Le port de la kipa dans l'ensemble ne provoquait pas de réactions parmi les passants, mis à part quelques persiflages occasionnels des gamins. Plus tard, alors que je me promenais un jour dans la rue du Sauvage, avec une kipa de couleur bordeaux, j'ai entendu un passant s'exclamer derrière moi : "oh, t'as vu l'évêque ?"
J'ai toujours porté la kipa, aussi bien à la maison que dans la rue, alors que les jeunes juifs religieux de Mulhouse avaient l'habitude de sortir en ville coiffés d'une casquette qui voulait être plus discrète mais qui ne trompait personne. Je ne retirais ce signe distinctif qu'en pénétrant dans l'espace scolaire. Il ne s'agissait pas de camoufler mon identité juive, puisque le samedi matin, je n'apportais ni sac ni livre au lycée, pour respecter l'interdiction religieuse de porter des objets pendant le Shabath, et suivais les cours sans prendre de notes par écrit. D'une manière générale, je trouvais autour de mes camarades de classe, ainsi que parmi les enseignants une compréhension toute naturelle de cet état de fait, et le samedi soir, j'allais recopier les cours chez un condisciple chrétien.
Au long de ma scolarité la kipa a évolué. Dans mon enfance, il s'agissait d'une calotte suisse en feutrine noire, ornée d'un liseré rouge de avec un petit pompon tombant sur le côté et brodée d'edelweiss ou d'un chalet suisse, puis j'ai porté une simple kipa noire en tissu. En 1967, après la guerre des six jours la kipa devint une sorte de galette crochetée avec une frise sur le pourtour, que mes sœurs excellaient à confectionner.
C'est à partir de cette période que le port de la kipa crochetée s'est imposée. Du temps où je fréquentais les EI, j'étais le seul à la porter, les autres éclaireurs allaient tête nue, et ce n'est qu'avec la mise en place du Bnei Akiva en 1967 que d'autres jeunes de la communauté l'ont portée dans le cadre des réunions.
Les adultes observants portaient le chapeau, certains la casquette, mais dans le cadre de leur travail ils étaient nu-tête. Les femmes ne se couvraient la tête qu'à la synagogue pendant les offices avec un chapeau, un châle ou parfois une simple voilette.
Continuant mes études à Strasbourg, c'est toujours avec la kipa que je circulais, même sur mon solex. Le casque n'était pas encore obligatoire et je pense que ce couvre-chef rituel le remplaçait avantageusement, appelant sur moi la protection de la Providence divine, car je n'ai jamais eu d'accident. A l'université, lors des cours ou des stages à l'Ecole Dentaire, je restais tête nue, contrairement à quelques étudiants juifs qui gardaient leur calotte noire à l'intérieur de l'institution.
En 1978 je pars au service militaire et après avoir reçu mon équipement, j'échange ma kipa contre contre le béret réglementaire qui reste vissé sur mon crâne. Mais arrivé sur la base, à Trèves en Allemagne, et pour régler les problèmes alimentaires relatifs à la casherouth, on me met en contact avec un autre soldat juif du contingent, qui a demandé à être affecté aux cuisines afin de pouvoir se nourrir des denrée autorisées qui s'y trouvent, et qu'il fait cuire dans sa poêle personnelle. Il arbore fièrement sa kipa noire sur le haut de son crâne, ce qui me convainc de renoncer au béret.
Ensuite, je suis muté sur une base à proximité de Strasbourg, toujours en Allemagne. Cette fois-ci je reprends mon béret, parce que j'ai l'impression que le médecin-capitaine de cette l'infirmerie n'est pas vraiment philosémite... Il n'apprécie pas tellement de voir mon ami Marc Rappoport me rejoindre à midi pour me faire partager sa gamelle casher, escorté jusqu'à l'infirmerie par deux soldats avec baillonette au fusil... parce qu'il appartient à un autre régiment !
A la suite d'une entorse, je suis dispensé de porter des "rangers", et envoyé en manœuvres comme infirmier à Mailly-le-Camp ; ce médecin, à titre de brimade, m'oblige à porter des bottes "grand froid" bien qu'on soit au mois de juin ! Mais ensuite je me présente auprès du responsable de l'infirmerie pour lui faire savoir que le samedi je tiens à respecter les prescriptions du Shabath, et lui de me répondre : "oh, ne vous en faites pas : ici c'est Shabath tous les jours"….
Lorsque je suis monté en Israël, j'ai dû effectuer plusieurs périodes militaires, et de nouveau j'ai échangé la kipa contre le béret, mais cette fois-ci il s'agissait du béret de Tsahal ! Depuis que je vis à Jérusalem, le port de la kipa ne pose de pas problème ni dans la rue, ni dans mon cabinet dentaire. Simplement il me faut quelques épingles de plus pour la faire tenir en place (je n'ai plus autant de cheveux).
Lors de mes séjours occasionnels en France, je porte la kipa en Alsace et ailleurs. Naturellement, je me suis présenté coiffé ainsi à deux reprises devant les ministres français de la Culture, qui m'ont reçu à Paris en compagnie de Jean Kahn, pour que je leur présente notre site internet.
Toutefois on constate qu'il existe désormais une certaine réticence de la part de certains juifs à arborer ce signe distinctif en public, du fait de la transposition des événements du Moyen-Orient dans les rues de l'Alsace ou d'ailleurs. Les plus âgés ont remis la casquette et les jeunes portent la coiffe de base-ball.
Pour moi le port de la kipa a toujours été un élément évident et naturel. C'est aussi une manière de m'inscrire dans une lignée de juifs qui étaient conscients de leur appartenance et qui n'ont jamais cherché à la cacher