu'Isaac Louria n'en ait pas fait mention. C'est un Tiqqûn, c'est à dire tout à la fois une oeuvre de réparation et de parachèvement sur le plan du sens manifeste comme sur celui du sens ésotérique.
La première justification qu'il en fournit illustre bien la métamorphose, que savent si bien opérer les kabbalistes, d'un énoncé talmudique. Le passage tiré du Talmud palestinien est le suivant : "L'homme devra rendre compte dans le futur de tous les délices que ses yeux ont aperçus et qu'il n'a pas consommés. Rabbi Eleazar était sensibilisé à cet enseignement, il économisait de l'argent avec lequel il consommait chaque espèce le moment venu" (14). Pour éclaircir ce texte, notre auteur renvoie à un autre passage du Talmud, à savoir la suite du texte sur la bénédiction que nous avons mentionnée précédemment. On y déclare : "Celui qui jouit de ce monde ci sans bénédiction vole le Saint Béni. Soit-il et l'Ecclesia d'Israël comme il est dit (Proverbes 14: 26): Qui dépouille père et mère en disant: ce n'est pas un péché, n'est qu'un complice du brigand (15). Et notre liturgiste de nous expliquer que celui qui jouit de ce monde-ci sans bénédiction est dénommé "voleur" ou "brigand" parce que la bénédiction a pour effet par le moyen de son énonciation de faire épancher l'influx d'en haut, ce qui a comme conséquence de remplir de cet influx l'archonte préposé à ce fruit ce qui permet de faire croître le fruit une autre fois. C'est pourquoi celui qui jouit sans prononcer de bénédiction est un voleur car il épuise la créature dont la spiritualité est présente à l'aliment. Il épuise cette faculté et l'empêche d'agir dans le monde alors qu'il lui conviendrait de provoquer l'épanchement de la bénédiction à partir d'en haut. La puissance préposée à cet effet est annulée et privée de l'influx qui était en son pouvoir, c'est pourquoi il est dénommé "voleur" (16).
Aux yeux du kabbaliste, prononcer une bénédiction, c'est donc
provoquer un surplus de bénédiction dans le monde d'en-bas en
obtenant de la source de toutes les bénédictions qu'elle s'épanche
vers chacune des espèces de ce bas monde.
C'est précisément ainsi que s'exprime l'invocation placée
au milieu du livret :
"Que ce soit un effet de ta volonté, Seigneur notre Dieu et Dieu
de nos pères que d'épancher par la puissance de la vertu de
la consommation des fruits qu'à présent nous consommons et nous
bénissons par une articulation conforme au mystère de leurs
racines supérieures auxquelles ils se rattachent, un influx de bénédiction,
d'agrément et de libéralité sur tes fruits. Que ceux
qui sont préposés et investis en ce qui les concernent se gorgent
de la puissance de l'épanchement de leur splendeur pour assurer une
autre fois leur croissance et leur germination du début à la
fin de l'année. .." (17).
C'est donc parce que chaque fruit possède une racine en haut, entendons par-là qu'il correspond à une entité sefirotique que le dévot qui consomme chaque fruit avec la kavana, avec l'intention requise, agit sur le monde divin de telle sorte qu'il garantit la fécondité du cosmos tout entier et ceci particulièrement en ce jour du nouvel an de l'arbre qui à présent, au même titre que le premier du mois de tishri devient jour du jugement divin sur toutes les espèces d'arbres (18).
Trente espèces de fruits
Cependant il ne suffit pas en un pareil jour de prononcer une bénédiction mais il convient conformément au précédent de Rabbi Eleazar de les multiplier pour parvenir à y inclure toutes les espèces de fruits de l'arbre. Pour ce faire, on s'efforcera de se conformer à une distribution taxinomique incluant tous ces fruits, telle qu'elle a été enseignée par Hayim Vital, le disciple préféré d'Isaac Louria. Ce kabbaliste a expliqué qu'il existait trente espèces de fruits de l'arbre se répartissant en trois groupes de dix. Chaque dizaine correspond à un niveau du cosmos tel qu'il est analysé par les ésotéristes. Le critère taxinomique essentiel étant la présence ou l'absence d'écorce, de coquille, de partie dure ; en cas de présence sa situation à l'intérieur ou à l'extérieur du fruit. Le critère considéré implique évidemment toute la symbolique kabbalistique à l'intérieur de laquelle l'écorce ou la coquille figurent l'impureté s'originant du côté de chez Satan.
Les dix premiers fruits correspondent au monde de la création,
'ôlam ha-Bêriya, qui vient juste après le monde
divin, celui des dix sefiroth. Les fruits qui composent ce groupe,
ainsi le raisin et la figue sont les plus proches de l'émanation et
les plus éloignés de l'impureté. C'est pourquoi ils ne
possèdent pas d'écorce, ni à l'intérieur, ni à
l'extérieur et sont donc entièrement comestibles.
Viennent ensuite les dix fruits correspondant au monde de la formation,
'ôlam ha-Yetzira. Ils correspondent aux dix entités
de ce monde et ont donc une nature intermédiaire entre celle du monde
de la création et celle du monde de la fabrication. Ils ne sont pas
aussi proches de l'impureté que les fruits de ces derniers, ni aussi
éloignés que ceux du monde précédent. C'est pourquoi
le noyau qui se trouve ici au milieu du fruit n'est pas consommable. Entrent
dans cette catégorie, des fruits comme les olives, les dattes.
Le dernier groupe de fruits est celui qui se situe au niveau du monde
de la fabrication, 'ôlam ha-'Assiya. De ces fruits, on ne mange
que l'intérieur et on jette la partie externe. C'est le cas des noix,
des grenades et autres semblables. En effet, déclare notre auteur,
la coquille du fruit constitue une barrière, une cloison entre le fruit
et le monde des désirs afin qu'il n'acquiert pas une impureté.
C'est le mystère ajoute-t-il, du mauvais penchant et de l'écorce
qui adhère à l'âme(19).
Nous constatons ici, comment sans que cela fasse pour lui problème, le kabbaliste glisse du plan cosmologique à celui des désirs mauvais de l'âme. Il ne peut le faire que parce qu'il professe une doctrine de la correspondance universelle où l'âme et le monde renvoient l'une à l'autre et s'éclairent l'une par l'autre.
Mais il ne s'agit pas seulement de bénir mais aussi de réparer. Ici, nous nous trouvons placés en face d'un thème très spécifique de la kabbale lourianique. On sait que dans cette kabbale une crise déterminante pour l'avenir de tous les êtres se produit à un certain moment du processus qui conduit du divin à l'extra-divin. Ce moment est dénommé par Louria le "Bris des Vases", "shevirath kelim". Le résultat en est que de nombreuses parcelles du divin sont précipitées avec les écorces des vases brisés dans les mondes inférieurs.
A ce moment succède la phase du Tiqqûn, de la réparation, de la restauration que Dieu engage et que l'homme se doit d'achever. Cet achèvement, l'Israélite a le moyen d'accomplir par le truchement de la Torah qui doit être considéré comme le code, au double sens linguistique et juridique du terme, de la rédemption attendue par le monde et son Créateur. En accomplissant les préceptes et spécialement en se nourrissant de la manière requise le juif parvient à faire remonter vers la déité, les étincelles captives des écorces. C'est là le second aspect de la cérémonie que fait ressortir l'auteur du Peri Etz Hadar, lorsque glosant le passage talmudique cité plus haut concernant celui qui volait père et mère, notre auteur explique : "Celui qui mange en prononçant une bénédiction avec l'intention requise, répare les étincelles attachées à son âme et les étincelles atteignant l'âme de son père et de sa mère", entendons par-là les entités séfirotiques dénommées père et mère (20).
Sanctification de la sexualité
Ainsi l'auteur du Peri 'Etz Hadar va-t-il articuler le motif de la réparation de ces fautes qui concernent le domaine sexuel au rite de la consommation des fruits. Il s'y sent autorisé par le fait que depuis la première kabbale, celle du Sefer Bahir, l'entité séfirotique dénommé le "Juste" ou le "Fondement du monde" est aussi celle qui se trouve représentée par l'image de l'arbre des mondes, celle de l'arc, ainsi que par le signe de l'alliance.
H. Vital écrit : "Et maintenant par son repentir, il retire la sainteté des écorces et les fait revenir à leur endroit. Alors les écorces deviennent mortes. C'est le mystère du verset (Jérémie 3:14) : Revenez, enfants rebelles (shovevim). Explication: ce sont les fils qu'on a livrés aux écorces par l'écoulement de la semence. C'est pourquoi les écorces s'en sont revêtues et qu'ils sont devenus mutins. C'est pourquoi, à présent "Revenez" par le repentir et retirez les enfants mutins d'entre les écorces et ramenez-les à la sainteté comme au commencement de la circoncision. Autrement dit, l'entité Yêssôd exprime en sa polysémie la force génésique du divin et sur le plan éthique le thème d'une sexualité canalisée et maintenue dans les limites de la sainteté à laquelle correspond dans l'histoire des patriarches la figure de Joseph le juste (22).
Il n'y a rien d'étonnant dès lors que l'auteur du Peri Etz Hadar ait pu écrire dans les premières lignes de son opuscule : "Et par le Tiqqûn de l'action que nous accomplissons en ce jour en ce qui concerne les fruit, nous réalisons le Tiqqûn du Juste qui est la Vie des Mondes" (23). Et plus loin dans son invocation : "Que la force de l'éclat des bénédictions lors de la consommation des fruits soient des luminaires en égard à la source des bénédictions, le Juste, Vie des Mondes et qu'apparaisse dans l'allégresse l'arc paré en ses couleurs. Que s'épanche vers nous l'influx d'agrément et de miséricorde pour que nous obtenions le pardon des fautes que nous avons commises. Nous avons trahi l'alliance et nous avons gâté le fruit du Juste vivant des mondes. Nous avons empêché que se déversent les pluies et avons détourné toutes les sources. Que tout fasse retour à présent à sa force originelle, que son arc redevienne ferme, car c'est toi Seigneur qui bénit le Juste, qui l'entoure de ta faveur comme d'un bouclier" (24).
La rédemption universelle
En dernier lieu, notre kabbaliste dilate le sens de son rituel aux dimensions de l'histoire universelle. Il déclare que son maître lui a enseigné qu'en consommant les fruits, il convenait en même temps de diriger son intention vers la réparation de la faute du premier homme qui pécha par les fruits de l'arbre. Car si tous les jours de l'année sont voués à la réparation de cette faute, cette journée l'est davantage encore puisqu'elle fonctionne comme origine et principe à l'égard des fruits de l'arbre (25). Mais l'évocation de l'origine ne revêt pas pour l'ésotériste, une signification passéiste. Elle l'entraîne immédiatement à évoquer les temps messianiques où surgira un germe pour David. Rapportons-nous à ses propres paroles tirées de l'invocation déjà mentionnée : "Toutes les étincelles qui ont été éparpillées à cause de nous, à cause de nos pères et par la faute du premier homme, qu'elles fassent retour maintenant pour se fondre dans la force et l'éclat (Proverbes 31:25) de l'arbre de la vie. Ecarte d'elles tout mal par la puissance de ton grand nom tiré du verset (Job 20:15) "La fortune qu'il avait avalée la voilà vomie", que tout revienne à sa puissance première. Que personne ne se trouve repoussé [car Toi seul Seigneur tu rassembles les relégués d'Israël] (Rituel). Et c'est pourquoi tu feras bientôt germer le germe de David ton serviteur et Tu élèveras sa puissance par ton intention salvatrice".
C'est donc sur une note messianique que culmine ce rituel kabbalistique qui derrière l'apparente simplicité d'un repas de fruits encadré par le lecture de quelques textes canoniques se découvre à l'analyse comme présentant une singulière complexité. Les connotations multiples qui s'imposent à l'esprit du kabbaliste en ce qui concerne le terme "arbre" d'un côté et celui de "nouvel an" de l'autre expliquent que le repas du 15 shevath ait put être institué par son inventeur à la fois en tant que rite garantissant la fécondité annuelle de la nature, comme un rituel d'expiation des fautes liées au domaine de la sexualité et en même temps que comme une oeuvre de rédemption du cosmos tout entier et par là-même comme une préparation des temps messianiques.
Le symbolisme kabbalistique qui animait ce rite était profondément vécu dans la religiosité des communautés juives qui l'ont perpétué jusqu'à l'aube de la modernité. Dans l'Israël moderne, le 15 shevath est devenu la journée de la plantation des arbres sur les collines de Judée, de Samarie ou de Galilée. Le repas de fruits ne se survit qu'au niveau du folklore, exception faite de quelques rares groupes de kabbalistes ou de hassidim. Les symboles kabbalistiques ont cessé d'être signifiants pour la plupart des juifs d'aujourd'hui. A l'activité symbolique de rite a été substitué l'acte effectif de planter des arbres. Ainsi l'utopie réintègre-t-elle l'histoire réelle des hommes. Mais planter un arbre au milieu des éléments déchaînés n'est-ce pas aussi préparer l'éclosion du rameau de Jessé !
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