D'une part, certaines écoles juives admettaient des écoliers d'une autre confession pour le cas qu'il s'en présenterait. Et il s'en présentèrent. L'école israélite de Ribeauvillé a deux élèves protestants bien qu'il existe dans la ville une école protestante. D'autre part, et ce cas se rencontre plus souvent que le précédent, des élèves israélites fréquentent des classes chrétiennes. Les écoles catholiques de Bollwiller, Hattstatt, Reguisheim, Metz, Woippy, les écoles protestantes de Langensoultzbach, Lembach, Niederbronn, Oberbronn et Wissembourg sont fréquentées par quelques élèves juifs malgré l'existence, dans ces localités, d'écoles juives. Il faut en chercher les raisons dans des dissensions personnelles entre parents et maîtres d'école, parfois aussi dans l'insuffisance manifeste de l'école juive.
Par contre, certaines écoles catholiques ou protestantes, aux dires des autorités, accepteraient volontiers des élèves juifs, mais les parents préfèrent avoir recours à des instituteurs clandestins (exemples Grussenheim, Ensisheim, Baldenheim, Müttersholtz, Krautergersheim, Nelling, Remering, Hombourg-Haut) ou envoyer leurs enfants à l'école juive d'une autre commune. Ainsi trois familles juives de Morsbach imposent aux enfants le trajet jusqu'à Forbach ; les enfants de Vandresching vont à Bouzonville. D'une façon générale, les rapports donnent l'impression que les écoles communales des autres confessions étaient assez accueillantes à l'égard des élèves israélites, mais que ces derniers ou plutôt leurs parents évitaient d'avoir recours à leurs services.
Voici le tableau que nous a brossé des écoles juives de son ressort l'Inspecteur chargé du rapport pour lest cantons de Wissembourg, Soultz s. Forêts et Niederbronn : "Dans la plus grande partie (il a inspecté une dizaine d'écoles juives) il n'y a pas de salle d'école : l'école se tient souvent dans la maison où l'instituteur a justement la pension. Les enfants sont alors enfermés dans un trou malsain privé de mobilier et obscur au dernier point. Souvent même ils sont obligés de se tenir debout pendant la durée de l'école. La malpropreté qui règne dans ces écoles est extrême et souvent révoltante."
Pour certaines localités, l'inspecteur précise et étaye
ses impressions. Ainsi, à Langensoultzbach, "l'école
est fréquentée par 11 élèves qui n'ont point
de place dans le petit trou malsain, où on les fait venir".
A Lembach, l'école est "dans un état pitoyable".
En ce qui concerne le matériel, "tout manque sauf une table"
à Soultz (Haut-Rhin) et à Altkirch, tout, mais absolument
tout à Hellimer. Même une commune relativement riche comme
Haguenau "n'a pu fournir qu'un mobilier insuffisant pour la méthode
mutuelle".
Si dans certaines écoles comme Strasbourg, Bischheim, Soultz s. Forêts, Metz, Sarreguemines, les élèves possèdent des livres uniformes et en nombre suffisant, il n'en est, hélas, pas partout de même. A Wissembourg, les deux tiers des élèves juifs ne possèdent aucun livre; à Haguenau "quelques-uns en manquent", Colmar et à Bischheim de même.
Cottard n'était autre que le Recteur de l'Académie de Strasbourg en personne. Catholique fervent, ses propres convictions religieuses ne l'empêchèrent pas d'écrire un ouvrage pour écoles israélites qui trouvait l'adhésion enthousiaste du Consistoire Central des Israélites et qui fut agréé pour toutes les écoles juives de France. Dans la préface, témoignage durable de la tolérance, de la générosité et de la clairvoyance du Recteur, celui-ci promet de faire suivre son premier livre d'un second destiné aux écoles de filles israélites, un cadre dans lequel… il ferait entrer "toutes les obligations que la nature, la religion et la partie imposent à la femme dans les époques successives de sa vie", ainsi que d'un troisième ouvrage, où il se dispose "à mettre en regard les articles de la Loi mosaïque et ceux du Code français les plus propres à rendre à la société des citoyens que lui avaient ravis dix-huit siècles de persécutions, d'esclavage, d'ignorance et d'avilissement."
Quelques autres écoles dirigées par des maîtres de valeur arrivaient presque au même niveau. L'école de Hegenheim appliquait tout le programme sauf en ce qui concerne le dessin linéaire et l'arpentage qui, en effet, a dû être d'un intérêt secondairepour les élèves juifs. Les écoles de Colmar, de Metz, Thionville, St. Avold, Haguenau et Wissembourg se signalent encore par l'étendue des matières enseignées. La langue française, en particulier, est infiniment plus souvent enseignée dans les écoles juives que dans celles des autres confessions, où elle ne l'est enore que très exceptionnellement. Même pour des écoles de villages comme Biesheim et Quatzenheim, les inspecteurs reconnaissent que "le français est assez bien enseigné". C'était un éloge qu'ils n'avaient que trop rarement à décerner, et dans maint canton, l'école était seule à le mériter.
Voici, à ce sujet, ce qu'écrit l'inspecteur du canton de Ferrette. Après avoir noté que les élèves de cette école sont les seuls de son ressort à fréquenter régulièrement la classe, il poursuit : "L'école de Durmenach est très remarquable... par les matières qu'on y enseigne et par les progrès vraiment surprenants des élèves. Tous y lisent très bien le français et plus de la moitié le parlent facilement. Les plus avancés ont très bien répondu sur l'histoire, la géographie, les deux grammaires. J'aurais désiré un peu plus de calcul et de dessin linéaire. On ù'a promis de s'en occuper davantage. En somme je ne crois pas possible de trouver une meilleure école dans une commune rurale et il serait à désirer que beaucoup de villes en eussent de semblables."
A l'école d'Oberhronn, par exemple, "on n'enseigne qu'un peu d'hébreu" ; à celle de Gundershoffen, on en fait de même, "mais très mal". Uhrwiller fait, en comparaison, assez bonne figure : "on y enseigne un hébreu corrompu et on a commencé l'allemand et le français". On se demande toutefois, d'après quelle méthode et dans quelle mesure, puisque, au dires de l'inspecteur, l'instituteur lui-même ne connaît pas le premier mot de français. A Riedseltz, tout le programme est limité à la lecture hébraïque, un peu d'allemand et d'arithmétique.
On voit que l'enseignement de l'hébreu était primordial dans ces petites écoles ; tout le reste était relégué au second plan. "Les enfants, note l'inspecteur après sa visite de l'école de Langensoultzbach, n'apprennent rien de ce que le citoyen français devrait savoir", et résumant ses impressions concernant toutes les écoles juives de son ressort qui comprenait toute la partie septentrionale du Bas-Rhin, il écrit : "Si l'on excepte les écoles de Wissenrbourg et de Niederbronn, on peut dire que les autres ne méritent point le nom d'écoles. On n'y enseigne ordinairement que la lecture et l'écriture de l'hébreu, et même dans cette langue on fait peu de progrès, on lit mal, sans connaître les règles de la grammaire".
Mais de l'autre côté, il serait injuste de méconnaître que le nombre des très bonnes classes était également plus élevé que dans les écoles protestantes et catholiques. Comme nous l'avons dit, dans maintes communes (ex. Bischheim, Hegenheim, Durmenach. Hellimer, Quatzenheim etc.) et dans maint canton (Ferrette, Truchlersheim), l'école juive était la seule qui fût vraiment bonne, et les inspecteurs ne s'en font pas défaut de le souligner.
Pour Strasbourg, on dit que l'instruction "est très bonne sous tous les rapports, que l'enseignement est florissant, que les élèves font des progrès: sensibles". Tout aussi élogieuse est l'opinion des inspecteurs en ce qui concerne Metz, et quelques autres écoles de moindre importance. Ce qui manque dans le groupe des écoles juives d'Alsace et de Lorraine, la bonne moyenne dont se compose la grande majorité des écoles chrétiennes. Les écoles de nos coreligionnaires étaient ou bonnes, ou mauvaises, sans transition.
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