Une légende curieuse, dont il est déjà fait mention dans le Talmud, à laquelle font allusion les livres midrachiques, qui se retrouve encore dans les récits du célèbre voyageur Eldad-Ha-Dani, et dont on devisait jadis en Alsace, dans les conversations du Sabbat, avait trait à un fleuve extraordinaire.
On racontait qu'il existe, quelque part, un fleuve qui, les jours ouvrables, charrie du sable et, de l'entrée du Sabbat jusqu'à la fin du Sabbat, arrête son cours. Une autre forme de cette légende veut que ce fleuve charrie du sable les jours ouvrables et que, le samedi, il charrie et rejette des quartiers de roche.
D'après cette même légende, de l'autre côté
de ce fleuve, habitaient des descendants de Moïse, que les juifs d'Alsace
désignaient on ne sait pourquoi, sous le nom de : "Rauti Yédlich"
(petits juifs roux).
Ces juifs auraient été miraculeusement transportés dans
ce pays en récompense de leur courage et de leur pieux attachement
à Jérusalem.
Emmenés captifs par l'armée de Nabuchodonosor, ils refusèrent
de faire entendre aux vainqueurs, les chants du Temple de Jérusalem,._
ainsi que le relate ce magnifique Psaume : "Sur les rives des fleuves
de Babylone, nous nous assîmes et nous pleurâmes au souvenir de
Sion. Aux saules qui les bordent, nous suspendîmes nos harpes, car nos
maîtres nous ordonnaient de chanter des hymnes. Chantez, nous disaient-ils,
un des cantiques de Sion ? Comment chanterions-nous l'hymne de l'Éternel
en terre étrangère ? Si je ne me souviens toujours de toi, ô
Jérusalem, que ma droite soit paralysée, que ma langue s'attache
à mon palais, si je ne place Jérusalem au sommet de mes joies
!"
A quelle époque l'histoire ajouta-t-elle que, dans leur patriotisme
exalté, ces exilés se coupèrent l'index pour que leurs
vainqueurs ne puissent les forcer à se servir de leurs harpes ?
Ce fleuve, derrière lequel, suivant la tradition, s'étaient établis les descendants de ces nobles captifs, est connu sous le nom de Sambation ou de "Sabbation" , sans doute à cause de la différence de son cours entre le samedi et les jours ouvrables. Il formait, le samedi, une barrière infranchissable, soit que, selon la première forme de la légende, il arrêtât son cours le samedi, et, quiconque eût osé le franchir, en ce saint jour de repos, eût été mis à mort par ces juifs pieux, farouches observateurs du Sabbat ; soit que, selon la seconde forme de la légende, ce fleuve, charriant des quartiers de roche, soulevant des vagues de pierres avec un bruit de tonnerre, ne fût devenu totalement impraticable.
C'est le souvenir de cette seconde forme de la légende qui a persisté
en Alsace, et c'est ce Sambation au cours tumultueux, désordonné
et ininterrompu, qui est devenu le symbole d'une agitation sans arrêt,
d'un mouvement continuel et bruyant. Combien d'enfants et même d'adultes
juifs alsaciens se sont-ils entendus apostropher ainsi : "Er
rut sau wenig as der Sambation". - Il ne se repose pas plus que le
Sambation.
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