Descendant de la famille GEISMAR, par ma mère, et en plus mon nom hébraïque
étant celui de mon arrière grand-père Henri Geismar,
je cherchais à connaître l'origine du patronyme. Je savais seulement
que le berceau familial se trouvait à GRUSSENHEIM
(Haut-Rhin), à 14 km au nord-est de la ville de COLMAR
. Mais avant cela où étaient-ils ?
Ma plus grande surprise remonte à un voyage effectué en 1959, en allant de Kassel vers Göttingen, afin de longer la frontière, qui existait en ce temps là, entre les deux Allemagnes : Est et Ouest. J' arrivais à une petite ville dont la plaque de signalisation indiquait : GEISMAR ! Etait-ce de là que mes ancêtres étaient partis pour arriver à Grussenheim ?
Cette hostilité est logiquement incompréhensible si l’on veut prendre en compte le fait que les juifs sont arrivés à Grussenheim bien avant de nombreuses familles catholiques du village et que, pour d'autres familles juives, leur arrivée s'est faite en même temps que des familles chrétiennes, c'est à dire à la fin de la guerre de 30 ans (1648). En plus, vers le milieu du 19ème siècle, la communauté juive avait même constituée plus de 30% des habitants du lieu (au recensement de1851= 339 juifs et 775 catholiques) (Baquol) et, comme les juifs exerçaient essentiellement des professions commerciales, ils avaient à supporter l'essentiel de la charge fiscale locale. Comme le disait -après 1950- un maire du village, auprès de qui des habitants se plaignaient du poids des impôts locaux : "auparavant c'était les juifs qui les payaient, mais vous n'avez eu de cesse de les voir quitter le village" !
Que reste-il de cette présence ? Le cimetière, inauguré en 1810, l’ancienne école juive devenue maison d’habitation chrétienne, et une petite stèle - qui n’eut droit qu’au trottoir - signalant où se trouvait la synagogue, synagogue que les habitants du village s’étaient empressés de détruire en 1940, dès l’arrivée des nazis. Ils mirent cette destruction sur le compte de ces derniers.
Au début de l’implantation juive à Grussenheim, il y avait eu un regroupement des familles dans ce qui était dénommé le "Yutahof " (Judenhof, en allemand - Cour des juifs). A l’orée du 20ème siècle, plusieurs branches GEISMAR habitaient encore dans les maisons donnant sur cette placette. L’entrée de la ruelle, y conduisant, était occupée par le "Restaurant Geismar", faisant l’angle avec la rue principale (Vordergasse).
La maison familiale de mes ancêtres, où avaient vécus de nombreuses générations de Geismar, avait été gravement endommagée lors des combats de la Libération de l’hiver 1944-1945. Les plans d'urbanisme décidèrent de la raser et son emplacement fut destiné à l'agrandissement de l’entrée sud du village. Ainsi disparaissait également un autre témoin de la présence juive, puisque cette propriété, connue sous le nom de "Schülhof ", fut l'emplacement à la fois de la première synagogue du village et du mikveh (bain rituel) (selon Salomon Picard).
Les "Geismar"s représentaient le plus grand nombre de familles juives du village, puisque sur le "Dénombrement de 1784", elles étaient au nombre de 7 sur un total de 29 foyers. Les "Geismar"s représentaient 30 individus sur les 138 juifs présents. Selon la base retenue, ils constituaient environ 22% des effectifs de la communauté.
Le village de Grussenheim appartenait aux Seigneurs de RATHSAMHAUSEN (catholiques), auxquels les juifs devaient payer un "Droit de Réception" de 36 livres tournois, pour avoir droit d'habiter le village, montant auquel se rajoutait un "Droit de Protection" (Schirmgeld) de 24 livres par an. Afin de limiter le nombre de juifs, les fils puînés devaient souvent chercher "Réception" dans d'autres villages, ce qui fait que des membres de la famille Geismar furent amenés à trouver racines, très souvent par mariage avec une fille du lieu, le beau-père achetant le droit de résidence pour son gendre, à : Herrlisheim et Turckheim (Haut-Rhin), Muttersholtz et Romanswiller (Bas-Rhin). Au cours du 19ème siècle on verra apparaître une nouvelle ramification à Dambach (Bas-Rhin)(R.E.J. n°42, p.253-264).
Généralement en Alsace on retrouve le même patronyme dans toute une série de villages, mais pour la famille Geismar ce n'en est pas le cas, en-dehors des villages cités plus haut. Les liens de parenté entre ces familles est attesté.
Venons-en à l'origine du patronyme.
Dans le cadre de ses recherches sur le judaïsme d'Alsace, Salomon Picard entretenait une correspondance régulière avec le Rabbin Dr B. Brilling. Toutefois, aucune trace de questionnement sur Hofgeismar n’apparaît dans ces échanges épistolaires.
Ce qui est connu, c’est que de nombreuses familles juives portent des noms de cités. Contrairement à ce que pensent certains, ce ne sont pas elles-mêmes qui les ont choisis comme patronyme, mais ce sont les communautés juives d’adoption qui distinguaient les hommes appelés à la Torah - portant fréquemment les mêmes prénoms hébraïques – en complétant ces derniers prénoms, soit par le nom de la ville d’où provenaient les membres de la Kehila, soit par la profession exercée par son titulaire. Ainsi, par exemple, à Grussenheim on trouvait de nombreux membres de la même de la communauté portant les prénoms de Salomon et Simon. Ils appartenaient pour l'essentiel à la même famille originaire d’une ville dénommée Geismar. Par extension, il en est resté un patronyme pour différencier une "tribu" particulière des autres familles composant la communauté.
Recherchant sur un ancien répertoire des codes postaux d’Allemagne, j’avais trouvé l’existence de cinq cités dénommées "Geismar". Un village près de Göttingen, où en 1960 j’étais passé par le plus grand des hasards, une autre ville située au-delà de l’ancienne frontière entre les ex-deux Allemagnes (Est ‘DDR’et Ouest ‘BRD’), trois autres qui avaient disparues, englobées dans l’ agglomération de Fritzlar, et enfin Hofgeismar. Les différentes cités étaient :
Le " Simm(e)lin von Geismar" apparaît pour la première
fois en 1502 sur les livres de comptes de Francfort, où il est indiqué
qu’ il était maître d’école.(Dr S. Ettlinger).
Le prénom et l’orthographe de "Symelin" indiqueraient-ils une
origine française, c’est à dire de juifs expulsés
de France en 1349 ? Le prénom ressemble beaucoup à celui que
l’on trouvait auprès des juifs de France autour de l’an
1000, juifs français qui étaient une des composantes de la juiverie
de Francfort à l'époque médiévale.
Ce qui est certain c’est que ce "Symelin" vient du Landgraviat de Hesse
et d’une cité de Hesse portant le nom de Geismar. (on le retrouve
sous les deux orthographes de Simmelin ou Symelin).
Quels étaient ces deux lieux possibles ? Examinons leur histoire.
D’après des documents anciens, la ville portait différents noms : Hovegeismari (en 1082), Geismare (en 1143), Geismar (en 1155 et en 1549), Geysmar (en 1318) et Hovengeismar (vers 1590, c’est à dire à une époque où Simon avait déjà quitté la ville). D’après une monnaie ancienne, le nom latin était Ge(i)smaria.
La ville, qui était enserrée par des murailles, avait quatre portes. Chacune de celles-ci avait une tour avec une salle de garde : " Sälbertor " à l’ouest, " Schönebergertor " au nord, " Mühlentor " à l’ouest et " Kasseltor " au sud. Les distances entre ces tours étaient assez importantes : Sälbertor à Mühlentor (d’ouest en est) = 550m et entre les deux autres tours (du nord au sud) = 650m. En 1576 on comptait 522 maisons – beaucoup recouvertes de toits de chaume-, mais en 1640 la ville fut à moitié détruite par la "Guerre de 30 ans". Plus jamais elle n’arrivera à avoir autant d’immeubles d’habitations !
Pour ce qui est des juifs, on n'en comptait plus que 2 en 1616. Malgré la résistance de la population, le gouvernement accepta leur présence. (au total 40 familles en 1800, 102 juifs en 1783, 189 en 1827 et le maximum fut de 243 en 1834). La cité possédait un cimetière juif dans les fossés devant la porte "Sälbertor", mais ce n’est qu’en 1695 qu’il fut acheté par les juifs du lieu. Donc, lorsque SIMON était déjà installé à Francfort il n’ y avait pratiquement que très peu ou pas de juifs dans la ville.
La ville contenait de nombreuses églises et couvents, mais après la réforme un grand nombre va disparaître pour laisser la place parfois à des temples pour Huguenots (en 1531), ou pour être transformées en logements (1568), voire même en un manège pour régiment de Dragons !
En 1760, la ville fut occupée par les troupes françaises qui y avaient casernes et hôpital militaire. Mais auparavant, c’est à dire en 1695, on comptait 4001 réfugiés huguenots français, arrivés à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes. Plusieurs villages satellites à la ville seront même dénommés "colonies françaises".
Autrefois, les ressources économiques de la cité provenaient essentiellement de l’agriculture (dont culture du lin) et de l’élevage (bovins et ovins), avec également des tanneries.
Sur le plan judiciaire, ce n’était que les magistrats de la
justice seigneuriale qui avaient juridiction sur les "Schutzjuden",
c’est à dire sur les " juifs protégés ". Le Burgermeister
(le maire) était élu chaque année (le 2 février)
par le conseil municipal. Ce conseil exerçait la police sur : la ville,
les forêts domaniales et la distribution de bois, sur les prairies.
On note aussi que la ville connut des troubles publics en 1524.
Sur le plan des impôts, aucun document ne donne ceux que les juifs devaient payer en plus de ceux payés par les habitants chrétiens. Cependant, sur le plan général, les impositions (dont 25% revenaient à la ville, le reste au souverain) étaient importantes : droit de bourgeoisie (1 homme = 10 Talers, 1 femme = 4 Talers), un impôt spécial pour possession de plus de 3 chevaux, impôts fonciers, et différents autres impôts (Pannegelder, Dischgeld, Geschosse Wollwerk, Wächter- et Stadtgeld), plus des impôts de guerre au profit du Landgrave, lorsque celui-ci guerroyait (par exemple en 1546). Auparavant, il fallait verser annuellement 17 Mark d’argent, plus des impôts en nature, au profit de l’archevêque de Mayence.
La ville de Hofgeismar est aujourd’hui connue pour ses thermes. Elle a appartenue successivement à l’archevêché de Mayence, puis au Landgrave de Hesse. Elle a connue de nombreuses occupations, dont des troupes françaises à l’époque de Louis XV et au moment de l’Empire, à partir de 1806/1807, jusqu’au départ des troupes françaises au printemps de 1813. A ce moment là, la ville connut des troubles dirigés à la fois contre les fonctionnaires français, mais également contre les juifs nouvellement réadmis à Hofgeismar. Ils avaient disparus de la ville lors de leur expulsion en 1349 (au moment de la grande peste ou peste noire).
Compte tenu de la situation économique de la ville de Hofgeismar, de son rôle politique et militaire, il est fort probable que la juiverie y trouva la possibilité de commercer et d'exercer un rôle de prêteur pour les nombreux couvents qui s'y trouvaient.
L'indication donnée à Symelin de "aus Geismar" ou de "von Geismar" pourrait certainement concerner la cité de Hofgeismar, d'autant plus que les deux derniers juifs qui y soient mentionnés quittent la ville au tout début des années 1600 (BNUJ n° 4q 452/10).
Examinons maintenant ce que nous apprend la présence de SYMELIN à Francfort. Que va-t-il trouver dans cette ville ?
Avant 1241, la population juive était composée de vieux Français ayant adopté comme langue le patois francfortois. De leur origine française ils n’avaient gardé que leur langue, leurs noms et leurs rites. Ils utilisaient encore l’hébreu de prononciation séfardite.
En 1500 on compte 200 juifs dans la ville de Francfort. Cette population
s’élèvera à environ 2500 en 1600.
C'est l'époque, à l'orée du 16ème siècle,
où Symelin va arriver dans la ville.
La vie à Francfort :
A l’époque, la ville de Francfort n’était pas la
capitale financière, moderne et prestigieuse que nous connaissons actuellement.
La ville était considérée comme un cloaque. Il n’
y avait en tout et pour tout que cinq puits où la population pouvait
s’approvisionner en eau. On sait qu'en 1815, chaque puits était
fréquenté par environ 1.200 personnes ! En 1751 il y avait huit
porteurs d’eau municipaux. Ce manque d’eau, d'où insalubrité,
provoquait fréquemment des épidémies.
Au Moyen Age, les nombreuses maladies - provoquées par la situation
en eau - firent que les juifs furent accusés d’avoir empoisonné
les puits. Ainsi, en 1349 tous les juifs de la ville de Francfort furent anéantis
(époque de la peste noire) et jusqu’en 1360 la cité n’eut
plus de population juive.
Pendant la période où les Geismar vécurent dans la ville,
Francfort connut de nombreuses épidémies : dont la peste en
1473, 1502, 1503, 1505, 1509, etc…. Avant la Réforme, la ville
était le lieu de fréquentes processions afin de conjurer les
épidémies, mais après le même rôle fut exercé
par l’emploi d’amulettes. Pour les rabbins, ce fut la recherche
de solutions à travers la Kabbale. Au cours du 17ème siècle,
ce seront : la variole, le typhus, les fièvres "malignes"
(selon l’expression du temps) qui séviront.
La vie sanitaire n’était pas des meilleures, car on mourrait
beaucoup à Francfort : par exemple de 1625 à 1639 – pendant
la peste – il y eu 28.897 victimes luthériennes ainsi que 1.633
décès dans la communauté juive. C’est à
dire que les morts chez les juifs n’étaient que de 5.5%. Pour
combattre les épidémies, les juifs décidèrent
de marier leurs enfants très jeunes, afin de s'assurer d'une descendance,
et lors des décès de procéder aux enterrements dans la
journée même.
En 1460 il fut fait obligation aux juifs de Francfort de quitter les maisons
où ils habitaient, au voisinage de la population chrétienne,
et de s’installer dans "la Rue des Juifs" nouvellement construite
à leur intention. Le transfert de résidences se fit entre 1462
et 1463, (il n’ y avait alors que 6 maisons venant d’être
bâties). Les juifs vécurent alors dans un ghetto.
Ce n'est qu'à compter de 1508, que chaque maison du quartier juif va
prendre un nom qui sera celui figurant sur son enseigne. Ainsi les familles
juives furent différenciées par le nom porté par l'enseigne
située au fronton de l'immeuble habité. La dénomination
qui a perduré à travers le temps, et qui est la plus connue
de nos jours, fut l’ " enseigne rouge " puisqu'elle a donné son
nom à la célèbre famille "de Rothschild" ("à
l'enseigne rouge").
En 1578, les juifs étrangers à la ville, et qui voulaient s’y marier, devaient obtenir une autorisation préalable et payer alors 10 Florins. Les premières inscriptions pour mariages n’apparaissent qu’à partir de 1581. Auparavant on ne connaît les mariages que par les registres communautaires, le registre des paiements d'impôts, en particulier pour les biens fonciers, et finalement par les relevés des pierres tombales.
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