Hélène Taragan : Comment voyez vous votre parcours, de Président de la communauté juive de Strasbourg jusqu’à la présidence du Consistoire Central, en passant par celle du CRIF ?
Jean Kahn : Je pense que c’est un parcours un peu différent de la norme parce que chaque fois qu’un événement l’a nécessité, j’ai pris la décision d’agir et de combattre les périls, combattre les difficultés qui se présentaient, et par conséquent j’ai été un président actif et désireux de remplir correctement son temps de pouvoir.
HT : Comment en arrive t-on à devenir un président communautaire et dans un sens plus large un président politique ?
JK : Eh bien, on a le tempérament qu'on a. Certains ont tendance à se laisser vivre, d’autres à chercher des activités pour les remplir. Je pense que j’appartiens plutôt à la seconde catégorie. Par conséquent chaque fois qu’il m’est apparu nécessaire d’intervenir ou d’agir, je l’ai fait. Je n’ai jamais négligé un combat. Je considérais que le fait de ne pas combattre pour une cause, était d’avance avouer que cette cause était perdue.
HT : Il y a eu des moments où vous avez quand même eu envie de baisser les bras ?
JK : J’en ai eu envie mais je ne l’ai pas fait parce que je crois que c'est la dernière des choses a faire, lorsqu’on est engagé, c’est la dernière des choses à faire. Et puis de toute façon c’est contraire à mon tempérament. Il ne faut jamais baisser les bras et renoncer.
HT : Vous avez assumé les fonctions de dirigeant de la communauté juive de Strasbourg mais par la suite cela vous a servi de tremplin politique.
JK : Cela a été un tremplin surtout parce que Strasbourg est une ville européenne où se réunit le Conseil de l’Europe et actuellement même le Parlement Européen. En tant que dirigeant de la communauté juive, il m’appartenait donc de recevoir, soutenir, aider et encourager les délégations israéliennes qui y venaient. Beaucoup de questions relatives à Israël étaient évoquées au Conseil de l’Europe et chaque fois je me retrouvais par la force des choses à défendre la cause israélienne, ce qui n’était pas toujours évident ou facile. Mais je l’ai toujours fait parce que j’étais inconditionnellement mobilisé et que je militais pour Israël.
HT : Et c’est ainsi que vous vous êtes retrouvé à la tête du CRIF ?
JK : Voyant mon travail au niveau de Strasbourg, les responsables
du CRIF ont estimé que je pouvais rendre des services au niveau national,
pas seulement à Strasbourg mais également à Paris. C’est
ce qui m’a amené à entrer au CRIF et je crois pouvoir
dire que celui qui m’a mis le pied à l’étrier a
été Alain de Rothschild qui était alors le président
du Consistoire Central. C’est Alain de Rothschild qui le premier m’a
demandé de participer à une rencontre avec des dirigeants français.
C’est ainsi que j’ai assisté à la première
rencontre du CRIF avec François Mitterrand nouvellement élu
Président de la République. Nous lui avons posé un certain
nombre de questions concernant l’avenir du judaïsme sous son mandat.
Et je me souviens comme si c’était hier, avoir entendu François
Mitterrand dire que les écoles juives ne risquaient rien d’une
législature socialiste. "Je ne dirai pas la même chose des
écoles catholiques" avait-il poursuivi. Notre conversation avec
le Président de la Republique a été interrompue de manière
tout-à-fait exceptionnelle par un huissier qui est arrivé avec
un plateau d’argent sur lequel était disposée une feuille
de papier annonçant que Sadate venait d’être assassiné.
Nous avons donc été parmi les premiers à apprendre cet
assassinat.
HT : Vous représentez l’establishment ashkénaze. Un tel establishment existe-t-il encore et pensez vous être le dernier de cette lignée à présider aux destinées du Consistoire Central ?
JK : Il existe encore tout en étant le Dernier des Mohicans. Mais je crois pouvoir dire qu’il y a beaucoup plus à espérer d’un futur président séfarade du CRIF ou du Consistoire Central, étant donné que l’immense majorité des Juifs de France sont des Sefardim.
HT : C’est dire que Strasbourg ne sera plus la ville d’élection d’où l’on pourra choisir les futurs dirigeants de la communauté ?
JK : Et pourquoi pas ? Peut être qu’ils choisiront un candidat séfarade et ce ne sera pas plus mauvais pour autant.
HT : Quel est le rôle aujourd’hui du judaïsme alsacien ?
JK : Il n’est pas tombé en quenouille. Il continue à jouer un rôle de centralité et de rayonnement de vitalité.
HT : Et dans ce contexte votre sentiment sur le site du judaïsme alsacien ?
JK : J’en pense beaucoup de bien a tel point que lors d’une dernière manifestation à Strasbourg où l’on parlait du patrimoine juif, j’ai mentionné l’existence de ce site animé par notre ami Michel Rothé en disant qu’il jouait un rôle déterminant dans la survie de l’histoire des traditions juives d’Alsace.
HT : Vous venez de publier un ouvrage aux éditions
Plon intitulé L’obstination du témoignage.
Une obstination qui s’est surtout manifestée par l’action
que vous avez menée
JK : Pour pouvoir témoigner, il faut agir avec obstination.
Agir sans relâche, sans se laisser décourager par un échec
partiel. Il faut se battre pour des causes qui sont les nôtres et qui
font la fierté et la grandeur de notre judaïsme.