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Quant au Bulletin (c'est ainsi que nous abrégerons dans la suite du texte), son premier numéro paraîtra le 21 décembre 1945, sous forme d'un bi-mensuel de six puis de huit pages 21x27, sans couleur bien sûr. Les marques du deuil et de l'espoir confondus s'y exprimeront de manière inoubliable (sans doute ai-je tort d'user de ce terme puisque l'oubli l'emporta quand même) par les listes nominatives de ceux que le journal appellera "nos disparus", puis "nos absents".
Les noms qui apparaissaient, avec celui des communautés d'origine, laissaient deviner peu à peu les longues listes de tous ceux qui ne reviendraient plus, dont les noms seront gravés sur les monuments du souvenir dans les cimetières juifs d'Alsace et de Lorraine.
Le Bulletin a été fondé par Abraham Deutsch, nouveau grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, qui en était le rédacteur en chef et par mon oncle Nephtali Grunewald qui, avec sa sœur Berthe, en assura la charge financière et l'ensemble du travail technique. C'était là une façon de continuer l'œuvre entreprise à Limoges où la Communauté de Strasbourg était officiellement et pratiquement réfugiée pendant la guerre. A la tête des "Éditions Cultuelles N. Grunewald et Cie", mon oncle et mon père, Salli Grunewald, éditaient avec l'autorisation de Vichy chaque année renouvelée, à la fois le petit calendrier ainsi que diverses productions cultuelles. Ils travaillaient alors de conserve avec le rabbin Abraham Deutsch.
Journal communautaire… Il faut s'entendre sur les mots. Ils n'ont sans doute plus la même signification qu'en ces temps d'après-guerre, où le retour d'une communauté, sa renaissance, étaient par eux-mêmes la chose la plus merveilleuse qui soit, quasi miraculeuse... Le Bulletin de nos Communautés portait ce titre dans cette perspective. Cela dit, le Bulletin était un journal indépendant !
Ce qui, plus tard, amena la Communauté de Strasbourg à éditer Unir. Ce n'était pas seulement pour que chaque membre puisse recevoir gratuitement un organe communautaire, mais bien pour que la communauté puisse elle-même, sans intermédiaire et sans avoir à braver les réticences du grand rabbin, faire entendre la voix des administrateurs.
Cependant, le Bulletin n'était pas seulement "communautaire". Par son apport rédactionnel, il était bien plus qu'un "bulletin". Au-delà de ses éditoriaux, le grand rabbin Deutsch rédigeait régulièrement La quinzaine dans le monde juif, de courtes informations et réflexions correspondant au titre de la rubrique. Il y avait bien sûr les lectures bibliques (qui, avec l'éditorial et d'autres articles paraîtront aussi en allemand –jusqu'en 1965, pour les "parashioth"…) et puis des billets de toutes sortes.
Dans le n°1, on peut relever les signatures de Edouard Bing, Benno Gross, Henri Smolarski, J.P. Blum (qui revenait de déportation) ainsi qu'un Rapport sur la situation de la communauté de Colmar après le retour de l'Alsace à la France, par le grand rabbin Fuks. Le fameux Carnet de famille y figurait déjà. Ainsi que Des nouvelles de partout grâce au service de l'Agence Télégraphique juive auquel le journal s'était abonné.
Par la suite, au fur et à mesure que passent les années, le journal s'étoffera; il paraîtra sous une couverture bleue avec sa mosaïque de publicité, une Revue de la presse française et étrangère d'André Lazar, les contributions parisiennes de Roger Berg, celles d'Arnold Mandel, de Jean-Georges Kahn, du Dr. Joseph Weill, de Hélène Rapoport… La Lettre de Jérusalem de Moshé Catane est sans doute le signe le plus évident que le grand rabbin Deutsch admettait que la forteresse d'une certaine orthodoxie intellectuelle pût être forcée. Enfin, avant de m'excuser auprès de tous ceux que je devrais encore citer, il faut souligner le rôle de Claude Hemmendinger qui sut apporter au journal une note professionnelle.
Lorsqu'en 1965, mon oncle décida de prendre sa retraite et m'invitait à prendre sa succession (je n'avais alors contribué à la rédaction que par le Coin des jeunes) deux considérations m'amenèrent à répondre positivement. La première, était le caractère indépendant du journal, le seul parmi tous les organes de la presse juive en France. Je m'en étais longuement entretenu avec le rabbin Charles Friedeman, mon ami, qui lui aussi écrivait dans le Bulletin, et qui considérait, comme moi, qu'une presse juive indépendante méritait d'être développée. La seconde réflexion venait de l'état très faible de la communauté juive dans son ensemble. Et je me disais qu'un journal arrivant dans les foyers, toutes les veilles de Shabath, alors que la plupart des synagogues restaient quasi désertes, était une démarche importante qui s'inscrivait parfaitement dans l'idée que je me faisais du travail rabbinique.
Souvenirs… Dans le premier numéro du Bulletin dont je prenais la charge, peu avant Ticha beav, en 1965, j'évoquais la présence de deux murs, le Kotel qui, cruellement, coupait Jérusalem en deux et celui de Berlin qui perpétuait la guerre froide. Ce qui prouve bien que l'optimisme et l'espoir ne sont pas des denrées prohibées.
Je le pensais déjà. Et c'est pourquoi j'imaginais que le Bulletin
pouvait officiellement sortir d'Alsace-Lorraine pour aller au devant d'un lectorat
plus large. Ce fut d'abord, compte tenu de la place de Strasbourg comme
capitale de l'Europe et par l'ajout de pages pour la Suisse (après la fusion
avec Liaison) et d'un carnet belge, le passage au Bulletin des
Communautés d'Europe d'expression française ! A mon grand étonnement,
personne ne protesta. Il est vrai qu'aucune organisation juive européenne
n'existait encore. Puis, en 1968, le Bulletin prit le titre de Tribune Juive,
une façon de rappeler La Tribune Juive qui paraissait à
Strasbourg avant-guerre.
L'année suivante, Tribune Juive
devint hebdomadaire.
Commençait alors une autre histoire.
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