Il arrive à Francfort pour exercer le métier d'instituteur
hébraïque de la petite communauté. Avait-il déjà
enseigné auparavant, et quel était le niveau de ses connaissances,
tant en matières profanes que religieuses? Rien ne l'indique ! De même,
nous ne savons pas si son arrivée sur les rives du Main est consécutive
à une embauche préalable, ou s'il a exercé cette profession
une fois arrivé sur place, à défaut d'un autre moyen
de subsistance ?
Enseignant dans la communauté juive, il doit être en contact
d'amitié étroit avec le chantre Itschak, autre employé
de la communauté, puisqu'il va épouser une de ses deux filles,
son frère Abraham convolant ensuite avec la deuxième fille.
Le registre des juifs le mentionne en 1502 sous la désignation de
"Simelin Cayn (= Kohen)", frère d’Abraham (que l’on trouve
en 1508 dans la maison à l’enseigne " zum Lilie ", c’est
à dire " au lys ".
Le même registre des juifs mentionne en 1505 que les époux Simon
et Schöne (Belle) logent dans la "maisonnette" à côté
de celle du bedeau (shamash) qui, lui, habite dans l’immeuble
dit "Kaltbad" (c. à d. = la maison contenant le mikveh,
le "bain froid"!). Cette maisonnette nouvellement construite est
une adjonction à côté de celle du bedeau. Simon Geismar
en est le premier occupant, maison de fonction en sa qualité de maître
d’école juif. Il est alors le seul et unique enseignant de la
communauté juive de la ville.Le terme de maisonnette correspond au
fait qu'il était courant à Francfort, devant l'exiguïté
foncière de la rue des Juifs, de voir des partitions successives des
propriétés, voire des immeubles, afin de loger de nouveaux foyers.
Ces maisons avaient en général sur rue la largeur d'une pièce,
le reste étant construit en profondeur.
A partir de 1510, cet immeuble portera le nom à l’enseigne "du
Cheval" (zum Ross). Un écrit de 1511 parle alors de l’enseigne
" du Cheval Blanc " (Weisses Ross). En général on rajoutait
au nom de l'immeuble celui de la couleur qu'il avait. En l'occurrence, la
maison devait être peinte en blanc. Pourquoi cette "maisonnette"
avait-elle été baptisée du nom de "cheval"
? Nous n'en savons rien, tout au moins n'avons-nous pas trouvé d'explication.(voir
plan de 1505 de la rue des juifs)
D’autres renseignements sur Symelin von Geismar, "aus Hessen und
Geismar" parlent parfois de "Pfefferkorn" (grain de poivre),
sans en préciser la raison. On dit que le père de Simon était
certainement originaire de la même ville de Geismar, mais on ne sait
strictement rien sur sa mère.
Une autre fois on apprend (toujours en 1502) qu’il se nomme " Simelin
Cayn ", c’est à dire qu’il est COHEN (prêtre). Ceci
est une nouveauté importante, car les descendants Geismar n'ont jamais
revendiqué une telle appartenance.
Il faut donc croire que la famille Geismar est une famille d’origine
pontificale, mais pour quelle raison le souvenir en a disparu, puisque aucun
des Geismars de Grussenheim n’a jamais revendiqué cette appartenance
à la descendance du grand prêtre Aaron, frère de Moïse
? De même aucune tombe Geismar ne porte la trace de cette prêtrise,
tant dans les noms qui y sont inscrits, que par l'absence de mains qui bénissent.
La plus ancienne tombe qui nous soit connue, celle de Yehuda Abraham Schlomo
ne comporte aucune mention de ce genre. Serait-ce la conséquence de
la condamnation encourue par Abraham, frère de Simon, pour avoir blasphémé
la religion juive ?
En 1503 SIMON se marie avec " Sejnlin bath Ytschak " (prononciation en patois
francfortois, qu’on peut rendre par Schaïnlein)(c'est-à-dire
: Belle, fille d'Isaac) avec qui il aura deux enfants :
a. Zalman (nom identique à Salomon)
b. Beile (épouse de Amsel ou Anselme)
Sejnlin, selon la prononciation francfortoise, apparaît aussi sous les
prénoms de "Schöne, Schönchen, Schonlin".
En 1508 on reparle d’Abraham frère de Simon. Les deux frères ayant épousé deux sœurs. Abraham loge, quant à lui, dans la maison à l’enseigne "du Lys" (zum Lilie).
Simon doit être décédé vers 1517, selon le registre du cimetière. Mais plus tard, en 1530, on a un autre renseignement : puisqu’à cette date on parle de la veuve Schöne, ayant un enfant mineur. Lors du mariage de sa fille Bela (Beile), en 1533, on reparle de sa mère en tant que "veuve avec son fils Salman" qui doit alors être majeur.
En 1533 " Bela, fille de Schönlein ", s’installe avec son époux Anselme (transformation du prénom hébraïque: Ascher) (mais son patronyme nous est inconnu) dans la maison de sa mère. En 1534 c’est Anselme qui paie le loyer pour la maison " zum Ross" (au cheval). Vraisemblablement les deux jeunes époux n’auraient résidés à Francfort que pendant les années de leur prise en charge par Schönlein.(selon la coutume hébraïque, il était d'usage d'assurer aux jeunes mariés le gîte et le couvert pour une certaine période postérieure aux épousailles. Cette période variait selon les Ketouboth, en fonction de l'état de fortune des parents de l'épouse).
Qui étaient les parents de Schönlein ?
Son père est YTSCHAK. Il est à la fois " Vorsänger " -
c’est à dire chantre de la synagogue - et teinturier de noir
(Schwartzfärber). Il réside dans la maison à l’enseigne
"à la Clef " (zum Schlüssel - ou Färberhaus)
qui est aussi la maison du teinturier. Les livres de comptes de la communauté
parlent de lui pour la première fois en 1460, date à laquelle
il devient le chantre de la petite communauté juive. Initialement il
habite au milieu du quartier chrétien, mais sera obligé de s'installer
dans la rue des Juifs, lorsque les premières maisons du ghetto seront
construites. On retrouve son nom en: 1463, en 1487, en 1489 et 1490. En 1502,
c’est sa fille qui se substitue à lui pour le paiement de son
loyer. Vraisemblablement il n’est plus en fonction à ce moment-là,
mais aurait exercé son ministère pendant environ 42 ans. Nous
n'avons pas connaissance de sa date de naissance, mais on pourrait penser
qu'il avait au moins vingt ans lors de sa prise de fonction de 'hazan
(ministre-officiant). Il serait alors né vers 1440.
Le "Bedebuch" de Francfort (registre des impôts sur
le revenu) indique qu’en 1462 il habite encore à l’extérieur
de la rue des Juifs et qu’il réside dans la maison dite "Hirzens".
Lorsque les juifs furent obligés de déménager et s'installer
dans la rue des juifs nouvellement construite, il n’ y avait que six
maisons qui étaient achevées.
Pour situer dans la chronologie du temps, nous sommes à l’époque qui précède l’expulsion des juifs d’Espagne (1492) et qui correspond au règne – en France – de Louis XII, puis de François 1er (roi de 1515 à 1547) alors qu'en Allemagne le souverain était Charles-Quint (empereur du Saint Empire de 1519 à 1567). Nous sommes aussi à l'époque où vécurent Léonard de Vinci et Gutenberg (originaire de Mayence) qui venait d'inventer l'imprimerie en 1438, soit peu d'années avant. Ceci nous permet de penser que Simon , ainsi que son beau-père, devaient être des lettrés pour leur temps puisque, vraisemblablement, ils n'avaient à leur disposition que des manuscrits – dont le coût était élevé et certainement pas encore de livres imprimés.
Revenons à la famille du ministre-officiant YTSCHAK.
Son épouse est Faj(e)l (selon la prononciation francfortoise), mais
on retrouve aussi pour elle les déformations : Feiel, Fyle, Fyel. Certainement
son prénom correspondait à la fleur "Violette".
Isaac et Fyel ont trois enfants :
Toutes les fois où les deux premiers prénoms hébraïques
(Simon et Salomon) vont apparaître, nous pourrons avoir la certitude
que nous nous trouvons en présence d’une descendance directe
de Simon premier Geismar.
Lorsqu’ apparaîtra le prénom d’Abraham, nous ne serons
plus en présence d’une descendance en ligne directe de Simon,
sauf s’il y eu des mariages consanguins à travers le temps ?
Le beau-père de Simon Geismar, Isaac le chantre et teinturier, débutant ses fonctions en 1460, devait avoir au moins 20 ans au moment de son embauche. Il serait alors né vers 1440. Son nom apparaissant pour la dernière fois en 1511, il n'est certainement plus de ce monde après cette date. Il aurait alors atteint l’âge de 71. On ne connaît pas son patronyme, et bien que les noms de familles accueillies à Francfort soient disponibles, il est difficile de faire un rapprochement.
En résumé on peut dire que Simon doit être né vers 1472, si on considère qu'il avait 30 ans lors de son mariage. Il est décédé vers 1517, certainement d’une maladie véhiculée par la mauvaise qualité de l’eau de la ville et peut-être victime d'une endémie puisque la peste sévissait cette année là, il n'avait donc que 45 ans. Comme il s'est marié en 1502, son fils Zalman (Salomon) doit être alors être né vers 1503/1504. Lorsque Simon meurt, en 1517, (indication de sa pierre tombale) son fils est donc encore mineur et a juste fait sa Bar mitsvah.
Scheinlein, l'épouse de Simon Geismar, devait avoir à peu près le même âge que lui. Elle serait décédée vers 1542, soit âgée de 67 ans, puisque les registres des paiements de loyers indiquent qu'elle les a payés de 1519 à 1542, pour la maison "zum Ross".
Le registre des juifs donne un renseignement : en 1502 Feiel (patois de Filchen) est autorisée à loger son gendre dans sa maison. Il est aussi indiqué que Abraham, frère de son gendre Simel Cayn (=Kohen) a épousé sa fille. Une autre fois on apprend qu’en 1508 il lui est interdit à elle de vendre, en-dehors de la rue des Juifs. Quels étaient les produits dont elle faisait commerce, nous ne le savons pas, mais il faut penser que le salaire d'instituteur de son mari devait être insuffisant pour assurer les revenus du ménage.
Il habite la maison à l’enseigne du lys ("zum Lilie"), et le registre des projets et loyers de 1505 indique qu’il en est le bâtisseur et donc premier occupant. Elle a été construite sur partage de la maison "à la rose blanche". Le registre des juifs de la ville de Francfort donne - toujours en 1505 - la désignation de la "maison à l’angle, à côté de Vifus" avant que la maison ne prenne son nom définitif de "au lys" ou parfois "au lys blanc" (dont la désignation n’apparaît sur les registres comptables qu’en 1512). Elle serait reconnaissable sur le plan de la ville établi en 1711 par Daniel-Merian.
Abraham figure, en 1505, comme exerçant le commerce des bœufs.
En 1506, on trouve pour lui une indication comme "habitant actuellement à
Francfort" et la même année il est noté qu’il a
calomnié les lois de la religion juive. En 1508 il a une querelle avec
un certain Gumprecht (de la maison "du Cerf" = "z. Hirsch")
qui l’accuse de faux monnayage et d’avoir rendu enceinte une servante
juive.
La liste des juifs fait apparaître le nom de son épouse, en 1505. Elle se prénomme : " Henlein " (serait identique à : Hindel ou Hindle). Ils ont un fils : " Slomo ". Ce dernier apparaît en 1523 pour avoir été arrêté alors qu’il ne portait pas le signe distinctif des juifs (Judenzeichen), c'est-à-dire la rouelle. En 1528 on indique qu’il "habite actuellement à "Snenster" ( ?) lieu qui serait peut-être Seltzberg , mais sans certitude.
Dans les héritiers de Schlomo Geismar (fils de Simon) on indique,
en 1560, les noms de :
Salman et Isak LAUSENMAYER, de Friedberg, habitant dans la maison à
l’enseigne du "cheval","zum Ross"
Vraisemblablement les deux héritiers doivent être ses propre
fils, le nom de Lausenmayer n’étant peut-être qu’un
surnom ? Les prénoms par contre correspondent bien à ceux des
deux grands-pères :
- Salomon Geismar (Salan = Schlomo= Shalom) et
- Isak, le chantre et teinturier.
Or Friedberg est une ville de Hesse, se trouvant au nord de Francfort, sur la ligne actuel de chemin de fer conduisant de Francfort à Kassel. Cette ville a appartenue aux seigneurs de Kronberg (lieu indiqué comme origine d’Abraham frère de Symelin). La peste y a sévit, entre autre en 1519, 1520, 1541/1542,1563/1565, 1574, 1599 … ! En 1530, le seigneur décide que la ville sera le lieu de deux marchés annuels : les 14 août et 21 octobre. Pendant la guerre de 30 ans, à deux reprises la ville a été prise d’assaut, en 1640 et 1647 et trois fois dévastée, une première fois en 1634 et ensuite lors des assauts. La ville possédait une communauté juive depuis 1241. Les juifs devaient payer une taxe de protection annuelle s’élevant à 130 marks de Cologne. En 1391 le roi Wenzel annula toutes les dettes que les habitants avaient envers les juifs. La communauté entretenait deux écoles juives : une élémentaire et une supérieure (pour garçons jusqu’à 15 ans). En plus, elle avait une école rabbinique. Elle disposait d’un cimetière depuis 1523. En 1612 on comptait 78 juifs payant la taxe de protection.
Ces deux descendants se sont certainement installés dans cette ville,
plus favorable pour le commerce et ayant une vie juive plus intense qu'à
Francfort.
On vient de retrouver à Friedberg l'ancien mikveh (bain rituel),
creusé dans la roche à 20 mètres de profondeur. (S.Schwarzfuchs,
avril 2004).
Pour quelles raisons les GEISMAR arrivèrent-ils au Pays de Bade (à
l’époque dénommé Margraviat de Bade) et à
quelle époque ?
Le "Konzeptbuch" de Francfort indique, en 1533, que Scheinlein,
épouse de Simon Geismar, possédait un bien foncier à
Hainburg.
Or il existe deux villes allemandes portant ce nom :
- une en Haute Franconie, Hainburg bei Gräfenberg (Oberfranken)
- l'autre sur le Danube: Hainburg a.d. Donau
Le Danube prenant sa source en Forêt Noire, on pourrait éventuellement
supposer que Salomon, le fils de Schönlein et de Simon, quitte Francfort
pour rejoindre la propriété de sa mère dans le marquisat
de Bade. Cela pourrait expliquer pourquoi les GEISMAR descendent dans le sud
et arrivent sur les bords du Rhin, tant en Bade qu'en Alsace. ( voir la carte
des duchés de Hesse et Baden).
Il est vraisemblable qu’ils furent aussi attirés par l’appel
fait par Louis XIV pour repeupler les territoires qu’il venait de conquérir
en Alsace et en Bade, en 1648, suite au Traité de Westphalie. Or, dans
ces territoires, la population alsacienne avait été décimée
par la Guerre de Trente ans. On considère qu’environ 30% de la
population y avait perdu la vie et la situation économique déplorable
n’en était que le reflet.
On sait aussi que le Grand-duché de Bade perdit un grand nombre de
ses habitants à la suite de différentes guerres et troubles.
Il en ainsi : des troubles provoqués par la Révolte des Paysans
de 1443 (connue sous le nom de l’initiateur: Fettmilch). Mais le gros
de la diminution de la population est à mettre sur le compte des guerres
des 17ème et 18ème siècles : Guerre de 30 ans (1618-1648),
guerre de brigandage contre la Hollande (1672-1679), la guerre " Orléanaise
" (expression allemande) (1688-1697) et la guerre de Succession d’Espagne
(1701-1714).
Il existe différents ouvrages traitant des juifs du Land de Bade, mais n’y ayant pas eu accès il est difficile de savoir s’ils auraient pu éclairer le présent travail :
En 1697 la ville comptait 4.600 habitants à côté desquels
il faut rajouter - jusqu’au 18ème siècle - les troupes
de la garnison, pouvant atteindre 10.000 hommes. A plusieurs reprises la ville
avait aussi été victime de la peste, dont - entre autres - en
: 1564, 1580-1582, et en 1632 (qui fit 6.000 morts, cette année là).
En 1648 la ville devint française. En 1681 la Cour Souveraine d’Appel
(dénomination allemande pour le Conseil Souverain d'Alsace) fut transférée
dans la "Ville de Paille", mais après le traité de Ryswick (1697)
celle-ci fut installée à Colmar. La ville resta française
jusqu’à ce que les fortifications de Vauban à Neuf-Brisach
furent achevées. De 1700 à 1703 Brisach redevint française
et ne retourna à l’Autriche qu’en 1714 (un an avant le
décès de Louis XIV). Cependant, en 1793,les troupes de la Révolution
française détruisirent grandement la ville. Au traité
de Paix de Campo-Formio (1797) la ville fut attribuée au duc de Modène,
mais lors du traité de Presbourg (1805) elle revint au Marquisat de
Bade.
En 1553, Vieux Brisach acheta le village alsacien de Biesheim pour un montant
de 380 Florins ! Elle s’en sépara à la suite du traité
de Westphalie (1648), mais elle s’en saisit à nouveau en 1658.
A compter de 1756 Biesheim passa aux mains de la famille Waldner von Freundstein,
noblesse possédante en Alsace.
Les oscillations de souveraineté sur Brisach devaient permettre une
accalmie pour la population juive de la ville.
Les juifs n’apparaissent à Brisach qu’à partir de
1241. En 1348 ils y sont victimes d’un pogrom, vraisemblablement au
moment de la grande peste. En 1424 tous les juifs sont expulsés de
la ville. En 1740 on y compte 30 familles juives. Le point culminant sera
atteint en 1835 avec 572 juifs. A l’arrivée des nazis, en 1933,
il n’en reste que 231 et en 1946 il n’y a plus qu’ un seul
juif à y résider ! A-t-il survécu sur place, ou y est-il
retourné à la fin des hostilités ? La question reste
ouverte.
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