L'histoire des écoles juives d'Alsace et de Lorraine est très peu connue, malgré la large place qu'elles tenaient, autrefois surtout, dans la vie juive en général. Il n'existe à notre connaissance aucun travail d'ensemble sur ce sujet, et très peu d'études partielles. Dans ces conditions, toute nouvelle contribution doit être la bienvenue.
A l'occasion de recherches d'un autre ordre, nous avons touché une source (1) qui a fait jaillir quelques données précieuses et inédites. Pour pouvoir l'apprécier à sa valeur il faut en connaître les origines.
L'Administration fournissait pour toute la France des formulaires uniformes que les inspecteurs chargés de cette délicate mission avaient, à remplir après vérification sur place. On dressa ainsi pour chaque canton un tableau groupant les constatations par communes et par matières ou questions. En outre, chaque rapport cantonal est suivi d'observations générales.
Au total, on posa aux délégués une soixantaine de questions, d'étonnante variété et d'égale indiscrétion. Car si les unes s'intéressent à la situation matérielle et pédagogique des écoles, d'autres pénètrent dans l'intimité du maître demandant à connaître sa fortune personnelle, ses fréquentations, ses relations avec le maire et le ministre du culte, etc. Dans ces conditions, on comprend sans mal que dans l'ensemble, ces relevés doivent constituer une mine de renseignements, ceci d'autant plus que les inspecteurs ont fait preuve de zèle et de compétence. En ce qui concerne plus particulièrement leur jugement sur les écoles juives, on constate avec satisfaction l'esprit de tolérance, de sympathie même, en tous les cas de profonde justice qui animait, il y a un siècle déjà, tous ceux qui collaboraient à l'enquête.
Ainsi il se fit que les dossiers renferment une foule de détails sur les écoles juives de nos départements, détails authentiques, sûrs, impartiaux, puisés aux meilleures sources et partant, pour nous d'un intérêt primordial auquel, au surplus, le centenaire apporte un brin d'actualité.
Dans l'esprit des fondateurs, le rayonnement de l'école strasbourgeoise devait dépasser les limites de la ville. Elle devait servir d'école-modèle et normale (3) pour former des instituteurs pour la campagne. Chaque arrondissement devait y envoyer un élève logé et entretenu aux frais du Consistoire. On voulait ainsi emboîter le pas à l'enseignement public, transformer les vieilles écoles démodées, moderniser l'instruction de la jeunesse juive, préparer de futurs citoyens français, en un mot mettre les écoles primaires juives au diapason des écoles primaires catholiques et protestantes.
Ce n'était pas selon le goût de tout le monde. Un traditionalisme mal compris, l'esprit de routine et des intérêts menacés entreprirent une violente opposition. Les instituteurs clandestins qui, jusque là, tenaient le haut du pavé et qui en dépit de leur insuffisance reconnue exerçaient un monopole de fait dans l'enseignement juif, voyant leur existence compromise par les succès de l'école de Strasbourg, s'agitaient de tous côtés pour la discréditer. Ils peignirent comme une innovation dangereuse l'ordre et la régularité qui présidaient aux exercices ; ils prêtaient des vues anti-religieuses aux fondateurs et aux administrateurs de l'école ; ils s'écriaient contre le peu de temps qu'on consacrait au Pentateuque (cependant deux heures par jour), contre le trop large enseignement d'objets profanes.
Il y eut effectivement quelque flottement dans les esprits, un moment d'hésitation. Un certain nombre des enfants payants refluaient vers les écoles clandestines. On appelait ainsi ces classes privées, sans consécration officielle et sans existence légale, faits par des hommes sans qualification ni scientifique ni pédagogique, tenues dans les locaux et avec des moyens de fortune - on dirait mieux : d'infortune -, ces écoles dont l'unique programme consistait en quelques lectures et traductions hébraïques, mais qui se fermaient hermétiquement devant l'évolution du monde et surtout devant le fait que, depuis 1789; le juif français était un citoyen français.
Il y avait, au mois de septembre 1833, une cinquantaine d'écoles juives dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle (4). Sur ce nombre, 12 sont désignées, dans les rapports, d'écoles clandestines, à savoir celles de Müttersholtz, Niedernai, Hattstatt, Grussenheim, Riedwihr, Reguisheim, Guebwiller, Bollwiller, Fröningen, Nelling (Mos.), Freyming, Hombourg-Haut et Bas. Pour quelques autres, le caractère ne peut, pas être nettement établi. C'est le cas de celles d'Uhrwiller, Sierentz, Hagenthal, Seppois-le-Bas et Montenach.
Voici enfin la liste des localités dans lesquelles il existait, il y a. un siècle, des écoles primaires juives en quelque sorte réglementaires : Strasbourg, Haguenau, Wissembourg, Bischheim, Quatzenheim, Lauterbourg, Mertzwiller, Gundershoffen, Oberbronn, Niederbronn, Langensoultzbach, Riedseltz, Lembach, Soultz-sous-Forêts, Altkirch, Hegenheim, Durmenach, Ribeauvillé, Soultz (Haut-Rhin), Colmar, Winzenheim, Biesheim, Soultzmatt, Belfort, Metz, St. Avold, Hellimer, Les Etangs, Boulay, Courcelles, Luttange, Forbach, Bouzonville, Sarreguemines, Thionville.
Ces 52 écoles juives dont l'existence est établie, pour 1833, par les rapports officiels, constituent, à ne pas en douter, un minimum. Car il est infiniment probable que quelques-unes, notamment parmi les écoles clandestines, aient échappé aux investigations des inspecteurs. Le nombre d'habitants juifs est aujourd'hui essentiellement le même qu'il y a un siècle. Or, il n'y a plus que 5 écoles primaires juives en Alsace et en Lorraine. Cette simple constatation se passe de commentaire.
Pour pouvoir apprécier l'importance de ces établissements,
il serait désirable de connaître le nombre des "usagers".
Malheureusement il ne peut plus être constaté pour tous,.voici
ce qui nous reste d'indications statistiques :
L'école de Metz marchait, avec 115, à la tête de toutes
quant au nombre d'élèves (5) ; elle était suivie de
celle de Strasbourg avec 90. Comptaient encore plus de 50 enfants les écoles
de Haguenau (83), Hegenheim (80), Soultz-sous-Forêts (60), Ribeauvillé
(60), Biesheim (60), Durmenach (54). Winzenheim en avait exactement 50.
Entre 50 et 20 s'échelonnent Bischheim (40), Lauterboug (38), Colmar
(30), Mertzwiller (30), Sarreguemines (30), Altkirch (25), Quatzenheim (24),
Hellimer (21).
Mais la plupart des classes, et en particulier celles dites clandestines,
semblent être restées même en-dessous de cet effectif
bien modique. Ainsi Soultz et Luttange avaient 18 élèves,
Lembach 17, Thionville 15, St. Avold 12, Uhrwiller et Langensoultzbach 11,
Riedseltz 10. A Oberbronn l'un des deux maîtres d'écoles qui
se disputaient la clientèle n'en avait que trois.
Ces chiffres représentent l'effectif d'hiver ; en été, il étaient parfois sensiblement plus réduit. Ainsi à Biesheim, environ trois quarts seulement des élèves inscrits fréquentaient l'école pendant la belle saison. Pour Lembach, après avoir indiqué le nombre habituel des élèves, le rapport de l'inspecteur ajoute avec candeur : "Il y en aurait davantage si tous venaient".
Ils notent aussi à l'occasion l'esprit de sacrifice qui anime de nombreuses communautés juives quand il va de l'instruction des enfants. Malgré leur pauvreté presque générale, elles entretiennent des écoles à elles. Nulle part l'écolage n'est aussi fort que dans les écoles juives. Tandis que dans les écoles protestantes ou catholiques on paye rarement plus de 50 centimes par mois et souvent considérablement moins - de 2 à 5 ctms par mois ou un franc par an,-, dans les écoles de nos ancêtres il fallait en verser un multiple.
A Altkirch par exemple l'écolage était de 3,50 frs. par mois pendant plus de 10 mois, ce qui représentait une somme extrêmement élevée pour l'époque. C'était à peu près dix fois plus que ce que versaient les autres enfants de la même ville. Au village de Hegenheim on payait 47½ centimes par semaine. A Strasbourg, on se contentait de 1,40 frs par mois, à Quatzenheim de 1,50. fr., à Lauterbourg de 1,15 fr., à Soultz de un franc. A Haguenau, la retribution a été la plus modeste avec 75 centimes parasols. Thionville et Sarreguemines par contre exigeaient 2 frs. et même le petit Hellimer encore 1,50 fr. A Colmar, l'écolage n'était pas uniforme : il allait de trois frs. à un franc, selon l'âge et les moyens des parents. A Bischheim, les "grands" payaient 1,40 fr., les "petits" 1,20 fr. Dürmenach faisait une distinction, non seulement d'après la fortune, mais encore d'après le sexe : les moins aisés donnaient l fr. pour les filles, 1,50 pour les garçons, les autres 2 frs. pour les filles et 3 frs pour les garçons (6).
Tout cela était, aux yeux des contemporains, tellement cher que, selon la constatation d'un inspecteur "les pauvres ne peuvent fréquenter l'école". C'était d'autant plus grave qu'aucune école primaire israélite n'était alors gratuite. Même dans celles, régulièrement constituées, auxquelles l'État ou la commune versaient des subventions, l'écolage formait le plus clair des revenus et du traitement du personnel. Toutefois, la plupart des comités scolaires réservaient quelques places gratuites aux élèves indigents. Strasbourg donnait l'exemple en admettant gratuitement 60 élèves, chiffre très élevé pour une population encore peu nombreuse, et qui jette une lumière inattendue sur la situation de fortune d'une bonne partie des habitants juifs de Strasbourg. Bischheim réserve douze places aux pauvres, Lauterbourg sept, Hegenheim onze, Colmar 15, Metz même 80.
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