La question scolaire, la question de l'école laïque ou confessionnelle,
qui est devenue aiguë dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, n'intéresse
aujourd'hui les israélites des trois départements qu'au point
de vue du maintien de l'enseignement religieux dans les établissements
d'instruction publique, car les écoles proprement israélites
presque entièrement disparu : dans les campagnes les écoliers
ne sont plus assez nombreux et dans les villes ils préfèrent
le lycée. Il n'a pas fallu cent ans pour faire disparaître le
réseau d'écoles israélites dont l'établissement
avait coûté tant d'efforts aux consistoires et aux communautés.
L'oeuvre scolaire du judaïsme, alsacien et lorrain au 19e siècle méritait de trouver un historien, qui montrerait comment ces écoles ont francisé la population juive en une ou deux générations et ont vraiment transformé sa situation sociale et civique. Pour contribuer à cette histoire, nous nous proposons de publier quelques documents que nous avons trouvés dans de vieux papiers.
"Chaque Consistoire proposera à l'autorité compétente un projet de répartition entre les Israélites de la circonscription pour l'acquittement du salaire des rabbins; les autres frais du culte seront déterminés et répartis, sur la demande du Consistoire, par l'autorité compétente".
"Les dépenses d'instruction religieuse et des écoles primaires qui, d'après l'avis du Consistoire central, auront été approuvées par l'autorité compétente, seront comprises dans les frais du culte mentionnés à l'article 23 du Règlement".Ayant ainsi obtenu une base financière, le Consistoire central des Israélites de France se mit à l'œuvre. Il vit très large et voulut établir à la fois des écoles primaires pour les enfants et une école supérieure pour la préparation des rabbins. Le 10 août 1819, il adressait des "Instructions à Messieurs les membres des Consistoires départementaux et à Messieurs les Notables des circonscriptions respectives" (les "notables" étaient les israélites désignés par l'autorité, en raison de leur fortune ou de leur situation sociale, pour élire les membres des Consistoires).
Dans ces Instructions, il s'expliquait ainsi sur ses intentions et ses projets :
"La nécessité d'établir des écoles d'instruction religieuse et primaire était sentie depuis longternps par le consistoire central ainsi que par les Consistoires départementaux. Le premier a réclamé sans relâche auprès du gouvernement pour que des mesures légales et régulatrices fussent adoptées à ce sujet. Déjà plusieurs Consistoires départementaux sollicitaient du Consistoire central son approbation à des projets formés pour de semblables institutions. Tout en applaudissant hautement au zèle de ces administrations, afin de les encourager à réaliser leurs vues si louables, cependant nous n'étions pas encore en état de prendre une part directe dans leurs entreprises et nous sentions l'importance d'une disposition législative préalable : le §4 de l'art. 3 de l'ordonnance du 29 juin a rempli notre voeu à cet égard :"Le Consistoire central, qui aurait agi contre les règles et contre sa conscience en prenant sous sa direction des écoles dont l'entretien et la stabilité n'avaient de garantie que dans des ressources précaires, peut, maintenant qu'une ordonnance royale a fixé toute incertitude à ce sujet, s'empresser d'examiner les proiets qui lui seront soumis concernant ces établissements, et il saisira avec transport l'occasion de donner un avis approbatif et de seconder de tout son pouvoir le zèle qui anime les Consistoires départementaux.
"Les projets qui nous seront présentés devront être accompagnés de tous les détails utiles, tels que le mode d'enseignement, le règlement administratif de l'établissement, le règlement intérieur de l'école, en stipulant si celle-ci est spécialement destinée à une commune, ou bien si elle est pour toute la circonscription. Ce n'est que sur ces demandes détaillées que nous pourrons donner notre avis et provoquer l'approbation de l'autorité compétente.
"Que des écoles primaires s'ouvrent dans toutes les communes où il réside un nombre suffisant d'israélites ; que les enfants des parents indigents soient gratuitement instruits, dans ces écoles, de leurs devoirs religieux et sociaux et généralement de tout ce qui est propre à former l'israélite et le citoyen ; qu'enfin l'on inspire aussi de bonne heure à ces enfants le goût et l'amour des arts, des métiers et des professions utiles.
"De tout temps, selon l'esprit et dans l'intérêt de notre sainte religion, les notions des sciences et des lettres humaines ont dû être considérées comme un ornement indispensable aux connaissances théologiques qui constituent essentiellement le ministre de notre culte ; mais des siècles de barbarie et d'intolérance fermant aux enfants d'Abraham les portes des écoles publiques, forçaient souvent nos ministres à glaner, pour ainsi dire, par des voies indirectes quelques connaissances étrangères à la théologie.
"Grâce à la Providence divine, les terres d'oppression ne sont plus, le règne de la justice et de l'humanité est rétabli pour toujours sous le gouvernement de l'auteur auguste de la Charte ; la carrière de toutes les connaissances est rouverte à tous les Israélites.
"Un établissement est donc nécessaire, où nos jeunes théologiens puissent se former en même temps dans la littérature sacrée et profane, et d'où puissent, sortir des élèves capables d'exercer dignement le ministère important et sacré du Rabbinat (1).
"Les frais d'un tel établissement, dont le nombre d'élèves sera limité selon le besoin présumable, doivent naturellement faire partie du budget du Consistoire central et être en conséquence répartis sur toutes les circonscriptions, puisqu'il s'agit de former des rabbins pour la généralité des Israélites du royaume. Il paraît très convenable que cet établissement soit axé dans la capitale, qui est le centre des lumières et de l'urbanité, et les élèves seront choisis parmi ceux des étudiants des écoles départementales qui, par leurs progrès et leur conduite, auront le plus mérité les suffrages des Consistoires respectifs."
Ce n'était pas tout de former un plan. Bien des difficultés allaient surgir pour la réalisation. Mais on ne se laissa pas décourager.
"Dix années sont écoulées depuis que, pour la première fois, nous appelâmes 1'attention des Consistoires départementaux sur la nécessité de pourvoir à l'instruction religieuse et morale de lu jeunesse israélite.Nous n'avons pas trouvé dans nos "vieux papiers" l'original de ce "premier" document. Mais, par un heureux hasard, il s'y trouve en annexe à une lettre circulaire du Consistoire de la circonscription de Wintzenheim (Haut-Rhin), adressée le 20 avril 1812 "aux commissaires surveillants près les synagogues des communes de son ressort". Cette lettre même est si intéressante, tant par sa forme que par son style, que nous croyons devoir la publier. La lettre porte en tête un timbre avec l'inscription :
"Notre circulaire du 13 mars 1812 invitait ces Administrations à établir dans les communes de leurs circonscriptions des Ecoles d'instruction primaire, et dans le chef-lieu une École supérieure pour l'enseignement des élèves qui se voueraient au rabbinat.
"Patrie, Religion. Consistoire Israélite de la Circonscription de Wintzenheim" et une autre en tête "Franzœsisches Reich" |
Les deux documents sont conçus en français et en allemand. Voici le texte de la lettre en question :
Messieurs !Nous tenons à faire ressortir comment le Consistoire départemental, fidèle à sa devise "Patrie-Religion" se soucie de la propagation de la langue français" (2°), au même titre que de l'enseignement des livres de Moïse (3°). (…)
"Le Consistoire central, dans la joie de son coeur, rend compte à ses administrés de l'heureux succès que ses soins et ses sollicitations ont obtenu auprès du Gouvernement, pour perpétuer la connaissance des dogmes de la religion de nos pères, par le moyen de l'organisation de l'instruction de la jeunesse."La lettre qu'il nous a écrite le 22 mars dernier, et sa proclamation du même jour, que vous trouverez annexées à la présente, vous donneront les intéressants détails de ce qui est fait, et de ce qui reste à faire par notre commun concours, pour remplir ses vues salutaires.
"Le Gouvernement, en autorisant l'établissement des écoles pour l'instruction religieuse, a de nouveau fortifié l'organisation qu'il a donnée à notre culte ; ces deux institutions se prêtent, par leur caractère même, un appui mutuel ; pour subsister, l'une a besoin de l'autre. Bénissons le génie qui a su coordonner les choses !
"Nous avons jugé superflu de faire insérer ici la lettre de Son Exc. le ministre des cultes, dont la substance est contenue dans celle du Consistoire central et dans sa lettre pastorale.
"Empressez-vous de donner la publication la plus solennelle à ces deux adresses que nous estimons comme de nouveaux statuts pour Israël ; nous vous les transmettons pénétrés de la plus vive reconnaissance pour le génie tutélaire qui veille sur Israël et sur la conservation de sa foi.
"Cette publication aura lieu les trois sabbats qui suivront la réception.
"Pour premier travail que vous avez à fournir aux desseins du Consistoire central, c'est de répondre avec exactitude et dans le plus bref délai, aux questions suivantes
1° Quelles sont les personnes qui enseignent publiquement la religion dans votre commune ? Et jusqu'à quel degré leurs connaissances permettent-elles de porter l'étude de la loi ?
2° Existe-t-il quelqu'un, soit juif, soit chrétien, dans votre commune qui soit en état d'enseigner principalement la langue française? En cas d'affirmative, en faire connaître le nom.
3° Quel est le nombre des écoliers masculins qui sont assez avancés dans l'instruction pour pouvoir commencer l'étude des 5 livres de Moïse ?"
Pour le Consistoire Central, qui se trouvait à la tête de l'organisation du culte israélite créée par Napoléon, il n'existait pas de moyen plus propre à atteindre ce but que de fonder des écoles. On se mettait à l'oeuvre avec tout le zèle digne de cette tâche et même avec l'enthousiasme qui est le signe de ce temps d'émancipation après les longs siècles d'oppression. Pourtant les hommes dirigeants, les David Sintzheim, les Abraham de Cologna, les Emmanuel Deutz, les I. Lazard et les Aron Schmoll, qui apposaient leurs signatures sous les proclamations et les circulaires de cette période mouvementée, savaient agir avec prudence et modération. Ils ménageaient les transitions et agissaient avec douceur et intelligence. Laissons la parole à une de ces proclamations (datée du 22 mars 1812) qui devait être publiée dans tous les temples, "afin de faire connaître à tous les coreligionnaires de l'Empire la faveur insigne qui vient de leur être accordée par le Gouvernement" :
"L'Éternel a voulu par ses bontés que l'étude
de sa loi s'étende et se fortifie."
(Isaïe, chap. 42, v. 21.)
Le Consistoire Central à ses Coreligionnaires de l'Empire.Israélites !
Que vos actions de grâces retentissent dans l'enceinte de nos temples sacrés. Que vos cœurs s'élèvent avec humilité vers l'Éternel et que votre amour et votre reconnaissance éclatent envers le plus grand des Héros et le plus sublime des Législateurs.
NAPOLÉON le Grand a exaucé nos vœux ; il ne nous reste plus rien à désirer pour l'honneur et la gloire de notre culte ; l'instruction religieuse de nos enfants, cette garantie salutaire de la transmission de nos dogmes sacrés à la postérité, est sous la sauvegarde de l'autorité supérieure.Espoir d'Israël ! Nous vîmes avec douleur ta jeunesse abandonnée à elle-même, et tes moeurs prêtes à tomber dans la dépravation, faute d'instruction religieuse et morale. Nous étions douloureusement affligés de voir ton premier âge élevé sans culture, privé de doctrines primitives et fondamentales qui animent pour toujours dans le cœur de l'homme la vénération et la crainte de Dieu, et lui apprennent, dès le berceau, à connaître ses devoirs envers la religion et la société.
Aussi est-ce avec un bien vif transport que nous venons aujourd'hui vous annoncer que, grâces à la bonté divine et à la sollicitude paternelle de Son Excellence le Ministre des cultes, le Consistoire central a été chargé par ordre du Gouvernement, non seulement de prendre toutes les mesures nécessaires, pour que la jeunesse israélite ait partout des écoles de première instruction religieuse, gratuitement ouvertes à l'indigence, et pour que MM. les grands rabbins des circonscriptions de l'Empire enseignent personnellement et gratuitement la théologie, à ceux des jeunes gens qui se destinent au rabbinat, mais encore de lui rendre un compte habituel de l'état et des progrès de l'instruction.
Le zèle et la sagesse qui caractérisent vos administrateurs religieux, nous sont de sûrs garants qu'ils réuniront leurs efforts aux nôtres pour vous faire jouir sans délai du fruit de ce nouveau et inappréciable bienfait.
Pères de famille, désormais il ne dépendra que de vous d'élever vos enfants dans les vrais principes de la religion et de la morale, et de les préserver de la corruption et du vice, qui sont le partage de l'irrréligion et de l'ignorance; c'est au nom de votre propre bonheur que nous vous recommandons de profiter de la faveur que nous dispense le Gouvernement et des soins paternels de vos administrateurs.
Israélites favorisés des dons de la fortune, songez que le ciel ne vous a accordé la richesse ou l'aisance que pour en être les dépositaires et les dispensateurs envers le pauvre; quel plus bel usage pourriez-vous faire d'une portion de votre superflu que celui de l'employer au profit de l'instruction religieuse des enfants de nos frères pauvres ?
C'est le sacrifice le plus pur et le plus agréable que vous puissiez offrir à la Divinité ; c'est l'hommage le plus digne de la religion de l'humanité.
Que votre libéralité se signale dans cette circonstance si importante à la gloire d'Israël ; le Consistoire central vous y exhorte au nom de ce Dieu tout-puissant qui a béni nos travaux et qui vous comblera de ses faveurs et de ses bénédictions. Amen !
La lettre du Consistoire central, datée du même jour (22 mars 1812) (2) et adressée aux Consistoires départementaux, accompagnant l'appel ci-dessus, entrera dans les détails pour la fondation d'écoles élémentaires dans toutes les communes quelque peu importantes et d'une Ecole Rabbinique aux sièges des Consistoires départementaux. Tout cela naturellement aux frais des communautés ou des particuliers israélites.
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