On ne peut pas, à proprement dire, parler d'une invention. il faut plutôt
parler d'une évolution d'une technique, ou du développement d'une
technique.
Certain nombre de techniques nous viennent d'Extrême-Orient. L'imprimerie
est née à la fin du 8ème siècle au Japon.
Le plus ancien texte imprimé connu est un texte boudhiste de 888. L'impression
des oeuvres classiques de Confucius est achevée en 930. Au 13ème
siècle, l'Asie Centrale connaît l'imprimerie, puis ensuite celle-ci
vient jusqu'en Egypte.
La typographie, ou "art d'imprimer avec des caractères mobiles",
est inventée en 1045 par Pi-Sohêng. La typographie avec des caractères
en métal succédant à ceux taillés clans le bois,
est découverte en Corée en 1390.
En Occident, les lettres séparées pour tracer les initiales des
manuscrits sont connus à Engelberg en 1147, les blocs à imprimer
à Ravenne en 1289, les lettres séparées en métal
à Limoges en 1381, à Anvers en 1417, et en Avignon en 1444.
En effet, en même temps que Gutenberg faisait ses premiers essais typographiques
à Strasbourg, en Avignon un juif nommé Davin de Caderousse essayait
de créer la première imprimerie hébraïque.
Des contrats conservés en cette ville font état d'une association
entre un orfèvre de Prague du nom de
Procope Waldfoghel et Davin, juif de Caderousse. Procope s'engage à
tailler dans le métal des lettres hébraïques et à
fournir tout le matériel à celui à qui il a appris "l'art
d'écrire artificiellement". Rien, hélas, ne fut conservé
de ces tentatives infructueuses et n'eussent été retrouvés
ces contrats au début du siècle, nous serions dans l'ignorance
de tels essais.
A Strasbourg, et ceci nous est révélé par les minutes d'un procès, dès 1439 un certain Jean Gensfleisch dit "Gutenberg", avait fondé une association destinée à créer une imprimerie. A vrai dire celui qui passe pour l'inventeur de l'imprimerie ne fit que perfectionner une technique déjà connue. Il la rendit surtout techniquement utilisable grâce à des procédés de son invention comme la presse à bras et les cadres à composer. C'est par son génie et sa persévérance que l'imprimerie partit de Strasbourg à la conquête du monde.
Le nouvel art se répandit rapidement ; après Mayence et la vallée
du Rhin, il arrive en 1464 en Italie. en 1469 à Paris, en 1479 à
Oxford.
Mais il faudra attendre le 5 février 1475 pour que Garton imprime à
Reggio de Calabre un commentaire de Rachi au Humasch (Pentateuque),
premier livre hébreu imprimé, sitôt suivi, le 3 juillet
de la même année, par l'Arba'a Turim de Jacob b. Asher
chez Meshullam Cosi à Pieve di Sacco.
Entre 1524 et 1529, Köpfel publiera quatorze ouvrages de Capiton dont
la deuxième édition de sa grammaire hébraïque, la
première étant parue à Bâle.
Pour imprimer les ouvrages de son oncle, Köpfel est obligé d'emprunter
ou peut-être d'acheter des caractères. Il utilisera des caractères
de Rashi taillés spécialement pour l'imprimerie. Ce sont là
de vrais caractères typographiques en plomb, les premiers utilisés
à Strasbourg, mais non pas les premiers utilisés en Alsace. Cet
honneur revient à Thomas Anshelm de Haguenau dont nous reparlerons à
l'occasion de l'histoire des imprimeries de Haguenau.
Köpfel était spécialisé dans l'impression des textes en langues étrangères et notamment en grec, il publiera en cette langue la Bible complète. Il emploie comme prote Jean Lonicer, excellent hébraïsant qui avait déjà travaillé comme prote chez l'imprimeur Knobloch. Son imprimerie était située sur le marché aux chevaux, au lieu dit "zur Steinbruck", actuellement Place Broglie, non loin du pont jeté par-dessus le fossé qui, passant devant la mairie actuelle, se déversait dans l'Ill devant l'ancienne maison des douanes, près du collège épiscopal (1).
Köpfel n'eut pas seul l'honneur d'imprimer les ouvrages de son oncle,
il le partagea avec Jean Herwagen, dont l'atelier se trouvait rue Ste-Elisabeth.
En 1528, Herwagen publie la traduction latine de Capiton et son commentaire
au livre du prophète Osée. Capiton dédie son ouvrage à
Marguerite de Navarre, la soeur du roi Henri, dont l'intérêt pour
les études bibliques avait été révélé
aux Strasbourgeois par Jacques Lefèvre d'Etaples, premier traducteur
de la Bible complète en français, lors de son séjour en
Alsace.
Ce qui caractérise toute cette forme d'édition, c'est le mélange des écritures. Les lettres, mots ou corps de phrases en hébreu ou en grec interviennent dans l'exposition du commentaire latin, quand l'auteur juge nécessaire d'apporter, pour la meilleure intelligence du texte, l'expression à expliquer. L'auteur travaille sur un texte orginal en langue hébraïque, vraisemblablement manuscrit, il n'a pas besoin pour son oeuvre de publier le texte original, son désir est d'apporter un commentaire à son public et une traduction personnelle à partir d'un texte original. C'est par honnêteté intellectuelle, ou pour faciliter la recherche de l'élève instruit que l'auteur, suivi en cela par l'imprimeur, insère dans son texte ces caractères étrangers.
D'où proviennent ces caractères ? L'édition d'ouvrages
hébraïques en Alsace, nous l'avons vu, ne justifie pas pour ses
besoins la taille et la fonte de nombreux caractères. S'ils ne sont ni
taillés ni fondus en Alsace, comment les imprimeurs Strasbourgeois se
sont-ils procurés ces caractères?
Examinant ceux dont se servent les imprimeurs strasbourgeois, on peut affirmer
qu'ils appartiennent au groupe des caractères utilisés à
Bâle. Ce groupe est remarquable par le fait que toutes les lettres sont
étirées vers la gauche.
L'origine géographique des caractères étant ainsi supposée, une remarque de F. Ritter (p. 311) semble confirmer ces relations assez étroites sinon familiales entre le monde bâlois et strasbourgeois de l'impression :
"Dès 1528, Herwagen quitte Strasbourg et va s'établir à Bâle où il acquiert le droit de bourgeoisie et où peu après il épousa la veuve de Kart Froben, et assuma la direction de l'imprimerie Froben en collaboration avec Jérôme Froben, fils de sa femme et son beau-frère, Nicolas Episcopius."
Nous savons depuis que cette imprimerie bâloise s'illustra dans l'impression
d'ouvrages hébreux et mérita des lettres hébraïques
en imprimant un Talmud de Babylone et la grande concordance biblique de Mardoché
Natan Kalonymos.
Ce sont apparemment les imprimeurs bâlois et peut-être Froben qui
mirent à 1a disposition des imprimeurs strasbourgeois les caractères
qui leur étaient nécessaires. La question reste à savoir,
si ces derniers acquirent ces caractères ou les empruntèrent seulement,
les rendant après usage.
I1 faut, pour mener à bien cette tâche, trouver un prote, c'est-à-dire celui qui sera chargé de diriger le travail d'édition et surtout de corriger les épreuves. Fagius s'adresse à un spécialiste de cette question, à Elia Lévita, qui fut imprimeur à Rome, prote chez Bomberg à Venise. Grammairien, poète, premier auteur yddish, traducteur de la Bible en allemand, philologue, léxicographe et massorète, Elia Lévita était tout cela. Ami des chrétiens, maître de nombre d'entre eux, Elia avait toujours refusé de quitter l'Italie et de se consacrer à leur enseigner exclusivement. Ainsi il avait décliné l'honneur,à lui fait par François Ier, Roi de France, qui l'avait appelé pour lui confier l'enseignement de l'hébreu, à Paris, au Collège des Trois Langues. Contre toute attente, Lévita va accepter la proposition de Fagius ; il nous en donne les raisons dans la troisième des introductions à son dictionnaire Tishby (2) qui sera en 1541 le premier ouvrage imprimé par Fagius à Isny.
"Alors que j'étais encore en ma demeure de Venise, et que je peinais sur cet ouvrage, mon âme était préoccupée et anxieuse de trouver un lieu où je pus imprimer ce livre, car le grand imprimeur Bomberg, venait juste de cesser tout travail. Alors que j'étais justement tenté d'envoyer d'ici à Bologne l'ouvrage, il me fut dit que je n'obtiendrai pas satisfaction, car là-bas, aussi, ils avaient cessé tout travail.Mais la mort de Capiton va changer les projets de Fagius ; appelé à Strasbourg, il va fermer ses ateliers d'Isny en 1542. Ayant sollicité le droit de séjourner durant quatre années à Constance, toujours accompagné de Lévita, Fagius, grâce à ses caractères et ses formes, imprimera un grand nombre d'ouvrages sur les presses de Jacques Froschösser dit Ranivora
"Et ce même jour, alors que j'étais encore en train de me parler à moi-même, je reçus une lettre d'un chrétien d'Allemagne, qui m'apprenait qu'il venait présentement d'ouvrir un atelier d'imprimeur, afin de publier des livres sans nombre.
"Et que moi, son serviteur, étais appelé à l'aider, afin de corriger les éditions. Pour ce travail, il me donnerait un bon salaire. En plus, m'écrivait-il encore, il avait entendu que je possédais des livres écrits par moi et qui, quant à présent, n'avaient pas été publiés, et qu'il désirait les imprimer selon ma volonté... Je me mis aussitôt en chemin (3) rapide et agile, sachant bien que tout ceci était voulu par Dieu... »
Le maître imprimeur Georges Messerschmidt avait travaillé
dans l'atelier de Jean Albrecht et avait acquis l'atelier de Jean Knobloch,
originaire de Suisse. Cette imprimerie était située dans la Halbmond-gasse
au numéro trois de cette rue dans la maison dite à la Tourterelle,
non loin de la chapelle Ste-Barbe (4).
C'est sur les presses de Messerschmidt, mais avec les caractères ramenés
d'Isny que Fagius va publier les ouvrages nécessaires à son enseignement.
En dehors de ce livre, publié sans la marque d'imprimeur dont se servait
Fagius à Isny, mais avec la mention : "in officina Knoblochiana",
nous ne connaissons pas d'autre ouvrage publié par Fagius, ou plutôt
édité par Fagius à Strasbourg.
Monsieur Ritter dans son livre cite une lettre découverte aux archives
municipales et publiée par L. Rostenberg en 1940.
Fagius y a ajouté une profession de foi en son Messie.
Ce manuscrit mentionne 16 ouvrages payés en 1549 (date du manuscrit).
Il attribue celui-ci à P. Fagius vraisemblablement parce que ce nom apparaît
au verso. Mais à cette date, Fagius est déjà parti pour
l'Angleterre.
Nous ne connaissons aucun de ces ouvrages comme ayant été imprimés
à Strasbourg, par contre, ils ont tous été imprimés
ou à Isny, ou à Constance. Il nous paraît nécessaire,
en contradiction avec les auteurs cités précédemment, de
supposer que cette facture représente l'achat par l'Université
de la totalité des ouvrages encore en possession de Fagius, et dont il
s'est débarrassé aval, son départ. Cette facture ne représente
pas une liste d'ouvrages imprimés pour Fagius, seul le Targum
fut imprimé avec les passages hébraïques, et encore le premier
tome, le second ne parut jamais.
Le 6 avril 1549, Fagius se réfugie avec Bucer en Angleterre, il enseignera l'hébreu à Cambridge. Tombé malade, il s'éteindra cette même année le 13 novembre, son maître Lévita l'avait précédé dans la tombe au mois de janvier.