Je me rappelle qu'avec l'évacuation en catastrophe de l'Algérie, les juifs arrivaient d'un peu partout sans infrastructures d'accueil.
Je me souviens que nous nous relayions à la gare de Strasbourg en attendant les trains de Marseille. Nous faisions étalage de notre judaïsme et des juifs sortaient du train et nous demandaient de les aider. Le centre communautaire avait été transformé en un immense dortoir et nous aidions a animer les enfants qui étaient bien sûr, comme leur parents, sous le choc des événements.
Plus tard, je me rappelle faisant le porte-à-porte dans les quartiers excentrés de Strasbourg, au Neuhof et à Cronenbourg, et frapper aux portes d'après le nom de famille. Nous n'avions pas de liste, essayons de les convaincre d'envoyer leurs enfants dans les camps EI. Ce n'était pas rare qu'il faille trinquer l'anisette avec les familles. Nous ne pouvions pas refuser afin de ne vexer personne.
Je me souviens être revenu à Strasbourg au local EI dans un état de mi-ivresse...
Quand je pense aux quelques années de mon enfance que j'ai passé aux E.I. (Strasbourg) c'est toujours avec un sentiment de reconnaissance, de fierté et ce brin de nostalgie qui accompagne les bons souvenirs d'antan.
J'étais une enfant unique, une petite fille choyée à la maison, à laquelle on voulait épargner les heurts de la vie. J'étais heureuse cependant et trouvais toujours des centres d'intérêt. J'avais sept ou huit ans lorsque une amie de la famille conseilla à mes parents de m'inscrire aux E.I. (à cet âge,on était P.A., petite aile). Ma mère me conduisit à la première réunion,comme on accompagne une enfant à sa première classe. Me voilà au milieu d'une douzaine de petites filles, toutes inconnues. J'étais un peu intimidée, mais disposée à tout trouver bien En fait à la première fois et toujours davantage aux réunions suivantes, tout me plaisait.L'uniforme d'abord, le salut scout, le cérémonial plus ou moins strict ( plutôt moins) du déroulement des activités, le fait d'être intégrée à un groupe. La cheftaine paraissait à la fois assez âgée pour inspirer confiance et repect, et assez jeune pour etre considérée comme une compagne. Les jeux étaient tres différents de mes jeux d'enfant. On s'amusait aussi, mais tout semblait avoir une finalité.et cela introduisait un élément de sérieux qui ne me déplaisait pas.Je rentrais à la maison, consciente d'avoir "fait" quelque chose et non seulement d'avoir joué sans but .
On me racontait des choses dont je n'avais jamais entendu parler : les histoires classiques du scoutisme, Baden Powell et le livre de la jungle. On m'initiait au devoir et à la joie de faire une B.A., On mettait un peu d'esprit pratique dans mes rêveries, et surtout je découvrais les joies d'une journée d'excursion, d'une marche dans la forèt en chantant .Quelquefois c'était le prétexte d'une leçon de botanique, que je n'appréciais pas du tout .Il y avait un esprit de stimulation pour obtenir des rubans, des insignes et des brevets.Il y avait des domaines oû j'excellais, d'autres où j'étais nulle.Mais la compétition jointe à un esprit de camaraderie me plaisait.
On parlait judaïsme aussi et Palestine.Ceci n'était pas nouveau pour moi.Ma famille était "traditionnelle" et on affirmait, sans ostentation, mais sans equivoque sa judéité. En ce qui concerne la Palestine, c'était pour moi encore une moins grande découverte.On parlait beaucoup sionisme chez moi et les noms de Herzl, Weitzmann et Jabotinsky, m'était familiers .Durant ma période E.I., dans ces domaines, j'ai acquis une certaine culture,une mise en pratique des connaissances, le dévoilement d'un but à atteindre et un enthousiasme pour ce milieu.
Je me suis fait des amies et des amis à une époque oû la société était tres cloisonnée. Malheureusement, la guerre, l'évacuation de Strasbourg, la vie de "réfugiés", les années de l'occupation,ont éloigné ou fait disparaître bon nombre d'entre eux. J'ai gardé des liens d'amitié avec ceux que j'ai retrouvés apres la guerre et ce sont des liens différents de ceux que l'on forme dans d'autres circonstances.Même si nous ne nous rencontrons que de loin en loin, il ya entre nous un dénominateur commun.
Je garde aussi une fierté d'avoir, eu de près ou de loin, des chefs qui ont été des "bâtisseurs" du mouvement : Chanteclerc, ma premiere cheftaine des P.A., Chameau et Fourmi, pour lesquels nous avons fait la haie à leur mariage en uniforme impeccable et gants blancs. J'étais présente quand Castor est venu à Strasbourg et la preuve en est que Pivert ma' montré un album offert à Castor dans lequel j'ai signé de mon écriture enfantine un chant à lui destiné.
Je regrette de n'avoir jamais participé à un camp. Mes parents craignaient, je ne sais quoi :peut-etre les inconvénients d'une vie plus rude, les intempéries l'éloignement ? La conséquence en fut qu'à un moment donné, je me suis sentie un peu en marge et que je n'ai jamais été totémisée.Je regrette aussi que, par le fait de la guerre, du retour à Strasbourg avec tous les problèmes, je n'ai pas repris contact avec le scoutisme. J'étais partie enfant, je revenais adulte, j'avais vingt ans, j'étais étudiante et les E.I.m'apparaissaient comme un souvenir d'enfance, sans pour autant méconnaître ce qu'ils m'avait apporté.
Lire la biographie d'Elfrid Bergmann